L’accès aux soins psychologiques en danger : quelles conséquences sur la profession ?

Papiers Libres le 23 mars 2021

La crise sanitaire met en lumière l’importance de la santé psychique, et le rôle majeur des psychologues.

Plusieurs expérimentations de remboursement des consultations psychologiques en libéral coexistent aujourd’hui. Il est prévu que ces consultations s’inscrivent dans un parcours de soin, qui repose principalement sur une approche médicale. En février 2021, la Cour des comptes s’est affirmée favorable au déploiement de ces dispositifs sur tout le territoire.

Cela signifie :

  • Une évaluation par le médecin généraliste, qui pourra déboucher sur une prescription de consultations psychologiques selon des « critères d’éligibilité ». Le patient devra choisir parmi une liste de psychologues.
  • Différentes phases : 6 à 12 consultations maximum (selon le dispositif expérimental), puis des réunions de concertation pluridisciplinaire où le médecin traitant reste le garant central, pour décider collégialement d’une reconduction.
  • Un remboursement sur une base allant de 22 euros pour 30 minutes de consultation à 32 euros pour 45 minutes de consultation (selon le dispositif) sans dépassement d’honoraire possible.

 

Conséquences pour les psychologues libéraux :

Parcours protocolaire et homogénéisation : le psychologue clinicien/psychothérapeute ne réalise pas d’«acte» de psychothérapie au sens médical. Il travaille avec le psychisme, non avec l’anatomie. L’essence même du métier, sa spécificité et sa richesse, réside dans sa diversité, la pluralité de ses approches, méthodes, et personnalités. 

Une homogénéisation de la pratique ne saurait, dès lors, être envisagée. De nombreuses méta-analyses concluent que les différentes psychothérapies ont une efficacité relativement équivalente (selon les problématiques). L’efficacité résiderait pour sa plus grande partie dans la relation établie entre le psychologue/psychothérapeute et son patient/client/usager, ce que l’on nomme l’alliance thérapeutique. Il est alors impensable de privilégier une forme de thérapie au détriment des autres. Cette diversité correspond également à la singularité des personnes venant en consultations. Le soin psychique est une pratique qui engage avant tout le patient. Celui-ci a besoin de se sentir en confiance et en phase avec son psychothérapeute et le choix de ses méthodes. 

Remboursement sans dépassement d’honoraire : les tarifs de remboursement sont basés sur la rémunération d’un psychologue de la Fonction publique hospitalière.

Si ceux-ci sont déjà peu valorisés dans leur expertise, prétendre appliquer cette rémunération à un professionnel libéral dénote d’une ignorance de la réalité ! Ce dernier doit s’acquitter d’importants frais inhérents à son exercice, au contraire du psychologue salarié (charges sociales, loyer, congés, assurances, retraite, formations, etc.). Ces conditions financières asphyxieraient le psychologue libéral, qui devrait prendre des patients « à la chaîne » pour espérer survivre. Cela n’a aucun sens dans l’exercice d’un métier où le respect de la temporalité propre à chacun occupe une place prépondérante, que tout professionnel travaillant avec éthique ne saurait malmener. 

La charge émotionnelle est importante, les enjeux nécessitent du temps pour penser. Il faut être oxygéné avant de pouvoir en donner en retour et aider nos patients à penser eux-mêmes dans un espace sécurisé. 

Prescription médicale : le Code de déontologie des psychologues garantit responsabilité et autonomie dans les méthodes, et un accès libre et indépendant au professionnel. 

Les psychologues sont rattachés au Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et non au Ministère de la santé. Pourtant, les dispositifs aujourd’hui mis en avant vont dans le sens d’une paramédicalisation du métier, ce qui, avec ses contraintes, entraverait nos actions et notre efficacité.

Si le titre de psychothérapeute est donné d’office aux psychologues cliniciens et psychiatres, les mettant sur un pied d’égalité, il est consenti aux médecins généralistes et autres psychologues sous couvert d’un complément de formation théorique et pratique. Le psychothérapeute ne saurait alors être pensé, et considéré, comme un exécutant de la prescription du médecin généraliste. 

 

Conséquences pour les institutions :

L’objectif se veut de désengorger les Centres médico psychologiques, en « filtrant » les patients.

Activités libérales et publiques ne sauraient se substituer l’une à l’autre. Ces pratiques sont différentes et complémentaires ! Faciliter l’accès au libéral dans des conditions inacceptables, sans en parallèle soutenir financièrement et humainement le secteur public est un non-sens et un danger pour l’accès aux soins psychologiques

 

Conséquences pour les usagers, effectifs ou potentiels :

Nécessité de passer par le médecin traitant : là où il est parfois difficile d’obtenir rapidement un rendez-vous chez ce dernier, cette étape rend la démarche encore plus lourde pour les patients, qui devront « justifier » de leur besoin auprès du médecin et ne pourront plus bénéficier d’un accès libre au psychologue libéral. Celui-ci sait combien le franchissement de ce cap est une étape qui se fait entre l’intimité du patient et la rencontre avec son psychothérapeute, lequel est souvent choisi avec beaucoup de soin, un des éléments fondamentaux de son cheminement.

En segmentant ainsi le parcours de soin, le patient est mis en plus grande difficulté encore.

En l’absence d’instance de type « ordinale », nombre d’éléments du dispositif bafouent le Code de déontologie des psychologues et leur réalité. A défaut, les psychologues de terrain sont les mieux placés pour penser et restituer la réalité de leur exercice.

Aujourd’hui, les psychologues cliniciens/psychothérapeutes sont directement concernés. Mais notre profession possède une pluralité de pratiques qu’il faudra aussi protéger. Protéger notre spécificité, c’est protéger nos usagers, effectifs ou potentiels. Il nous faut aujourd’hui nous rassembler autour de nos points de convergence, notre éthique. Une pétition a d’ailleurs été ouverte pour un premier pas vers l’action et un collectif œuvre en ce sens avec beaucoup d’énergie, et rassemble des milliers de psychologues désireux de travailler à l’unisson.

 

Valentine Legoux - des Mazery

Psychologue et psychothérapeute

 

Pour aller plus loin :

Lien vers la pétition « Protégeons l'accès aux soins psychiques » disponible sur : https://www.change.org/Protégeons-accès-soins-psychologiques

Lien vers le groupe du Manifeste des psychologues cliniciens et des psychologues psychothérapeutes disponible sur : https://www.facebook.com/groups/774816999793545 

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