La fin des psychologues cliniciens ? Dernier projet de réglementation du titre de psychothérapeute

Le Journal des psychologues n°246

Dossier : journal des psychologues n°246

Extrait du dossier : La douleur : expérience et subjectivités
Date de parution : Avril 2007
Rubrique dans le JDP : Tribune libre
Nombre de mots : 1800

Auteur(s) : Collectif

Présentation

Grâce au forum organisé par le Journal des psychologues en novembre 2006 à Avignon, une table ronde a pu réunir les différentes organisations de psychologues.

Détail de l'article


Cette première a permis, quelques mois plus tard, en janvier 2007, aux deux organisations syndicales nationales, le Syndicat des psychologues en exercice libéral (SPEL) et le Syndicat national des psychologues (SNP), ainsi qu’à la Fédération française des psychologues et de psychologies (FFPP), la Société française de psychologie (SFP) et au réseau national des psychologues sur Internet, de signer un communiqué de presse commun et d’adresser une lettre en leur nom aux députés et aux sénateurs, les invitant à modifier l’article 52 de la loi du 9 août 2004.
Ce front commun a porté ses fruits, puisque l’article 52 a été réécrit dans un sens plus conforme à nos exigences, en ce qu’il entendait subordonner l’acquisition du titre de psychothérapeute à l’accomplissement d’une formation universitaire (proposition des deux derniers amendements Accoyer en date du 11 janvier 2007), et ce n’est malheureusement qu’à l’issue d’un vice de procédure que le conseil constitutionnel a jugé cette initiative des parlementaires dans une situation d’incompatibilité avec la Constitution.
Cette première victoire, nonobstant, devait raisonnablement encourager les organisations susvisées à continuer d’œuvrer dans le même esprit, afin d’obtenir une revalorisation légitime des qualifications théoriques et pratiques indispensables à l’exercice de l’activité de psychothérapeute. Or, un tel pas n’a pas été franchi et le rassemblement de la profession autour de la thématique essentielle de la lutte contre les pratiques sectaires a donc fait long feu.
Dès lors, le SPEL a décidé de recouvrer sa pleine et entière indépendance, au motif que le soutien de la part des autres organisations, avoué ou implicite, aux propositions du ministère de la Santé, s’avère incompatible avec la philosophie qui est au fondement même de notre engagement.

 

De quoi parlons-nous ?

Pour mémoire, quatre projets de décret concernant la formation de psychothérapeute ont été successivement rédigés et soumis à lecture et critiques des organisations professionnelles concernées par le ministère de la Santé.
Or, ces quatre projets de décrets ont tour à tour décliné les prérequis suivants à la formation de psychothérapeute :
● Un « niveau master » (janvier 2006) ;
● 150 heures théoriques et 150 heures pratiques (avril 2006, le « niveau master » est abandonné) ;
● 500 heures théoriques et 500 heures pratiques (septembre 2006) ;
● 400 heures théoriques et 5 mois de stage (décembre 2006).
Voici donc la gageure du gouvernement : le dernier texte présenté par ses soins prétendrait assurer en 400 heures ce que l’université se propose d’assurer en cinq voire six années. En outre, cette formation indigente serait conçue et organisée sous l’égide, au mieux, de l’université, au pis, de structures privées vaguement habilitées par les pouvoirs publics.
Tout cela se passe à votre insu, et dans la plus parfaite confusion des genres.
Dernier fait marquant : la FFPP s’est exprimée dans ce même journal daté de février 2007 (n° 244), et a écrit : « Par ailleurs, elle rappelle que pour elle l’exigence d’une formation universitaire en matière de psychopathologie clinique ne peut être satisfaite que dans le cadre d’un master, et que des masters de psychologie correspondent à cette exigence, soit 500 heures de formation théorique et 500 heures de stage. »
Cette déclaration ne laisse de surprendre, car elle contient (en trois lignes !) deux affirmations qui sont a priori irréductibles l’une à l’autre :
● Réduire le master de psychologie clinique et psychopathologique à 500 heures théoriques plus 500 heures pratiques, soit à la seule dernière année universitaire de master (anciennement DESS), c’est méconnaître totalement (ou faire fi de méconnaître) l’organisation d’un tel cursus qui passe obligatoirement par l’obtention anciennement d’une licence et d’une maîtrise – ou aujourd’hui L3 et M1 de psychologie. À ce titre, une telle formation tronquée et morcelée ne peut donc objectivement correspondre à un master.
● Puisqu’il ne peut s’agir d’un master, il s’agit donc d’une formation alternative, largement en dessous des exigences fixées par l’université à l’endroit du master en psychologie. Dit autrement, à moins de créer sur pièces un diplôme universitaire répondant spécifiquement aux critères établis par le gouvernement, mais, de ce seul fait, s’annonçant comme porteur d’une discrimination flagrante avec la formation équivalente du master de psychologie, une telle pétition de principe crée une redoutable confusion, car l’organisation en question ne définit pas clairement et précisément les termes qui interviennent au fondement de sa position générale.
À défaut, cette organisation gagnerait donc à assumer ce que, peut-être à dessein, elle n’ose explicitement écrire. Que celle-ci, comme d’autres, est prête à cautionner la création d’un doublon de votre master, taillé sur mesure, pour valider finalement tout ce qui existe en termes de psychothérapeutes sur le marché. Cela, pour le présent et l’avenir.
Car il est acquis qu’au fil de cette prétendue concertation avec le gouvernement, la FFPP, la SFP et le SNP ont accepté, au terme d’une négociation obscure, la validation du titre de psychothérapeute sur le fondement d’un prérequis de 500 heures théoriques et 500 heures pratiques (troisième projet).
Or, le SPEL s’y oppose absolument. En conséquence, nous refusons évidemment le principe de ces 500 ou 400 heures plus 500 heures, au titre d’un prérequis qui s’analyserait comme la formation initiale idoine.
En toute cohérence, nous n’accepterions ce principe qu’au titre d’une formation secondaire spécialisée sur la base du prérequis constitué par la formation initiale universitaire du master de psychologie. Et encore, cette base de 500 heures nous semble fortement insuffisante, par comparaison avec le fonctionnement de la formation en psychothérapie chez nos voisins européens.
En effet, nous revendiquons, depuis toujours, le master de psychologie ou le doctorat en médecine spécialité psychiatrie comme prérequis indispensable vers la spécialisation en psychothérapie. Par ricochet, le SPEL ne saurait donc objectivement accepter la création d’une nouvelle activité en légitimant les critères indigents fixés par le ministère.
Devant une telle hérésie, le diplôme de psychologue clinicien est voué à disparaître.
Ce phénomène est (hélas) déjà en marche, en ce que le marché, déjà saturé, s’accommode d’une concurrence scandaleusement inégale, au mépris, ce faisant, des intérêts des usagers.
N’oubliez pas cependant la situation d’extrême précarité des psychologues et n’oubliez pas qu’une amélioration des conditions d’exercice de la profession doit nécessairement nous conduire à nous inscrire en faux contre la dévaluation du diplôme de psychologue et la pratique de la psychothérapie psychologique au nom du principe de non-discrimination. En effet, de quoi l’avenir des futurs psychologues peut-il être fait, si d’aventure leur diplôme de master (cinq à six années d’études) possède la même valeur marchande qu’un titre de psychothérapeute obtenu au rabais, c’est-à-dire moyennant l’accomplissement d’une formation théorique de 400 heures et d’une formation pratique de cinq mois de stage, notamment dans des instituts privés ? (quatrième projet).
Nous nous opposons absolument à ces contorsions manipulatoires. C’est ainsi, chers confrères, que nous exprimons auprès de vous, comme nous le faisons auprès des 600 députés et sénateurs, notre plus vive colère ainsi que notre plus nette détermination.
À ce titre, le SPEL adopte clairement le parti de se poser en défenseur des intérêts directs de la profession.
En outre, nous nous vouons également à mettre en garde la profession contre un problème de santé publique, dans la mesure où l’esprit de cette loi sera, à supposer que soit acquise l’adoption du décret, détourné de son sens, pis, mettra les usagers en danger. En effet, comment vouloir notamment prétendre dresser un rempart solide contre toute forme d’abus en santé mentale, si la légalisation du titre de psychothérapeute ne protège pas les usagers contre les dérives : des gourous du bien être et du tout-psy (450 techniques sauvages), des thérapeutes non diplômés d’État, des médecins non spécialisés du psychisme.
Nous estimons pourtant que la volonté du ministère n’est pas coulée dans le marbre et que, de ce fait, les choses peuvent encore évoluer.
Ainsi, le ministre de la Santé et des Solidarités, monsieur Xavier Bertrand, s’est engagé par écrit auprès de plusieurs députés à exiger l’obtention d’un niveau master pour l’usage du titre de psychothérapeute. Il avait même rappelé, lors de la réunion de  concertation du 7 avril 2006, que le futur titre de psychothérapeute ne s’analyserait pas comme une nouvelle profession.
Les faits nous invitent à faire preuve d’une prudence extrême, et à tirer la sonnette d’alarme, tant il demeure patent que le ministère, soumis lui-même à des pressions de toutes sortes, cultive une ambiguïté certaine, et même dangereuse, entre, d’une part, la formation initiale universitaire (master de psychologie ou doctorat de médecine spécialité psychiatrie) et, d’autre part, une formation secondaire en psychothérapie (voire explications ci-dessus).
Or, il est clair que celle-ci (la formation en psychothérapie) ne peut que constituer une spécialité à part entière de celle-là (la formation en psychologie), puisqu’il existe déjà dans le cadre universitaire un master de psychologie et de psychothérapies, ce qui, doit-on le reconnaître, est la seule façon d’instituer la formation en psychothérapie à la fois sur des fondements scientifiques et des connaissances fondamentales de hauts niveaux théorique et pratique.
En somme, le risque est bien trop grand de voir la traduction réglementaire de l’article 52 de la loi du 9 août 2004 pervertir l’esprit même de cette loi en cautionnant notamment les mauvaises pratiques et les pratiques sectaires.
Pour éviter ce risque, le SPEL, au nom de la défense de tous les psychologues et, notamment, des psychologues en exercice libéral et à raison des exigences cardinales de santé publique, mène une action d’envergure, sans relâche depuis plus d’un an, auprès des parlementaires et du ministère de la Santé, et a cru également utile d’être assisté d’un avocat pour parer à toute éventualité défavorable. Dans ce sens, sachez donc que si le SPEL ne pouvait être entendu et que, ce faisant, le gouvernement, après avis du Conseil d’État, maintenait le texte initial, le SPEL, dès la publication du décret d’application, n’aurait aucun état d’âme à s’engager dans une voie contentieuse.
Devant ce projet de décret, psychologues, unissons-nous, car notre avenir est en jeu !
Encore une fois : diplômés et futurs diplômés, votre master de psychologie clinique et pathologique ne sera plus coté, puisqu’une nouvelle profession bâtie artificiellement, sans légitimité scientifique, sans socle éthique et déontologique validé par un haut niveau universitaire et d’accès commode, lui fera une concurrence scandaleusement déloyale !
Luttons contre le libre jeu de la marchandisation de l’esprit humain et la dévalorisation, voire la disparition de votre diplôme et de la profession.

Mireille Bouskela, Présidente
Catherine Besson, Présidente de la commission déontologie
Syndicat des psychologues en exercice libéral (SPEL)
Tél. : 01 48 79 22 43
www.syndicat-spel.org
http://www.syndicat-spel.org
syndicatspel@aol.com

 

Pour citer cet article

Collectif  ‘‘La fin des psychologues cliniciens ? Dernier projet de réglementation du titre de psychothérapeute‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/la-fin-des-psychologues-cliniciens-dernier-projet-de-reglementation-du-titre-de

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