Lorsque les médecins de la douleur font de la psychologie…

Le Journal des psychologues n°246

Dossier : journal des psychologues n°246

Extrait du dossier : La douleur : expérience et subjectivités
Date de parution : Avril 2007
Rubrique dans le JDP : Dossier
Nombre de mots :

Auteur(s) : Bioy Antoine

Présentation

Depuis peu de temps, le champ de la douleur voit fleurir des somaticiens se proclamant psychothérapeute.
Cet état de fait sous-entend que des psychothérapie, ou même du soutien psychologique, pourraient être conduites dans les consultations médicales. C’est une position pouvant s’approcher d’un modèle de toute-puissance que nous tentons de questionner ici.

Détail de l'article

L’intérêt que porte la médecine à la question de la douleur est à la fois récente et tout à fait passionnante. La douleur a longtemps été perçue comme un symptôme consécutif et normal de certains soins médicaux et chirurgicaux, mais aussi comme un signe clinique participant à un diagnostic. La non-légitimité démontrée de ce dernier point, mais aussi un intérêt tout particulier pour l’éthique des soins ont fait évoluer les pratiques depuis une petite vingtaine d’années, avec notamment la création de praticiens spécialisés dans les syndromes algiques.
Si cette spécialisation médicale n’est pas encore reconnue officiellement (elle le sera très probablement dans les années à venir), elle va cependant être proposée sous peu dans la formation initiale des médecins avec la mise en place d’un DESC (1) « douleurs et soins palliatifs » d’ici à probablement deux ans.
Pour beaucoup, les anesthésistes-­réanimateurs sont au cœur de cette petite révolution dans les prises en charge médicales. Pour principalement deux raisons : d’abord parce qu’ils étaient « en première ligne » de cette question, avec toute la panoplie des douleurs postopératoires et de leur éventuelle prévention. Mais aussi parce que leur métier les conduisait déjà à manier des produits aux effets antalgiques, tels certains psychotropes (comme la morphine) ou encore des anesthésiques (comme la kétamine). On pourrait également y voir un désir de nombre d’entre eux de renouer avec une vraie relation humaine médecin-patient alors que, jusque-là, schématiquement, ils ne s’adressaient qu’à des corps endormis par leurs soins. Ainsi, de la prise en charge et de la prévention des douleurs aiguës, ils se sont rapidement intéressés aux douleurs chroniques et sont à l’initiative de la création de structures hospitalières de prise en charge des douleurs (unités, centres, consultations).
Chose remarquable, les psychologues (plus que les psychiatres) ont rapidement eu une place de choix dans ces structures douleurs. Une étude à paraître montre l’importance de la place des psychologues dans ces lieux, et l’excellence des rapports qu’ils entretiennent majoritairement avec leurs collègues médecins mais aussi soignants (2). Pourtant, la conception de la dimension psychologique attenante à la question du patient douloureux pose certaines difficultés et incompréhensions.

 

Les « douleurs psychogènes »

La définition généralement retenue lorsque l’on parle de douleur est celle de l’International Association for the Study of Pain (IASP) : « Une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, liée à des lésions tissulaires réelles ou potentielles ou décrites en des termes évoquant de telles lésions. » Consensuelle, cette définition mêle d’emblée la médecine (physiologie) et la psychologie (émotions et place de la parole servant à décrire les troubles). La douleur peut dans ce schéma recouvrir deux profils différents : aigu et chronique.
Là où les choses deviennent plus pernicieuses, c’est que les douleurs sont généralement classées selon trois modalités : par excès de nociception (lésions des tissus périphériques), neurogènes (lésions du système nerveux, en amont du système périphérique) et psychogènes. Cette dernière catégorie se définit de la façon suivante : « Abaissement du seuil nociceptif lié à des désordres thymiques » (Queneau P., Ostermann G., 2000) et correspond en fait à des « douleurs sans lésions apparentes malgré un bilan étiologique attentif : la douleur psychogène est une douleur vécue dans le corps, mais dont la cause essentielle serait dans le psychisme » (Ibid. p. 23). Or, cette approche tout à fait commune dans le champ de la douleur engage deux soubassements d’importance.
Le premier est que cette catégorie regroupe, de façon plus ou moins dite, les douleurs qui n’entrent pas dans les deux premières classifications (par excès de nociception, neurogènes), faisant des douleurs psychogènes une boîte de rangement bien pratique pour les praticiens qui refusent de considérer que leur savoir est encore partiel. Pour eux, tout se passe comme si ce qui n’était pas encore explicable somatiquement relevait forcément de la psychologie ou de la psychiatrie, que « la cause essentielle serait dans le psychisme », pour reprendre la définition donnée. Mais, il est vrai que, face au malade souffrant, donner un diagnostic par défaut même sans éléments fiables venant l’étayer est souvent plus aisé que d’avouer son ignorance. Cette position est cependant risquée, puisqu’elle peut faire naître un sentiment d’incompréhension majeur et parfois un sentiment d’exclusion, voire le réveil d’angoisses d’abandon, du fait que le « c’est psychique » s’accompagne souvent d’une adresse « au psy » comme une voie de garage vers lequel on pousse le patient. Il est alors bien difficile de recevoir le patient dans de bonnes conditions, et la relation psychologue-patient est d’emblée biaisée. L’autre risque de l’énonciation que les douleurs sont « psychogènes » est le fait que cette parole soit le plus souvent entendue comme « c’est dans votre tête » (ce qui est parfois congruent avec ce que pense le médecin sans qu’il ose pour autant l’énoncer de la sorte). Or, le « c’est dans votre tête » entraîne au mieux une incompréhension du patient (qui souffre dans sa chair) et, le plus généralement, une forte culpabilité.
Le second soubassement qui a guidé vers la création d’une classification des « douleurs psychogènes » est plus d’ordre méthodologique. Ces douleurs dites sine materia érigées en catégorie au même titre que les douleurs par excès de nociception et neurogènes obéissent à une méthodologie médicale, et ne relèvent pas de la méthodologie propre au champ des sciences humaines. En effet, on est ici dans une approche où les signes cliniques mènent à un diagnostic puis à un traitement qu’il soit pharmacologique ou psychothérapeutique. Pour ce dernier « traitement », le travail du psychologue est ici compris comme un analogue médicamenteux : quelques séances de prise de psy comme on prend un médicament, afin que le symptôme « psychogène » disparaisse. Cela place, là encore, le psychologue dans une position paradoxale, le rapprochant d’une fonction paramédicale qui n’est pas la sienne et qui influe sur la demande des patients qui viennent consulter, venant prendre leur « dose de psy » pour que leur mal disparaisse. Mais quid de la souffrance associée, de la façon dont le patient vit subjectivement son mal, et qui est le vrai matériel de travail du psychologue pour aider le patient à élaborer et à réévaluer ses investissements ?
Ajoutons également que lorsque les praticiens suivent cette classification des douleurs, cela suppose que seules les douleurs psychogènes relèveraient de la psychologie et que le poids des douleurs nociceptives et neurogènes ne peut intéresser les spécialistes du psychisme, puisque ces douleurs sont, elles, perçues comme simplement somatiques…
Ainsi, la classification des « douleurs psychogènes » est non seulement impropre, car imposant une dichotomie et non une complémentarité entre somaticiens et psys, mais de plus tend à imposer au psychologue une forme de travail qui n’est pas le sien où seul le soulagement du symptôme a de l’importance. Bien sûr que le psychologue peut ne pas s’en désintéresser, mais pour autant son savoir et ses méthodes le guident vers une autre forme de relation au patient, où la subjectivité occupe une place considérable.

 

De la « douleur psychogène » au fait psychosomatique

Évidemment, cette discussion autour de la pertinence d’une classification « douleurs psychogènes » renvoie à un archaïsme, celui de la perception qu’il existerait des symptômes psychosomatiques entendus comme découlant directement d’un trouble psychique. Cette pensée, comme le montre le psychologue Pascal-Henri Keller, relève avant tout d’une analogie avec la méthode médicale. Les troubles psychosomatiques ainsi compris relèvent d’un même mode de pensée que les troubles physiques : la cause est psychique d’un côté, somatique de l’autre, on relève des signes cliniques dans la parole d’un côté, dans le corps de l’autre, et l’on établit un traitement ad hoc : psychothérapeutique d’un côté, pharmacologique de l’autre. Il s’agit évidemment là d’une aberration d’un point de vue méthodologique, qui engage vers de nombreuses errances. Comme certains troubles ont été catalogués purement psychosomatiques dans le champ médical (maladie de Crohn, psoriasis…), certains troubles obéiraient de la même façon au « tout psychogène » dans le champ de la douleur : fibromyalgie, céphalées de tension, etc. Sauf que l’on peut remarquer que les progrès de la médecine avançant, on découvre peu à peu un soubassement somatique bien réel à ce qui est catalogué un temps « psychosomatique » ou « douleur psychogène », ce qui discrédite la tentation de certains psychologues à « jouer au docteur » sans l’avouer.
Mais, surtout, cette façon de penser ce qui pourrait être psychosomatique ou non fait oublier que, là encore, le propre de la démarche en psychologie clinique ne se situe pas là, mais dans le soutien proposé à celui qui souffre, sans « parier » de façon péremptoire sur l’origine de son trouble. Et c’est bien en cela que notre profession est complémentaire de la médecine et de son approche : un intérêt de la part du somaticien pour le symptôme du patient et, pour le psychologue, un intérêt pour le patient pris par son symptôme, quel qu’il soit et quelle qu’en soit l’origine. Succinctement dit, le médecin s’intéresse à la douleur et le psychologue à la souffrance où le mal n’est pas nié, mais où l’essentiel ne va pas se situer dans ce lieu qui reste avant tout le domaine d’expertise du médecin. C’est toute la force du dernier ouvrage de P. H. Keller (2006) de montrer combien la question de la psychosomatique a été une impasse pour les psychologues cliniciens et de proposer de revenir à une démarche qui relève purement et simplement de notre champ de compétence sans culpabilité face aux médecins qui « eux soignent » et aux neurosciences qui « elles démontrent scientifiquement ».
Il reste tout de même que le concept de « douleurs psychogènes » qui réveille une vieille croyance en psychosomatique aujourd’hui battue en brèche entretient un quiproquo sur le rôle, la place et la fonction des psychologues dans les structures dites « antidouleur ». Certaines douleurs seraient d’origine physique et intéresseraient le somaticien, d’autres d’origine psychique et interrogeraient le psychologue. Et puisque les premières ne con­cernent pas le champ de la psychologie, mais que parfois les troubles psychiques accompagnant la dysfonction physique deviennent trop apparents pour les ignorer (syndromes anxio-dépressifs, etc.), on adresse à un autre médecin, le psychiatre, pour une prescription de psychotropes, et ainsi éteindre le feu.
Une partie des structures « antidouleur » sont ainsi plongées dans un paradoxe total : ouvertement dites « pluridisciplinaires » et prenant en charge le patient dans son intégralité, sur le terrain, c’est une mauvaise compréhension qui règne sur la place à accorder à la dimension psychologique accompagnant les syndromes algiques. Une mauvaise compréhension qui peut être entretenue par les psychologues eux-mêmes, s’ils acceptent avec complaisance et sans remettre en cause les adresses qui leur sont faites de certains patients qui leur sont envoyés pour soulager une « douleur psychogène », et qui ont par la suite bien du mal à faire émerger ce qui permet un exercice de la psychologie qui corresponde plus exactement à leurs prérogatives.

 

L’émergence des « médecins psychothérapeutes »

Depuis peu de temps, le champ de la douleur voit fleurir des somaticiens qui se proclament « psychothérapeutes » ou disent faire de la psychothérapie, voire du soutien psychologique, avec certains de leurs patients. Ce qu’ils entendent par là est qu’ils sont amenés à écouter et à discuter avec les patients autour de la souffrance que ces derniers expriment en consultation. Que cette souffrance soit d’emblée au premier plan, ou bien qu’elle apparaisse lorsque la douleur physique est partiellement ou totalement soulagée, et que tout ce qui est en lien émerge (association libre du patient autour de sa douleur et par exemple un épisode traumatique, difficulté familiale consécutive à un handicap induit par la douleur, etc.).
Même sans revenir sur la problématique de la formation de ces praticiens à l’exercice de la psychothérapie et à la compréhension de la dynamique psychique, on peut souligner qu’au-delà d’une méconnaissance de ce à quoi renvoie le terme « psychothérapie » ou même « soutien psychologique », c’est toute une négation du réel travail du psychologue et des suivis qu’il engage auquel on assiste ici. Ainsi qu’un aveuglement fondamental sur les conditions que cet exercice particulier requiert. Tout d’abord, cette prise de position montre que le soutien psychologique ou la psychothérapie ne sont perçus par ces praticiens que comme une écoute d’une parole « particulière » du patient et que, comme il existe des symptômes physiques et des symptômes psychiques, il existerait une parole relevant du corps et une autre relevant de l’esprit qu’ils sont parfois amenés à côtoyer et qu’ils se décideraient parfois également à « traiter » eux-mêmes.
Mais, aussi, dire qu’en consultation médicale pourraient se mener des psychothérapies ou même des soutiens psychologiques serait oublier toute la symbolique de la demande des patients qui, eux, savent bien qu’ils continuent à s’adresser à un somaticien, et que cette demande est d’emblée particulière et biaisée. D’autant que ces « psychothérapies médicales » suivent le plus souvent toute une prise en charge somatique et pharmacologique qui se résumerait ainsi : maintenant que l’on a traité le corps, traitons l’esprit. Là aussi, c’est toute une méconnaissance des soubassements de l’approche psychologique, lesquels sont barrés, niés, au profit d’une position dont il faut tout de même dire qu’elle flirte avec la toute-puissance et la renarcissisation du médecin par le patient, qui est loin d’être anodine dans ses fondements et objectifs, renvoyant le plus souvent au paiement d’une dette, celle induite par le soulagement des douleurs.
Mais, au-delà de la question du lieu et de la place, c’est bien sûr celle de la position de « tiers » propre au psychologue et qui est impossible autrement, et notamment en consultation médicale, qui se pose. Les ouvrages coordonnés par Eliane Ferragut aux éditions Masson (3) sont là pour rappeler combien les deux exercices, médical et psychologique, sont complémentaires mais non substituables l’un à l’autre.
Ajoutons enfin que certaines pratiques qui ont investi le champ de la douleur au titre de « médecine complémentaire » ou « médecine douce » (hypnose, sophrologie, relaxation…) font penser à des somaticiens qui peuvent user des mêmes outils que les psychologues. Ils oublient simplement qu’à l’instar de l’écoute de la parole du patient, toute une culture professionnelle et une formation font que de mêmes méthodes n’ont pas les mêmes finalités, et correspondent encore moins à des pratiques similaires. L’outil ne définit pas la profession, mais c’est la profession, et ce qu’elle engage en termes de pratique, qui définit comment l’outil peut et va être utilisé (Bioy A., 2007).
Ce qui influence cet espace pour les « médecins psychothérapeutes » est d’une part, comme nous l’avons dit, la relation médecin-malade elle-même et la demande en lien avec la souffrance du patient, qui ne donne pas toujours lieu à une orientation. Mais, également, et en fait en lien, l’approche de la dynamique psychique du patient construit globalement sur l’analogie avec le modèle médical, qui met en équivalence les données psychiques et somatiques, ce qui permet une approche de l’un comme l’on approche l’autre. Diverses dimensions participent à cette confusion. Nous avions, dans ces pages (Bioy A., 2005), évoqué la dénomination de « psycho-oncologie » dont s’affublent certains psychologues travaillant en cancérologie. Cette dénomination laisse supposer par analogie avec les dénominations médicales que nous avions à faire avec une nouvelle spécialité en psychologie clinique. Le « retour de bâton » ne s’est pas fait attendre avec dans certains centres des « unités de psycho-oncologie » dirigés par des médecins, ou encore des interventions en conférence, congrès ou colloque sur la psycho-oncologie effectuée par des somaticiens !
Pour autant, il est indéniable cliniquement que tout médecin dans sa relation au patient peut avoir un « effet psychothérapeutique » malgré lui, du simple fait que la relation humaine instaurée peut avoir des effets réparateurs qui, même invisibles, seront à l’œuvre. Le hiatus naît donc dès lors que s’instaure une confusion des genres, et que le cadre médical évolue pour tenter de se rapprocher d’une autre forme d’accueil du patient. La relation intersubjective est alors profondément remaniée, mais là, en revanche, les données invisibles (inconscientes) auront un poids difficile à appréhender par un somaticien dans son implication au patient, ne serait-ce que par sa place même.

 

La douleur chronique dite « rebelle »

Ce qui engage certains praticiens à vouloir à tout prix donner un diagnostic, fût-ce de douleurs psychogènes, et à s’essayer du côté de la psychothérapie, est la difficulté à gérer une impuissance face au patient et à son symptôme qui n’épargne pas le domaine de la prise en charge des douleurs. Des slogans comme « la douleur n’est pas une fatalité » qui ont accompagné l’implantation des équipes spécialisées dans la douleur sur le terrain a laissé croire que la médecine peut tout dans ce domaine. Or, si la majeure partie des douleurs aiguës (postopératoires par exemple) peuvent effectivement être bien jugulées, il n’en est pas de même pour les douleurs chroniques. Et la réponse des patients était prévisible : « Pourquoi vous ne m’aidez pas ? », « pourquoi la douleur des autres peut être soulagée et pas la mienne ? » Face à l’incapacité d’atteindre le « zéro douleur » avec nombre de patients chroniques, la médecine est tentée de jouer à la cavalerie, et d’organiser une fuite en avant en créant une nouvelle étiquette : la « douleur chronique rebelle ». Parce que des mots sont posés sur le mal, on nie à la fois l’impuissance à faire et l’on repousse le moment où le « je ne sais pas » pourrait être prononcé.
Dans un article sur la iatrogénie (4), nous rappelons que ce terme permettait au médecin de « normaliser » ce qui était gênant : en qualifiant par exemple les douleurs des soins de « iatrogènes », on faisait mine de leur donner une justification en les nommant. On laissait penser que le médecin continue à contrôler puisque même l’incontrôlable était prévu et nommé. Il en est de même pour les « douleurs chroniques rebelles » qui, rappelons-le, si elles sont nommées, n’ont pour autant aucune définition officielle ou officieuse en médecine. Il s’agit juste d’un habillage opportun, permettant de masquer une incapacité de soulager.
Or, nous pourrions nous demander quel impact ce nouveau terme de « douleur chronique rebelle » pourrait avoir sur les patients, et il convient sans doute au psychologue des structures douleurs, notamment, de susciter la réflexion. Particulièrement, car le terme de « rebelle » est pernicieux, puisqu’il ne désigne pas à l’origine une chose, mais un être. Comment les patients vont-ils le recevoir ? Quel impact ce nouvel étiquetage va avoir sur eux ? Il s’agit là de questions pour l’instant sans réponses, puisque le terme est très récent, bien que son développement soit rapide. Néanmoins, elles nous semblent intéresser directement les psychologues qui, après avoir vu la déferlante « douleurs psychogènes » arriver en consultation, risquent fort de se retrouver avec le tsunami « douleurs chroniques rebelles », puisque, fondamentalement, ces deux termes renvoient à la même dimension : une lutte féroce pour ne pas admettre que la médecine peut être impuissante.
Certes, il restera toujours la souffrance des patients qui pourra être l’objet des entretiens. Mais, comme nous l’avons dit pour les douleurs chroniques rebelles, si un travail de réflexion n’est pas réalisé en amont portant sur l’impact des diagnostics sur les patients, leur justification, et la place et le rôle du psychologue dans ces affaires, les suivis psychologiques risquent fort d’être d’emblée biaisés.

 

Conclusion

Nous avons voulu, dans le cadre de cet article, souligner ce qui, dans les fondements et surtout l’évolution des structures douleur et leur fonctionnement, venait gêner, voire empêcher, un travail réellement coordonné du psychologue clinicien en exercice dans ce secteur. Fondamentalement, l’esprit de ces structures possède quelque chose d’appréciable : un allant pour la pluridisciplinarité, une reconnaissance de l’intérêt du psychologue comme partenaire du soin. Mais une difficulté majeure règne, qui peut être synthétisée de la façon suivante : la psychologie reste mal connue pour les médecins, et beaucoup pensent pouvoir « être psychologue » s’ils en avaient le temps. En d’autres termes, la légitimité de la pensée psychologique et sa richesse ne sont pas réellement reconnues comme spécifiques, ou semblent faire partie d’un « fond commun » facile à appréhender. Pourquoi alors demander à impliquer des psychologues dans les réflexions en amont qui guident par la suite la formation et la pratique auprès du malade douloureux en France ? Nous avons évoqué par exemple la création du DESC « douleurs et soins palliatifs » pour les médecins. Toute la partie du programme initial portant sur la dimension relationnelle et la psychopathologie a été pensée par des non-spécialistes de ce domaine… Quant aux instances qui définissent ou influencent les politiques de santé (sociétés savantes, entre autres), peu de psychologues en font partie… Peut-être aussi est-ce à nous de nous mobiliser pour que la voix des sciences humaines soit entendue, et reconnue. Cela passe bien sûr par une implication plus grande en amont dans les discussions avec nos collègues médecins, mais aussi par un développement dans notre propre champ de recherches et d’enseignements autour de la douleur. Peu de travaux sont à ce jour menés sur le sujet, peu d’articles parus, et encore moins d’enseignements dans nos universités autour des questions de l’impact de la douleur, sauf à l’évoquer en lien avec d’autres problématiques. La question de la douleur n’en est qu’à son émergence, à nous de nous mobiliser. ■

 

Notes
1. Diplôme d’étude spécialisée complémentaire.
2. Cette étude a été menée sur un an à l’initiative du Groupe de travail spécifique » Douleur et psychologie « de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (
SFETD). Les premières conclusions ont été présentées par le coordinateur de l’étude, Mathieu Dousse, lors du congrès de la SFETD en novembre 2006, sur Nantes.
3. Dernière parution en date : Ferragut E. (coord.),
Douleurs et maltraitances, Paris, Dunod ; 2006.
4. Bioy A., 2006, » Les troubles psychosomatiques : un conflit d’intérêt entre médecins et psychologues ? «,
Le Courrier de l’algologie, V(2-3) : 45-48.

Pour citer cet article

Bioy Antoine  ‘‘Lorsque les médecins de la douleur font de la psychologie…‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/lorsque-les-medecins-de-la-douleur-font-de-la-psychologie

Partage sur les réseaux sociaux

Abonnez-vous !

pour profiter du Journal des Psychologues où et quand vous voulez : abonnement à la revue + abonnement au site internet

Restez Connecté !

de l'actualité avec le Journal des Psychologues
en vous inscrivant à notre newsletter