Face à la délinquance juvénile, les dispositifs européens

Le Journal des psychologues n°245

Dossier : journal des psychologues n°245

Extrait du dossier : La psychothérapie familiale à l’épreuve de l’adolescent
Date de parution : Mars 2007
Rubrique dans le JDP : Pages fondamentales > Société
Nombre de mots : 4800

Présentation

L’augmentation de la délinquance juvénile préoccupe les experts de l’Union européenne. Mais ceux-ci n’abordent pas tous de la même manière le problème, en raison de spécificités nationales, et ne proposent pas tous le même modèle de traitement de la délinquance. L’auteur passe en revue divers dispositifs de prise en charge en évaluant leur efficacité. Faut-il aller vers l’uniformisation des interventions éducatives et judiciaires dans l’ensemble de l’Union ?

Mots Clés

Détail de l'article

Tout le monde s’accorde pour reconnaître que la poussée de la délinquance juvénile depuis une vingtaine d’années est préoccupante, même si on a parfois cherché à minimiser les faits, faisant passer un vécu d’insécurité pour un fantasme de populations frileuses ou intolérantes. Tous les pays de la communauté européenne ont fait apparaître l’urgence de prendre en considération, pour la traiter, la primo délinquance, de s’attaquer au problème de l’augmentation des actes de violence et des délits commis par des mineurs de plus en plus jeunes, de réactualiser les modèles de protection judiciaire en établissant de nouvelles mesures à la fois éducatives et répressives.

 

Les États européens face à la délinquance juvénile : des pays… des initiatives…

L’objectif du Conseil de l’Europe fut de définir des politiques communes qui encouragent les jeunes à être des citoyens, en leur permettant un meilleur accès à l’éducation et à l’emploi. Des résolutions furent adoptées afin d’instaurer des principes communs de protection de la jeunesse et de politique criminelle. Il fallut développer de nouvelles sanctions, raccourcir la durée des procédures, établir des partenariats autour de programmes locaux.
Création de centres thérapeutiques : les trois pays de l’Europe géographique qui ont le moins de délinquance sont l’Autriche, la Finlande et la Suède. La Suède a compris l’importance de réagir aux transgressions : on signale, on porte plainte, on poursuit. Depuis 1999, les plus de quinze ans auteurs de délits graves sont placés dans des Centres éducatifs fermés (CEF) pour un séjour de deux semaines à quatre ans. La démarche est thérapeutique même si c’est le délit et non le besoin de prise en charge qui détermine la durée de la peine. Le personnel est formé à divers programmes, à la méthode ART (Agression Replacement Training) pour un meilleur contrôle de l’agressivité, aux thérapies cognitivo-comportementales (apprendre à faire face aux émotions négatives et dépasser les comportements violents), au programme de soins en douze étapes pour les toxicomanes, etc. Ces méthodes sont évaluées par la Direction des soins en institutions. La Suède a développé aussi le milieu ouvert (prévention), la médiation délinquant-victime, les thérapies familiales et la formation parentale.
La responsabilisation des parents est instaurée du Nord au Sud. En Grande-Bretagne, dès 1998, le gouvernement a développé deux axes : l’un, préventif, présente des programmes de formation à la compétence parentale, l’autre insiste sur la responsabilisation civile et pénale des parents qui peuvent être contraints à suivre des sessions de formation pour apprendre à contrôler leurs enfants (lutter contre l’absentéisme scolaire, surveiller les sorties, apprendre à refuser…). En cas de non-respect de ces obligations, les parents contrevenants sont passibles d’amendes.
La réparation, mesure qui introduit la victime dans le champ judiciaire dans une visée pénale et éducative, est instaurée partout et répond au souci de faire prendre conscience aux jeunes délinquants de leurs délits et de leurs conséquences.
Le programme Halt (Het alternatief), aux Pays-Bas, développé par les communes en est un exemple ; il s’adresse à des jeunes ayant commis de petits délits avec pour but d’apprendre à respecter la propriété d’autrui et l’ordre public. On propose d’accomplir des travaux en relation avec les délits (ex. : travailler quelques heures dans le magasin où a eu lieu le vol) pendant les moments libres afin de réparer les dégâts ou rembourser (par le fruit du travail proposé). Si le contrat est respecté, il n’y a aucune poursuite. La plupart des jeunes relevant de ce contrat ont quinze-seize ans, sont scolarisés et insérés : 60 % d’entre eux ne récidivent pas.
Les peines alternatives à la prison se développent, car on veut rendre exceptionnelle l’incarcération. La Grande-Bretagne propose des peines d’intérêt général, destinées à éviter la récidive et à organiser la réinsertion. Il s’agit pendant trois mois de souscrire à des obligations (participer à certaines actions ou formations) et interdits (ne pas fréquenter certains lieux) sous la surveillance d’un agent de probation ou d’un travailleur social (éducateur). L’Espagne offre des initiatives originales comme la « permanence de fin de semaine » (le mineur ne peut s’absenter de chez lui du vendredi soir au dimanche soir, sauf pour aller effectuer des travaux socio-éducatifs imposés par le juge) qui, selon la gravité des délits, peut durer entre quatre et seize semaines.
Les mesures répressives existent partout. Le système anglais en propose deux nouvelles : a) la « peine de formation obligatoire en milieu fermé et de suivi postcarcéral » pour les multirécidivistes ; elle s’effectue sur quatre à vingt-quatre mois, pour moitié en détention (dans un centre éducatif fermé) ou un centre d’hébergement local), le mineur suit une formation, puis est laissé en liberté sous surveillance ; b) la « libération conditionnelle avec port de bracelet électronique » pour les plus de dix-huit ans condamnés à de courtes peines.
Les programmes de haute surveillance, comme l’ISSP (Intensive Supervision and Surveillance Program) en Grande-Bretagne depuis 2001 s’adressent aux multirécidivistes. Appelés en France « incasables », ils ont pour la plupart été placés en centres d’éducation spécialisée qu’ils ont mis en échec ; dans des centres spécialisés sous haute surveillance, ils bénéficient d’une prise en charge pluridisciplinaire (policiers, cliniciens, éducateurs).
Justice de proximité, programmes locaux, partenariat : partout, on reconnaît l’importance de la justice de proximité (qui permet un traitement plus rapide des affaires), du partenariat et de l’engagement des communes dans la lutte contre la délinquance. Aux Pays-Bas, le ministère de la Justice a signé avec une soixantaine de communes des conventions sur quatre ans ; les communes prennent des engagements chiffrés de réduction de la délinquance juvénile, recevant en contrepartie des subventions pour améliorer les équipements et services sociaux destinés aux jeunes.
Une prévention mieux définie : Qu’est-ce que prévenir ? La prévention suppose que l’on ait ciblé les causes et les populations dites « à risque ». Les causes sont aussi multiples qu’il existe de variétés de délinquance, citons les schémas empruntés aux théories sociologiques, psychologiques, intercultuelles. Mais prévenir revient aussi à désigner. Les théories du contrôle social (Donzelot, 1977 ; Becker, 1985) et la levée de bouclier en France de certains professionnels contre les conclusions de l’étude de l’INSERM (2006) le montrent bien.  
Les programmes de prévention s’articulent d’abord autour de mesures rendant difficile, voire impossible, la réalisation des délits : vidéo surveillance, police de proximité, contrôle de l’obligation scolaire, couvre-feu dans certaines communes pour les moins de dix ans. Parfois (ex. : en Angleterre), la surveillance de certaines rues, en accord avec la police, est assurée par les habitants (neighbourhood watch). Dans les pays anglo-saxons et d’Europe du Nord, la police fait partie du paysage communautaire et social : ainsi, aux Pays-Bas, un policier peut être responsable d’une rue ; intégré à la vie du quartier, posté dans un local, le Toko, il reçoit les gens, les aide, les conseille. Les Tokos ont été évalués très positivement puisque sur trois ans le taux de criminalité a baissé de 30 % dans les quartiers où ils sont implantés.
Des préventions ciblées sur les populations sont aussi développées, se distinguant peu de l’assistance éducative que la France connaît depuis 1958 (ordonnance relative à l’enfance en danger, révisée en 1975). De plus en plus, on met l’accent sur le repérage précoce des enfants violents, manifestant des troubles des conduites, pratiquant l’absentéisme, afin qu’une prise en charge soit envisagée le plus tôt possible.

 

La délinquance juvénile en France : une difficile prise de conscience

En 2006, la délinquance globale a baissé de 1,3 % ; la délinquance utilitaire a reculé de 3,8 %, les violences sexuelles de 4,2 % (Observatoire national de la délinquance, janvier 2007). Ces chiffres concernent la délinquance générale dont la délinquance des mineurs fait partie. Au-delà de l’impression positive qui se dégage, on note que les violences physiques non crapuleuses ont augmenté de 5,6 % ; inquiétantes, elles traduisent la haine de l’autre et l’envie, se divulguant parfois par Internet après avoir été filmées (ce qui est un délit). Si quelques satisfactions sont légitimes (entre 1997 et 2001, la délinquance globale avait augmenté de 17,8 %), ce type d’agressions et les violences urbaines montrent la nécessité de continuer à travailler et à réfléchir tant sur le plan législatif que thérapeutique.
La loi Perben a soulevé des contestations bien qu’elle ait rejoint les objectifs européens. On lui reproche de considérer les mineurs délinquants, bénéficiant jusque-là de mesures de « protection, assistance, surveillance et éducation » (ordonnance du 02.02.1945) comme désormais « capables de discernement » et « pénalement responsables ». À partir de l’âge de dix ans (au lieu de treize), les mineurs pourraient faire l’objet de sanctions éducatives et de retenue judiciaire. Or, tous les pays s’orientent vers une responsabilisation autour de l’âge de dix ans (la Suisse a rehaussé de sept à dix ans ce seuil où l’enfant, en quelque sorte, atteint l’âge de raison). On lui reproche aussi de favoriser les réponses judiciaires rapides, nécessité repérée partout en Europe, sans que l’on se demande ce que signifie une réponse différée de plusieurs mois pour un adolescent dont la réhabilitation passe par l’établissement d’un projet de vie. On lui reproche enfin la création des CEF et des EPM (Établissements pénitentiaires pour mineurs), ces derniers recevant les multirécidivistes qui n’ont pas « saisi leur chance » dans les CEF. Pourtant, dans ce type de centres, c’est la perspective de la rééducation qui légitime l’enfermement et non la mise à l’écart sociale.

 

Tordre le cou aux idées reçues
La méfiance vis-à-vis des services de police, de justice et de l’État, est une exception française qui ne facilite pas le travail de partenariat. Et la lutte contre la délinquance ne parvient pas à être en France autre chose qu’un enjeu politique. S’ajoutent la persistance d’idées reçues et la résistance face à des conceptions et des théories nouvelles.
◆ La délinquance est la conséquence de la précarité
Jusqu’aux années quatre-vingt, la délinquance juvénile était surtout utilitaire. Aujourd’hui, elle se déploie autour d’une violence destructrice, plus gratuite et souvent symbolique (caillassages, vandalisme) ; elle met en jeu des conflits identitaires (rixes ethniques, violences sur les stades), parfois la haine de l’autre (agressions antisémites et racistes). Or, les recherches le montrent, il n’y a pas de lien direct entre chômage et-ou précarité (présentés longtemps comme cause de la délinquance) et comportements déviants (CNRS-info n° 322, avril 1996).
Des théories plus pertinentes donnent à réfléchir. La théorie de l’attachement social (Hirschi, 1969) montre la nécessité d’un contrôle direct (surveillance) et d’un contrôle plus personnel, plus engageant de l’individu. « Qu’ai-je à perdre en transgressant ? » Question que peut se poser le petit enfant lorsqu’il interroge l’amour de ses parents, ou l’adulte lorsqu’il met en balance ce que lui apporte un délit et ce qu’il encourt en termes de sanction possible, mais aussi de perte d’estime de soi, de perte de travail, d’amis, etc. La théorie de l’apprentissage social (Bandura, 1986) invite à réfléchir sur les causes possibles de la délinquance, mais aussi à repenser les modalités de prises en charge habituelles des mineurs délinquants. La délinquance s’apprend, en termes de normes et de techniques. Et si des bénéfices sont acquis par la conduite délictueuse ou que la sanction est absente, alors se constituera un renforcement positif (Akers, 1985). Cette théorie se rapproche des théories à la base des thérapies cognitivo-comportementales, utilisées dans les centres de rééducation de nombreux pays : si la délinquance s’apprend, elle se désapprend. Enfin, les théories sur l’état de tension (Agnew, 2001) associé au sentiment de justice-injustice font comprendre pourquoi certains sont à ce point dénués de culpabilité après leur délit.
D’autres idées reçues traversent le champ du travail social.
◆ La délinquance est la conséquence de l’éclatement de la cellule familiale
Les changements de l’organisation familiale, la place de plus en plus grande occupée par les femmes dans la vie sociale, la revendication d’une liberté de plus en plus liée au désir, au plaisir et à la réalisation personnelle, ont fait voler en éclats les bases d’une conjugalité fondée sur la relative dépendance de l’épouse à son mari. Les familles mono puis pluriparentales se multiplièrent au point que les lois durent évoluer. Parallèlement la délinquance augmentait. Il fut facile d’établir une corrélation entre familles désunies et délinquance. Cette corrélation, pour illusoire qu’elle fût, était renforcée par la clinique : les jeunes délinquants, souvent issus de milieux socio-économiques défavorisés, appartenaient souvent à des familles éclatées. Or, on sait aujourd’hui que « la plupart du temps la délinquance trouve son origine dans des familles qui ne connaissent aucun dysfonctionnement majeur ou grave mais qui en revanche sont dans l’incapacité d’assurer un contrôle sur les activités de leur enfant » (Tournier, 2003, p. 103). Voilà qui plaide pour une responsabilisation parentale et une formation à la parentalité.
◆ La délinquance est la conséquence d’une souffrance
Elle peut l’être, au même titre que la créativité… Le concept de souffrance est vague, flou et non mesurable comme pourraient l’être la douleur ou la dépression. Les questions à poser devraient être : le jeune délinquant souffre-t-il plus que les autres adolescents ? Sa souffrance est-elle d’une nature ou d’une qualité particulière ? Il y a pour tous les jeunes une indéniable difficulté à vivre l’adolescence. La clinique le montre depuis longtemps à travers les travaux d’Anna Freud, Blos, Winnicott ou Kestemberg, pour ne citer qu’eux. Un travail psychique énorme, intense, attend l’adolescent qui doit accomplir des choix, des renoncements, des deuils. Il doit surmonter des impuissances, des séparations et des angoisses massives devant la réalité de la vie en marche, devant l’inéluctabilité d’une identité qui se cisèle pour et contre soi, devant des identifications impossibles, souvent à la fois attendues et redoutées, devant des envies et des désirs plus ou moins compatibles avec le Surmoi, héritier du conflit œdipien. Cette difficile question du devenir qui se pose à l’adolescence concerne tout un chacun ; on peut comprendre que les vicissitudes de la vie, les conflits non réglés, les douleurs et les malheurs personnels fragilisent le sujet. Le délinquant a-t-il été plus exposé que les autres ? Est-il plus fragile ? Rien n’est moins sûr. Les mécanismes de défense qu’il utilise sont souvent solides et d’une efficacité redoutable contre la souffrance et, contrairement à ce que l’on pense, la plupart des délinquants « raisonnent » en termes « économiques », opposant les bénéfices aux risques encourus, que ce soit sur les plans matériel ou psychique. Il faudrait peut-être cesser de considérer toutes les délinquances uniformément, c’est-à-dire comme un symptôme, c’est-à-dire entrant dans une forme de dysfonctionnement ou de pathologie. En matière de pathologie, si on laisse l’héboïdophrénie à la place marginale qu’elle occupe, il n’y a guère que la psychopathie, avec les liens que l’on connaît aux problématiques narcissiques, qui soit reconnue comme une entité nosographique, qui d’ailleurs encombre autant la psychiatrie que la justice. Les arguments qui plaident pour une pathologisation de la délinquance ont beau jeu de pointer les cas psychiatriques incarcérés – c’est oublier que la mise en acte délictueuse est justement une conduite, et, qu’en tant que telle, on peut la retrouver dans n’importe quelle organisation psychique.

 

La question qui fâche
La question de l’immigration et de ses liens avec la délinquance fâche en France. Pourtant, partout en Europe, on admet qu’il existe une surreprésentation des individus issus de l’immigration parmi les populations délinquantes. On perd beaucoup de temps en France dans l’approche et la compréhension de ce phénomène à cause d’idéologies, de fausse pudeur, de crainte de paraître raciste ou d’être assimilé à des partis politiques extrémistes. L’étude de Roché et Dagnaud réalisée en Isère entre 1985 et 2000 et rendue publique en 2003 montre que sur 325 dossiers de jeunes délinquants examinés « la dimension ethnique de la délinquance devait être mise au jour » avec 66,5 % de mineurs ayant un père né à l’étranger et 49,8 % avec un père né au Maghreb et-ou 60 % ayant une mère née hors de France. Ces constatations sont peu surprenantes si l’on considère que l’INSEE avait déjà en 2000 montré que 40 % des détenus en France avaient un père né à l’étranger dont 25 % au Maghreb. Pourtant, ce sujet reste tabou et les chercheurs ont cru bon d’expliquer ces résultats par une quasi-mise en accusation de la justice. Citons : « Nous sommes face à une justice qui concentre son énergie à condamner des jeunes d’origine étrangère… […] comment expliquer à ces jeunes que la loi est essentiellement tournée vers eux… » On est surpris autant qu’inquiet devant de telles assertions, surtout quand on sait que les dossiers ont été choisis en fonction de la gravité des délits (41,8 % pour coups et blessures ayant entraîné une incapacité temporaire de travail (ITT) > 8 jours ; 25,2 % pour agressions sexuelles, 17,5 % pour vols avec armes ; 2,2 % pour homicide ou assassinat…). Peut-on imaginer que les jeunes Franco-Français, à délit égal, bénéficieraient d’une justice plus clémente ?
Sans nous appuyer sur les travaux déjà anciens de nombreux chercheurs, surtout québécois (Douyon, 1982, 1987 ; Kabundi, 1988 ; Tremblay, 1995, etc.), notons l’intérêt de recherches européennes publiées sur la question (Spaey, 2004). Certains pays ont même mis en place des mesures spécifiques aux minorités ethniques. Ainsi aux Pays-Bas, dès 1997, constatant la surreprésentation des jeunes étrangers, surtout Marocains et Antillais, parmi les délinquants, le ministère de la Justice a décidé de traiter le problème par la prise en charge de ces jeunes délinquants par des professionnels de la même origine. On peut s’interroger sur l’opportunité de ce type de mesures, cependant, alors que le problème des communautarismes se pose maintenant.  

 

La clinique de l’exil : une fausse voie de dégagement
Pour comprendre le lien entre délinquance et immigration, il faut s’appuyer sur des recherches faisant intervenir un certain nombre de variables et de définitions. Connaître les motifs de la migration permet de nommer avec justesse les populations concernées. La psychologie clinique interculturelle se contente souvent de nominations vagues : sous le label « exil », on comprend que c’est à la souffrance du sujet déplacé qu’elle s’adresse, gommant du même coup les différences et les spécificités. Or, un immigré n’est pas forcément réfugié ou exilé ; on mesure la complexité de la question quand on sait qu’il y a des vrais demandeurs d’asile, des « faux réfugiés », des « réfugiés économiques », des immigrés clandestins et parmi eux des immigrés économiques autant que politiques, sans parler des enfants envoyés des pays pauvres, seuls, vers des sols plus cléments et qui grossissent le rang des jeunes délinquants.
La tendance à faire du migrant, quel qu’il soit, un homme en souffrance, ouvre sur une vision informe, plate et interchangeable, alors que les travaux sur le traumatisme et sur la résilience invitent à plus de circonspection. Une recherche (Rezvannia, 2004) auprès d’adolescents iraniens réfugiés en Suède est particulièrement intéressante. Elle montre que « l’immigration n’est pas l’unique raison de la dépression », l’indice de satisfaction de vie débordant largement les conditions matérielles et l’expérience du déplacement et que « les stratégies d’adaptation, qu’elles soient assimilation ou maintien de l’héritage culturel, n’affectent pas le bien-être psychologique », en terre natale comme dans le pays d’accueil. Enfin, s’il est clair que les parents immigrés sont soumis à différents stress, « les jeunes immigrés ayant peu vécu dans leur pays d’origine semblent s’assumer positivement et s’intégrer au sein du pays qui leur a offert l’asile. Ils ont un regard positif sur eux-mêmes et sont suffisamment indépendants de leurs parents pour affronter la vie offerte par la société d’accueil sans s’encombrer d’un passé qui a marqué la vie de leurs parents ». Ainsi, « cette jeune génération dont les parents ont souffert des conséquences de la guerre, de la perte de leur réseau et-ou statut social, de leur emploi et du respect […], semble aller de l’avant, la tête haute et fière et combat la nostalgie pour construire un avenir aux côtés de ses nouveaux pairs qui l’ont accueillie ».  
Cela donne à réfléchir et engage à considérer l’immigré non comme un être abstrait réduit à un statut de déplacé, mais comme un individu qui arrive dans un pays nouveau dans la continuité de ce qu’il était dans son pays natal, avec ses problèmes, ses déviances, ses pathologies et ses richesses. D’ailleurs, d’autres éléments entrent en jeu : la culture familiale qui permet ou non aux enfants d’aller voir ailleurs, à l’extérieur ; et, bien sûr, le discours que la société d’accueil adresse à ces populations. Si les jeunes Iraniens ont envie de construire un avenir en Suède, c’est parce que la Suède leur adresse des messages positifs non seulement sur eux-mêmes, mais sur ce qu’elle peut leur apporter. Le sempiternel mea culpa de la France vis-à-vis des immigrés, associé à des attitudes de commisération profonde, ne semble pas propre à engendrer des conduites actives et entreprenantes chez ces jeunes.

 

Mais qu’est-ce qui marche ?

L’Europe face à l’augmentation de la délinquance juvénile s’est mobilisée. Les gouvernements ont apporté selon leurs orientations politiques des réponses différentes tant dans la prévention que dans la prise en charge. En France, les efforts pour comprendre l’origine des crimes et délits, s’appuyant, hors les références sociologiques, exclusivement sur des modèles théoriques issus de la psychanalyse, n’ont pas été suffisants ni assez pertinents pour apporter des protocoles efficaces de prise en charge. Le débat stérile qui opposa l’éducation et la répression est en passe de se clore, mais des résistances subsistent. Les pays européens ont vu l’intérêt de bâtir des politiques communes, même si chaque pays cherche des solutions qui lui soient propres, en accord avec sa représentation de l’enfance, de l’adolescence et de la transgression. De nombreux domaines sont envisagés tandis que d’autres restent en friche : ainsi la formation des travailleurs sociaux, dans ses orientations et dans ses exigences, n’est pas commune à tous ; la pratique de l’évaluation systématique des prises en charge n’est pas toujours mise en place selon des critères scientifiques, surtout en France ; enfin des modes de prise en charge comme les thérapies cognitivo-comportementales sont encore décriés en France, alors que leur efficacité est reconnue partout.
Quand on a cerné ce qui ne marche pas, il ne sert à rien de s’enfermer dans l’impuissance ou de rêver s’atteler à changer le monde. Il vaut mieux chercher à savoir ce qui marche. De nombreux travaux nous y aident.
La thérapie multisystémique (TMS) : La TMS correspond à des interventions impliquant un axe thérapeutique dirigé vers les changements de comportement à l’intérieur d’un système avec des interventions qui « encouragent les comportements responsables et découragent les comportements irresponsables » des membres de la famille, qui visent « activement la recherche de solutions à des problèmes précis et bien définis », qui prévoient un « apport quotidien ou hebdomadaire des membres de la famille » et une évaluation des interventions de façon continue. (Leschied, Cunningham, 1997).
Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) : Différentes méta-analyses (Redondo & al., 1999) présentent les TCC comme le traitement le plus efficace : elles engagent à comprendre comment l’enfant ou l’adolescent assimile son expérience et le lien entre expérience et comportement (délictuel).
Des programmes bien définis : Les programmes d’acquisition d’habiletés sociales et de traitement de l’agressivité sont populaires dans les pays anglo-saxons, car ils sont efficaces (notamment auprès des enfants violents), comme les programmes de gestion de la colère ou d’apprentissage de l’empathie. Les programmes de justice réparatrice sont bien implantés en Europe de l’Ouest, on l’a vu.

 

Conclusion

La prise en charge des jeunes délinquants comme la réaction de la société face à la délinquance juvénile suscitent des débats passionnels. Toute une conception de l’enfance, de l’adolescence, mais aussi de la liberté est en jeu, avec l’incontournable référence à la notion de responsabilité. Les sociétés occidentales ont été depuis deux décennies confrontées à des formes de violence, de délinquance et de transgression qui, sans être toutes nouvelles, ont surpris par leur (ré) émergence ; il ne sert à rien de se demander si l’Europe des XVIe ou XVIIe siècles était plus, ou moins, sécurisée, si la population de la Cour des Miracles était plus, ou moins, violente que celle de certaines cités. Les bouleversements sociologiques, la ré-interrogation des valeurs, les questionnements sur l’éducation, l’évolution de l’Histoire, ont provoqué des déstabilisations, des vécus d’anomie, des pertes de repères ; parallèlement, l’immigration, au départ liée aux demandes de main-d’œuvre de pays industrialisés, s’amplifiait et se dissociait du travail proprement dit. On ne peut regarder évoluer un pays, dans sa population, ses formes d’éducation et son système économique, sans se poser la question de l’évolution des lois. L’ordonnance de 1945 prônait l’éducation, la condamnation ne devant être qu’exceptionnelle. Pour la mettre en application, des centres fermés d’éducation surveillée avaient été créés : centres d’observation (CO) et internats professionnels (IPES) où les mineurs étaient placés en vue d’obtenir un diplôme professionnalisant, à une époque où la psychologie clinique faisait en France une entrée timide, qui aura le succès que l’on sait. Les sciences humaines ont depuis beaucoup évolué, permettant des approches multiples. Mais, en même temps, des quiproquos ont été plus ou moins consciemment entretenus, comme la confusion entre condamnation et sanction ou la fausse opposition entre éducation et punition. L’ordonnance de 1945 est devenue, dans les années quatre-vingt-dix, deux mille, la référence type des professionnels de la justice alors que tout le contenant des infrastructures qui la définissait avait disparu (disparition du dernier centre fermé en 1980). À lire les textes qui régissent la justice des mineurs en Europe, particulièrement la loi Perben, on s’aperçoit que les changements tiennent autant aux formes nouvelles de la délinquance qu’à l’évolution de nos connaissances en sciences humaines. Cette évolution doit passer par un nécessaire rappel des cadres, des enjeux et des attentes de tout ce qui constitue la société. Tous les pays européens l’ont compris.
Il est temps de tirer profit des connaissances actuelles et d’établir des protocoles pouvant engager l’action éducativo-judiciaire vers des programmes dont l’efficacité est établie. Il est essentiel que les différentes actions à visée éducative ou thérapeutique puissent faire l’objet d’évaluations rigoureuses. Enfin, il serait important de favoriser les recherches de psychologie sur les terrains en donnant aux chercheurs plus de facilité d’accès aux services éducatifs et aux populations prises en charge par ces services ainsi qu’en milieu carcéral. Trop d’études restent, en France, le fait de sociologues ou d’idéologues et peu de travaux peuvent être recensés dans des méta-analyses, faute de rigueur scientifique.

 

 

Bibliographie

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Roché S., et Dagnaud M., 2003, « Mineurs et justice : analyse des dossiers judiciaires des auteurs mineurs de délits graves jugés dans l’Isère de 1985 à 2000 », www.upmf-grenoble.fr
Spaey Ph., 2004, Violences urbaines et délinquance juvénile à Bruxelles. Les 12-20 ans témoignent, Paris, L’Harmattan.
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Tremblay P., 1995, La Criminalité des Noirs à Montréal, Montréal, École de criminologie de l’université de Montréal.

 

Pour citer cet article

Finkelstein-Rossi Jacqueline  ‘‘Face à la délinquance juvénile, les dispositifs européens‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/face-a-la-delinquance-juvenile-les-dispositifs-europeens

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