Les enfants cérébro-lésés : souffrance cognitive, psychique et somatique

Le Journal des psychologues n°246

Dossier : journal des psychologues n°246

Extrait du dossier : La douleur : expérience et subjectivités
Date de parution : Avril 2007
Rubrique dans le JDP : Pratiques professionnelles > Enfance
Nombre de mots : 4100

Présentation

Comment prendre en charge les enfants cérébro-lésés présentant des troubles organiques, cognitifs et psychiques qui ne sont pas associés à une déficience mentale ? La difficulté sous-jacente tient à la multiplicité des professionnels sollicités. Il est, en effet, fondamental de penser cet accompagnement dans une concertation pluridisciplinaire qui soutiendra le sujet dans sa globalité.

Détail de l'article

Lorsqu’un enfant souffre de troubles organiques, cognitifs et psychiques associés, sans présenter de déficience mentale, il déroute beaucoup son entourage, proche et professionnel, qui se demande souvent ce qu’il est possible de faire pour lui. Les enfants cérébro-lésés précocement sont particulièrement exposés à l’association de ces perturbations et aux difficultés d’accompagnement qu’elles entraînent dans le milieu ordinaire, mais aussi dans le milieu spécialisé. Certains parcours constituent des exemples, transposables à d’autres situations de vulnérabilité, à propos desquels nous proposons une réflexion portant sur la nature des troubles, les conditions qui les favorisent et celles qui permettent d’y remédier (Crouail A., Maréchal F., 2006).

 

Exemple des lésions cérébrales précoces

Les lésions cérébrales précoces désignent des pathologies de causes diverses (par exemple, infirmité motrice cérébrale, accident vasculaire cérébral, traumatisme crânien, tumeur cérébrale), atteignant le cerveau en développement, avant, pendant, ou après la naissance, au cours des premières années de la vie. Les troubles sont très variables pour une même pathologie, tant par leur intensité que par leur nombre et la forme prise par leur association. Ils portent principalement sur les fonctions perceptives, motrices et cognitives. Les plus fréquents sont les troubles de l’attention, du langage oral et écrit, du dénombrement, des praxies (1), de la représentation spatiale et du schéma corporel. On observe aussi des combinaisons spécifiques comme la dyspraxie visuo-spatiale (Mazeau M., 1995) qui associe les troubles du regard (2) à ceux de la représentation spatiale et à la dyspraxie constructive (3).
La diversité de ces atteintes, principalement d’origine neurologique pour ces pathologies, nécessite des examens médicaux, psychologiques et paramédicaux, pour évaluer les difficultés de l’enfant et déterminer l’accompagnement individualisé dont il aura besoin. Les rééducations – kinésithérapie, orthophonie, psychomotricité, ergothérapie – y tiennent souvent une place importante et, de ce fait, sont accusées fréquemment de perturber la scolarité, car elles alourdissent l’emploi du temps et réduisent la présence en classe. Certains parents et enseignants y voient la cause des troubles cognitifs de l’enfant, ce qui est une grave erreur d’appréciation. Les rééducations, comme les soins, sont absolument indispensables pour soutenir l’évolution de l’enfant cérébro-lésé précocement, présentant une atteinte moyenne ou sévère, ce qui oblige à penser son accompagnement en conséquence.
Certains parmi ces enfants sont parfois marginalisés à cause de leurs difficultés cognitives et psychiques plus que par l’intensité de l’atteinte organique elle-même qui peut entraîner une dépendance fonctionnelle partielle ou totale. Mais l’autonomie peut aussi être préservée (4). Apparemment « valides », des enfants ou des adolescents sont confrontés à un échec scolaire important, lié à des troubles neurocognitifs (Mazeau M., op. cit.) encore trop méconnus, voire déniés par l’entourage, ainsi qu’à des troubles psychologiques. La réponse la plus courante est de proposer une psychothérapie et (ou) des rééducations qui sont indéniablement utiles, mais insuffisantes pour la problématique que nous allons présenter qui nécessite une approche globale, associant étroitement les dimensions thérapeutiques, éducatives et pédagogiques.

 

Un parcours difficile

Âgé de treize ans, Henri présente un échec scolaire préoccupant depuis l’école primaire. Les enseignants du collège ne savent comment l’aider, car son retard d’acquisition paraît important. Il ne peut travailler seul. Ses parents assurent les devoirs à la maison sans pouvoir reconnaître les difficultés de leur fils. Il souffre d’une atteinte motrice qui nécessite un suivi en kinésithérapie plusieurs fois par semaine. L’atteinte organique exige une surveillance médicale régulière et des soins quotidiens contraignants. Il a subi aussi plusieurs hospitalisations pendant les premières années de la vie et au cours de son enfance.
Après un parcours scolaire ordinaire, compliqué par son agressivité, le rejet des camarades et l’impossibilité pour les enseignants, surchargés et non informés, de prendre en compte ses difficultés spécifiques, il est accueilli dans une structure adaptée avec internat. Dépassés par les conflits centrés sur les résultats scolaires qui ne correspondent pas à leurs attentes et par les contraintes des soins et des rééducations, les parents ont accepté cette orientation malgré leurs réticences, car ils souhaitaient un cursus en milieu ordinaire pour leur fils. Mais les tensions familiales, devenues insupportables, ont besoin d’être apaisées. L’accueil en internat permet de proposer un suivi éducatif ainsi que l’accompagnement de la famille dans l’objectif d’améliorer les interactions.
Isolé ou agressif, Henri recherche des relations privilégiées exclusives avec les adultes. Lorsqu’il parvient à réaliser les productions scolaires qui lui sont demandées, une confusion cognitive est mise en évidence malgré l’existence de bonnes capacités verbales évaluées avec l’échelle de Wechsler (5). Les résultats de l’examen psychologique montrent aussi des difficultés logicomathématiques, des troubles de la représentation spatiale, du schéma corporel et de l’image du corps. Henri présente une dysharmonie cognitive ainsi qu’une dyspraxie visuo-spatiale. Les troubles d’origine neurologique s’articulent étroitement aux troubles psychologiques dont nous allons reparler.
Au début de son accueil en milieu adapté, il refuse tout, voulant retourner dans le milieu ordinaire, ne supportant pas la présence des autres enfants handicapés, « parce qu’avec les valides, il oublie son handicap ». Il dort ou « rêve » pendant les cours. Il agresse les camarades qui réussissent mieux que lui. Il reste isolé pendant le temps réservé aux activités éducatives. Cependant, les adultes référents de son groupe, deux éducateurs et deux enseignants, réussissent à établir des liens de confiance avec lui en reconnaissant la détresse qu’il essaie de dissimuler derrière ses attitudes de prestance et son agressivité. Peu à peu, Henri va exprimer ses préoccupations et ses angoisses, y compris pendant le temps scolaire.

 

Des angoisses envahissantes

Voici une des réalisations en français après plusieurs mois de refus.
Texte du devoir proposé par le professeur de français (6) :
Rédaction (voir illustration 1) :

 

 

Promenez-vous !
Vous entrez dans cette librairie. Une étrange aventure vous y attend... Racontez.

Le professeur demande d’écrire la rédaction en respectant les consignes étudiées en classe : introduction - développement - conclusion.
Texte de la rédaction d’Henri :
(La ponctuation et les fautes sont respectées, ainsi qu’une tendance à confondre les lettres « n » et « m »)
« J’entre dans cette librairie, pour commander un livre de poche : les lettres de mon moulin (parce que je veux le livre mais uniquement en livre de poche).
Donc, j’entre dans la librairie (qui est très ancienne) ; déjà, le craque à mes pas ; la porte grince quand je l’ouvre ; le toit se fissure d’un peu partout (comme si il allait me tomber sur la tête) ; sur les nur, des peintures datant du XVIe siècle. Il n’y avait même pas de caissières. donc, j’ai attendu 5 minute, que quelqu’un me serve. Au bout de 5 minutes, toujours personne, et puis... Ah... C’était le plafond qui ne tombait sur la tête. heureusement les pompiers travaillaient juste en face alors, il sont venuent ; a m’ont dégager et ils ont apeler une ambulance pour me transporter à l’hopital. Et la suite... est que l’on m’a mis sur la table d’opération. et, je suis mort...
Conclusion : il ne faut (mot illisible) regarder où acheter où commander dans une ancienne librairie, car on ne sait jamais ce qui peut arriver.
»
Ce texte exprime des peurs qui participent fortement à l’indisponibilité pendant les activités cognitives : la crainte de mourir, d’être écrasé, annihilé. Mis en confiance par l’équipe qui l’entoure et par son professeur de français qui favorise la libre expression et en respecte les contenus, la vieille librairie est l’occasion pour Henri d’exprimer son manque de sécurité intérieur et ses angoisses.
Ce type de production est en général mal toléré par l’entourage adulte, proche ou professionnel. Les réactions habituelles consistent à induire les modifications nécessaires pour que l’histoire soit « plus gaie », conforme à la représentation idéalisée que nous nous faisons de la jeunesse où les manifestations dépressives sont difficilement supportées, voire déniées. Cette attitude très courante, pleine de « bonnes intentions », a pour visée d’éviter la souffrance. Pourtant, il est très important pour l’enfant ou l’adolescent, envahi par des angoisses qui paralysent son évolution et ses apprentissages, que ces dernières soient accueillies et reconnues pour ce qu’elles sont : l’expression d’une souffrance psychique qui participe à la confusion cognitive.

 

La lutte contre la confusion intérieure

Voici un exemple de confusion cognitive liée aux difficultés créées par la dyspraxie visuo-spatiale, associée à la problématique psychique qui a entravé les acquisitions en géométrie comme dans les autres matières. Dans le milieu adapté, Henri a mis plusieurs mois avant de reprendre suffisamment confiance en lui pour s’intéresser aux apprentissages et affronter la confusion intérieure qu’il doit combattre, dans cet exemple, avec l’aide de son professeur de mathématique.
● Devoir sur « les segments » proposé par le professeur de mathématique
« Trace deux segments [EGJ et [FH] perpendiculaires et ayant le même milieu. »
● Première figure d’Henri
Il trace la figure suivante, c’est-à-dire deux segments perpendiculaires, mais sans tenir compte de la consigne concernant le milieu commun. Il dessine de sa propre initiative les quatre côtés du quadrilatère, probablement pour retrouver une figure plus familière.

 

 

Son professeur intervient :
« Pour comprendre ton erreur, place I milieu de [EG]. »


Henri place le point I sur le segment [FH].
Son professeur lui demande :
« Regarde I ; montre-moi le segment dont il est le milieu. »
Henri montre [EG] à la grande surprise de son professeur qui insiste pour lui faire confirmer sa réponse.
« Le point I est-il sur le segment [EG] ? »

 


Henri répond affirmativement.
Une telle démarche laisse le pédagogue perplexe. Il serait possible de penser qu’Henri répondît n’importe quoi. Mais cette supposition est peu probable, car il se montre très motivé pendant cet exercice. Par ailleurs, le trouble de la poursuite oculaire, retrouvé dans la dyspraxie visuo-spatiale qu’il présente, fait obstacle à l’exploration régulière et linéaire des figures (ici le segment sur lequel se trouve le point I qu’il a lui-même placé). De plus, il a subi pendant son enfance, semée d’embûches, des situations de discontinuités émotionnelle et environnementale qui l’ont confronté psychiquement à la menace de la perte, ce qui ne lui a pas permis de construire une représentation unifiée de lui-même et du monde suffisamment solide (7) (Berger M., 2006). Les angoisses d’écroulement et d’annihilation exprimées dans le devoir de français sont des manifestations de cette problématique, comme la difficulté à se représenter clairement la continuité, la linéarité en géométrie (ici, celle des segments).
La confusion cognitive apparaît comme la conséquence de deux facteurs, neurologique et psychologique, se renforçant l’un l’autre. Cependant, le soutien relationnel et les adaptations pédagogiques, dont Henri a bénéficié dans le milieu adapté, lui ont permis progressivement d’accéder à une plus grande cohésion interne. Il a pu reprendre ses acquisitions.
Dans cet exemple, son professeur lui propose une analyse séquentielle de la figure en la décomposant élément par élément, c’est-à-dire pour cet exercice, en surlignant chacun des segments avec une couleur différente : bleue pour [EG] et jaune pour [FH]. Puis le professeur invite son élève à s’intéresser d’abord au segment jaune et à placer son milieu M ; ensuite au segment bleu et à placer son milieu I.
● Deuxième figure tracée par Henri

 

 

[EG] est surligné en bleu et [FH] en jaune par Henri sur la suggestion de son professeur.
Remarque d’Henri :
« Ah ! Ils n’ont pas le même milieu. »
Il refait immédiatement la figure.
● Troisième figure tracée par Henri

 

[EG] surligné en bleu et [FH] en jaune

Ce troisième tracé est la bonne réponse.
La confusion cognitive d’Henri est liée à des difficultés à se représenter la continuité et à différencier le tout et les parties (ici, les segments [EG] et [FH] ainsi que leurs milieux respectifs). La réversibilité nécessaire dans ce type de représentation (appréhender le tout et en différencier chacune des parties ou appréhender les parties et les regrouper en un tout) est un processus d’ordonnancement mental qu’il n’a pu intégrer correctement, trop souvent confronté pendant son enfance à des situations discontinues, et soumis en permanence aux déformations perceptives dues à la dyspraxie visuo-spatiale.
Cependant, cet exemple démontre qu’il possède les aptitudes requises pour parvenir à plus de cohésion intérieure, à condition de bénéficier d’un accompagnement capable de le soutenir dans sa singularité pour lui permettre de reprendre son développement là où il est resté en attente. Au bout de trois années, il lui sera possible d’envisager la préparation du Brevet élémentaire professionnel en milieu spécialisé.

 

Expériences de discontinuité et effet désorganisateur sur le développement

Les perturbations en rapport avec les lésions cérébrales précoces entravent la découverte et l’appropriation du monde extérieur pendant la petite enfance ; comme la dyspraxie visuo-spatiale qui détériore la fiabilité perceptive et l’acquisition d’une dextérité pour agir sur le monde... Elles participent par les discontinuités qu’elles introduisent au cours des expériences de l’enfant à l’instauration d’une représentation de soi et du monde fragile, mal unifiée, insuffisamment fiable, sur laquelle le sujet ne peut s’appuyer. L’enfant se trouve alors confronté au cours de sa croissance, malgré ses efforts, à des déceptions trop fréquentes et décourageantes, surtout si son entourage ne reconnaissant pas ses difficultés spécifiques lui impose des exigences impossibles à satisfaire qui constituent des forçages éducatifs et (ou) cognitifs non intégrables psychiquement.
Par ailleurs, le handicap, ses contraintes et les décisions qu’il exige sans espoir d’une restauration de l’intégrité, constitue une source de souffrance pour les parents, parfois sous la forme de traumatismes psychiques répétés. L’enfant peut alors subir l’indisponibilité émotionnelle de ses proches de façon imprévisible pour lui, en fonction des évènements douloureux.
Les hospitalisations, parfois nombreuses pendant l’enfance, déterminent des séparations d’avec l’environnement familier de l’enfant. Malgré les précautions prises et l’attention de l’entourage proche et professionnel, elles constituent des discontinuités qui laissent des empreintes psychiques traumatiques lorsqu’une intervention chirurgicale et (ou) des soins sont nécessaires, sans que l’enfant ait bénéficié de l’opportunité de les intégrer pour lui-même (Robert Ouvray S. B., 2001).
Pour ces raisons et pour d’autres qu’il n’est pas possible de développer ici, l’enfant cérébro-lésé précocement peut être exposé, parfois dès la naissance, au « trop » et au « trop peu », voire dans les situations les plus catastrophiques, à « l’excès » et à la « carence » (ibid.). La continuité émotionnelle dont il a besoin ne peut être suffisamment fiable lorsque les parents sont envahis par la souffrance traumatique du handicap, lorsqu’ils ne peuvent reconnaître les difficultés spécifiques, lorsqu’ils subissent avec leur enfant les représentations et les réactions sociales ambivalentes de disqualification ou d’idéalisation (Sausse S., 1996) qui éloignent du véritable soi... La continuité matérielle et environnementale ne peut être suffisamment stable du fait des troubles perceptivo-moteurs qui entravent l’intégration d’une représentation cohérente du monde extérieur (voir les travaux de Mazeau M., op. cit.), des ruptures avec le familier qui sont parfois subies sans compensation affective suffisante, d’une inadaptation de l’environnement aux besoins spécifiques liés à la pathologie... Lorsque ces situations se multiplient, elles placent psychiquement l’enfant sous la menace de la perte, instaurant un vécu sans repère fiable, ce qui altère l’intégration du sentiment d’unité et le sens de la continuité, en maintenant la confusion intérieure. Les conséquences sur les développements psychique et cognitif sont plus ou moins graves selon les épreuves subies.

 

Les perturbations psychiques
Quatre symptômes sont observés lorsque l’enfant ou l’adolescent a été trop souvent confronté à ce type d’épreuves : l’atteinte de l’estime de soi, le manque de confiance, une image du corps dévalorisée, les troubles du schéma corporel.
On retrouve aussi des difficultés à conserver du vivant en soi (Berger M., op. cit.) manifestées sous la forme d’angoisse de mort, d’écroulement (comme Henri), d’idées ou de tentatives de suicide, un sentiment de vide intérieur, voire de déshumanisation, exprimé par des thèmes de solitude, de dévitalisation... Le sujet a besoin de se sentir exister à travers l’autre, d’où un « collage » relationnel, quel que soit l’âge, et la quête de relations exclusives. Toute transformation renvoie à la peur du changement, éveille la menace de la perte et ses angoisses, ce qui détermine pour s’en défendre un accrochage au familier à tous les niveaux relationnel, matériel et cognitif (comme Henri qui trace un quadrilatère, figure connue, lorsque son professeur lui propose un exercice sur les segments pour la première fois). Le clivage et le déni préservent le sujet de l’insupportable.
La maladresse gestuelle, les troubles de l’organisation et les troubles psychosomatiques sont souvent présents ainsi que des éléments hallucinatoires.

 

Les perturbations cognitives
Le sens de la continuité n’ayant pu s’établir de manière satisfaisante à cause de la menace de la perte, la construction des contenants de pensée indispensables pour retenir, saisir et réfléchir ? (ibid.) se trouve entravée. Certains domaines de l’efficience intellectuelle sont préservés, mais d’autres ne peuvent se développer normalement ou restent en suspens. L’enfant ou l’adolescent ne sait par où commencer, continuer, s’arrêter (de Barbot F., et al., 1989), car il ne peut se représenter clairement la linéarité, l’origine et la finalité. La construction des invariants est fragile, d’où les difficultés pour appréhender les transformations et la diversité. L’enfant ou l’adolescent se perd dans une représentation confuse du tout et des parties, du fond et de la forme, des différentes caractéristiques des objets... Plusieurs pensées ne pouvant coexister, le sujet se disperse, il oublie ce qu’il apprend, car une pensée chasse l’autre (Berger M., op. cit.). Les affects liés à la menace de la perte envahissent les processus cognitifs, comme nous l’avons vu avec l’exemple de « La librairie ».
La confusion de la pensée se répercute sur le langage oral et écrit, la lecture, l’écriture, l’orthographe et le calcul.

 

L’articulation des troubles d’origines neurologique et psychologique

Ces perturbations liées à un passé insuffisamment étayant peuvent s’articuler aux troubles d’origine neurologique, comme la dyspraxie visuo-spatiale ou comme les atteintes du langage oral et écrit, du dénombrement, de l’attention, de la concentration, de la mémoire, des praxies et de la représentation spatiale. Nous supposons que les deux facteurs se renforcent étroitement l’un l’autre, ce qui expliquerait la réversibilité de certains troubles dans les domaines psychiques et (ou) cognitifs, lorsque les conditions appropriées sont proposées au sujet.

 

La réversibilité des troubles

Les difficultés d’une représentation non unifiée de soi renvoient à des déséquilibres somato-psychiques installés dès la petite enfance. Les enfants handicapés de naissance sont donc exposés pour les raisons que nous avons décrites et qui leur sont propres, sans pour autant être les seules, comme l’a montré Maurice Berger en prenant pour exemple les plus démonstratifs certains parcours d’enfants placés à l’Aide sociale à l’enfance soumis à « l’excès » et à la « carence ».
Cette problématique se différencie des dépressions et des psychoses, telles qu’elles sont classiquement décrites. Mais des éléments dépressifs ou psychotiques y sont retrouvés. Les difficultés que nous évoquons sont éloquentes sur ce point. Nous les avons le plus souvent rencontrées du côté de la dépression avec une reprise du développement au bout de quelques mois et une réversibilité de certains symptômes psychiques et cognitifs demandant en général, pour des adolescents, un accompagnement particulier de trois à quatre années.

 

Un accompagnement spécifique

L’enfant ou l’adolescent souffrant de troubles somatiques, cognitifs et psychiques, relève d’un accompagnement spécifique sans lequel il ne peut retrouver la continuité de son développement là où elle s’est rompue (Berger M., op. cit.).
Les conditions requises nous paraissent être principalement les suivantes :
● stabilité de l’équipe et du cadre matériel avec un petit effectif ;
●l unité de lieu avec internat pour regrouper la scolarité, les suivis thérapeutiques et éducatifs et pour permettre une approche pluridisciplinaire cohérente ;
● reconnaître la souffrance psychique et en accepter les manifestations en laissant au sujet la possibilité d’exprimer sa position affective du moment (ibid.), quel que soit le cadre, pour maintenir la continuité ;
● prendre en compte les difficultés spécifiques, neurocognitives ou autres, et proposer les adaptations nécessaires qui constituent des repères étayants sur lesquels le sujet peut s’appuyer pour évoluer ;
● favoriser l’apaisement des tensions familiales en proposant des relais pendant la semaine, les week-ends et les vacances et par l’accompagnement des parents ;
● un suivi éducatif de qualité pour aider le sujet à s’ouvrir au monde et aux autres, à investir des projets personnels et collectifs... ;
● respecter scolairement les niveaux d’acquisition qui sont hétérogènes, parfois nettement inférieurs à la norme du groupe d’âge dans plusieurs domaines.

 

Conclusion

Un même environnement « pour être comme les autres, avec les autres », proposé par le mouvement actuel en faveur de l’intégration dans le milieu ordinaire, quelle que soit la nature du handicap, ne suffit pas pour répondre à la complexité des problèmes rencontrés par les enfants et leur famille. Tous les enfants n’ont pas les mêmes besoins. Les parcours des enfants et des adolescents que nous avons pris comme exemple le démontrent clairement. Un cadre matériel et relationnel particulier est indispensable pour qu’ils ne soient plus confrontés à des situations désordonnées (ibid.) qui réactivent les traumatismes des expériences passées. La stabilité, la continuité, la cohérence, la réassurance, sont des contenants indispensables, le plus tôt possible, pour que ces sujets puissent se construire.
Cet accompagnement doit être totalement individualisé et global, à la fois thérapeutique, éducatif et psychopédagogique. Aucune de ces trois approches ne peut prétendre à la priorité pour ces enfants et adolescents, ce qui nécessite une concertation pluridisciplinaire de la part d’intervenants soumis à la confidentialité, capables de respecter la mission et la place de chacun, tout en partageant ce qui est commun pour la cohérence du suivi. La réversibilité des troubles cognitifs et psychiques, selon les ressources propres, dépend étroitement du travail en lien d’une équipe de professionnels motivés, sensibilisés et impliqués, qui dispose des moyens du milieu spécialisé. Toute approche isolée ou éparpillée, apporte des améliorations. Mais elle ne peut pas soutenir pleinement la reprise de l’évolution d’un sujet qui, pour naître à lui-même et au monde, doit s’appuyer sur une continuité et une stabilité relationnelle et matérielle, articulées à l’ensemble de ses besoins spécifiques. En conséquence, par les moyens dont il dispose, le milieu spécialisé participe à l’intégration des enfants et des adolescents en situation de vulnérabilité. Accusé trop souvent d’exclusion, « de tirer vers le bas », il est au contraire urgent de l’améliorer et de le valoriser pour que le plus grand nombre d’entre eux trouvent une place adaptée capable de les soutenir. Tout en étant indispensables et complémentaires pour une véritable insertion, les aménagements entrepris dans le tissu social « ordinaire » ne disposent pas des moyens suffisants pour répondre à la diversité des besoins spécifiques. ■

 

Notes
1. Les praxies désignent la coordination normale des mouvements propres aux gestes volontaires impliquant un projet d’action. Leur perturbation est fréquente dans le cas des lésions cérébrales précoces par anomalie cérébrale de la planification du geste qui se répercute sur certains aspects des activités cognitives et de la vie quotidienne.
2. Les troubles du regard se caractérisent par la perturbation de la fixation, de la poursuite et de l’exploration, due à des saccades incontrôlables, à la lenteur et à la faible amplitude du mouvement oculaire. Ils entravent de nombreuses acquisitions. Voir les travaux de Michèle Mazeau à ce sujet.
3. La dyspraxie constructive est une atteinte des capacités d’assemblage avec pour conséquence la difficulté de réaliser les nombreuses activités qui s’y rapportent.
4. Un enfant peut présenter une légère claudication dans le cas de l’infirmité motrice cérébrale, mais souffrir de troubles neurocognitifs importants qui entravent ses acquisitions scolaires.
5. Les échelles de Wechsler se composent de trois tests, correspondant à des tranches d’âge différent, qui évaluent l’efficience intellectuelle.
6. Document de Nathalie Lagrange, professeur de français.
7. La problématique psychologique évoquée dans ces pages a été décrite par cet auteur. Nous conseillons au lecteur de se reporter à son ouvrage dont les références sont mentionnées dans la bibliographie qui se trouve en fin de l’article.

 

 

Bibliographie

Barbot de F. et al., 1989, Pour une meilleure intégration scolaire des enfants, IMC,  CTNERHI, Paris.
Berger M., 2006, Les Troubles du développement cognitif, [1992], Privat, Paris (3e édition, Dunod, Paris).
Crouail A., Maréchal F., 2006, Prise en charge globale de l’enfant cérébro-lésé, Paris, Masson.
Mazeau M., 1995, Déficits visuo-spatiaux et dyspraxies de l’enfant, Masson, Paris.
Robert Ouvray S. B., 2001, Enfant abusé, enfant médusé, Desclée de Brouwer, Paris.
Sausse S., 1996, Le Miroir brisé, Calmann-Lévy.

 

Pour citer cet article

Maréchal Françoise, Crouail Alain  ‘‘Les enfants cérébro-lésés : souffrance cognitive, psychique et somatique‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/les-enfants-cerebro-leses-souffrance-cognitive-psychique-et-somatique

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