Pratique sectaire et dérive de psychothérapies. Le phénomène des faux souvenirs

Le Journal des psychologues n°263

Dossier : journal des psychologues n°263

Extrait du dossier : Violences dans l'adolescence
Date de parution : Décembre - Janvier 2009
Rubrique dans le JDP : Pages actuelles
Nombre de mots : 2600

Auteur(s) : Guérard Delphine

Présentation

La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, dans son rapport 2007, attire l’attention sur le fait que des professionnels, sous couvert de leur exercice en tant que psychothérapeutes, mettent en place une relation thérapeutique basée sur la création de faux souvenirs, apanage de la manipulation mentale propre au fonctionnement sectaire.

Détail de l'article

C’est à partir du phénomène des faux souvenirs que le rapport au Premier ministre de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires 2007 a mis l’accent sur les abus dans le champ des psychothérapies. Grâce à de nombreux témoignages de familles reçues dans le cadre d’une consultation pour les victimes de sectes, nous avons observé l’induction de souvenirs (viol, maltraitances, vies antérieures, inceste…) comme technique de manipulation mentale au sein de certaines sectes. Nous avons également constaté que certaines pratiques de psychologues, psychiatres, psychothérapeutes ou autres thérapeutes pouvaient mener à la création de faux souvenirs. Le phénomène dépasse donc largement le problème des sectes.

 

Les faux souvenirs
Des patientes de vingt-cinq, trente-cinq ans, disent avoir retrouvé des souvenirs d’inceste. C’est au cours de leur psychothérapie, sous forme de révélation, que ces souvenirs ont surgi. Des familles se trouvent alors accusées d’un crime qu’elles disent ne pas avoir commis. Elles sont victimes de fausses allégations d’abus sexuels.
L’influence des psychothérapeutes par la suggestibilité manifeste de certaines méthodes n’est plus à démontrer, et cette suggestion peut conduire des patients à de fausses accusations d’abus sexuel. Les conséquences sont très graves sur le plan psychique, tant pour la personne accusatrice que pour l’accusé(e) et leurs proches ; elles entraînent sur le plan familial des divorces, des suicides et diverses ruptures et drames.

 

Méthodes, postulats et principes communs menant à l’induction de souvenirs
Nous distinguons plusieurs méthodes :
● des méthodes manuelles de traitements énergétiques associés à des massages ;
● des méthodes psychothérapeutiques in­-tensives et systématiques qui disent apporter des solutions en profondeur aux problèmes psychologiques et aux maladies ;
● des méthodes relatives aux thérapies empruntant diverses approches, telles que la psychogénéalogie et le transgénérationnel.
Toutes ces méthodes de « guérison » reposent sur les postulats communs suivants :
● L’individu est considéré dans sa globalité : physique, émotionnelle, vibratoire et mentale.
● La plupart des maladies physiques ou mentales ont pour origine des chocs émotifs violents vécus dans l’enfance. Il s’agit de traumatismes inscrits dans le corps.
● C’est en retrouvant ce qui a été occulté que l’on guérit.
À partir de ces postulats de base, nous relevons un certain nombre de principes communs qui, présentés comme des modalités d’intervention thérapeutiques sérieuses, sont en réalité des techniques que l’on retrouve systématiquement dans toutes les situations d’induction de souvenirs.

 

L’existence d’une étiopathogénie d’abus sexuel dans les symptômes
Les violences sexuelles se décèlent par le repérage et l’identification des blocages émotionnels. Ces symptômes spécifiques de l’adulte abusé sexuellement au cours de son enfance sont :
● des difficultés dans le domaine des relations amoureuses à l’âge adulte ;
● une dépression, pouvant aller d’une sensation générale de tristesse à une immobilisation générale ;
● des problèmes de poids ;
● des migraines chroniques ;
● des comportements destructeurs, tentatives de suicide, alcool, toxicomanies ;
● un sentiment de culpabilité.
C’est à partir de l’expression d’un ou de plusieurs symptômes que le thérapeute en déduit la réalité d’un inceste.

 

La quête de la vérité et du sens
Le matériel thérapeutique est considéré comme vérité historique. En effet, dans la certitude émotionnelle, toute image est considérée comme vérité, toute parole est prise comme véridique : il n’y a aucune place faite à la subjectivité. Pris dans une sorte de délire victimologique, ces praticiens banalisent en quelque sorte la maltraitance, l’inceste et le viol, puisqu’ils se focalisent activement sur les abus sexuels et vont jusqu’à considérer que tout enfant est martyr de ses parents. Ils dénoncent avec insistance le caractère dévastateur de l’éducation des parents. L’individu est en position de victime de ses parents et, pour se libérer, « vivre pleinement son autonomie », il doit rompre nécessairement avec sa lignée, son histoire, sa personnalité, dénoncer, critiquer, juger, accuser et se confronter à ses agresseurs. Pour guérir des traumatismes passés, véritable objectif de toutes ces thérapies, le travail thérapeutique consiste à se focaliser principalement sur les traumatismes, les souvenirs et les rêves. Ceux-ci sont d’emblée interprétés par le thérapeute. L’interprétation n’est pas à mettre en doute, elle a un effet de vérité majeure.

 

La vérité du subconscient
Tout est enfoui et inscrit dans le subconscient. Il a en lui toutes les réponses aux questions que l’on se pose sur soi-même. Il a en lui la vérité sur l’individu lui-même. Il contient la clé de ses vérités fondamentales : informations, expériences passées, dissimulées, oubliées, occultées, qui ont une influence déterminante et auxquelles le conscient n’a pas accès. Il apporte la vérité qui libère. Il est un révélateur, et donc un guérisseur. Grâce à un état de relaxation, le subconscient livre l’information en permettant de revivre intensément les scènes du passé complètement ou partiellement occultées.
La croyance en une mémoire statique
Tout souvenir est un morceau de l’histoire réelle du patient. Le souvenir mémorisé est une image statique et immuable du réel. Puisque tout souvenir est considéré comme réalité d’un fait historique, grâce à certaines techniques, le thérapeute incite le patient à « remonter dans le passé pour trouver la guérison ». Le psychique et le corps sont pensés ici comme réserve de souvenirs authentiques.

 

Le mécanisme de l’occultation
L’individu dispose d’un mécanisme de défense particulier qui est celui de l’occultation. Un individu occulte pour protéger son équilibre physique et psychique. Chaque fois que la tension émotive est trop forte, il peut totalement rayer de sa mémoire consciente un événement physique et moral traumatisant s’il est incapable de l’accepter ou de le comprendre. Depuis le subconscient, les chocs émotifs occultés opèrent à notre insu une sorte de pollution génératrice de désordres physiques ou mentaux. Il faut les tirer de l’oubli et les ramener à la conscience afin qu’ils perdent leur pouvoir perturbateur. L’objectif est de rétablir un lien entre le subconscient et la conscience, car c’est en revivant les événements occultés, en les ramenant au niveau du conscient, que les symptômes disparaissent et que la guérison intervient.

 

Le corps est mémoire
Le corps est porteur et témoin des mémoires individuelles, familiales et collectives. Il est le support de nos sensations et de nos expériences. Il nous résume. Le corps est considéré comme réceptacle de toutes les expériences de vie inconscientes comme conscientes. Le corps garde en mémoire tout ce qui s’est réellement passé. Il est le reflet de notre histoire. Le corps ne ment pas : on peut y déceler les défaillances en l’interrogeant par des pressions et révéler les points de blocage, les excès ou les baisses d’énergie. Tout est inscrit sur le corps. Lorsqu’un individu vit un événement, le corps réagit à l’insu de la conscience en laissant des empreintes. Avec le temps, ces empreintes perturbent l’équilibre général de l’organisme. Les tissus commencent à se rétracter. Des tensions, un mal-être ou des troubles fonctionnels apparaissent. Un traumatisme affectif, émotionnel ou physique s’inscrit dans la musculature, représentant une mémoire traumatique, une sorte de signal d’alarme, d’appel à l’aide que le corps garderait dans ses muscles. Ainsi, le corps donne des informations. Il a un langage qu’il faut savoir lire, décoder, décrypter, interpréter.

 

Le recours aux chakras ou centres énergétiques
Au nombre de sept, ils canalisent une énergie spécifique et influent directement sur notre vie physique et psychique. Chacun correspond à un type particulier d’émotions et d’instincts qu’il a à charge de gérer. En interrogeant le patient en état modifié de conscience, le thérapeute peut savoir lequel cherche à s’exprimer et connaître ainsi le niveau de préoccupation du subconscient. Un travail énergétique sur le corps permet de détendre localement les tensions, les blocages énergétiques.

 

De la libération à la purification émotionnelle
Il faut se libérer des blocages émotionnels pour guérir les blessures de l’enfance et pour supprimer les malaises qui en découlent. L’importance est donnée à l’évacuation des émotions négatives, conscientes et inconscientes, car elles s’accumulent dans le corps entraînant des blocages autant physiques que psychiques. Il faut détecter les blocages pour s’en libérer. Ce processus s’accompagne d’une prise de conscience.
Libération des mémoires internes, des mémoires familiales héréditaires et des mémoires collectives
Il s’agit de déceler les vécus négatifs inscrits dans les mémoires d’un individu, de les libérer et de les remplacer ou de les intégrer. Des recherches généalogiques permettent de découvrir les répétitions et les transmissions des problèmes entre les générations sur un modèle héréditaire. Leur découverte entraîne une prise de conscience permettant de rompre le processus de répétition.

 

Le principe d’autoguérison
Ces méthodes prétendent aider l’individu à renouer avec des souvenirs ou des sensations qui sont totalement oubliés et qui sont à la source du malaise présent. En fait, c’est le patient qui se guérit lui-même en prenant conscience et en intégrant son propre vécu.
Toutes les méthodes reposant sur ces postulats de base et ces principes théoriques maximalisent la probabilité d’induire des souvenirs. Si l’usage que l’on fait d’une méthode est déterminant de sa nuisance, certaines méthodes sont plus exposées que d’autres. Ainsi, pour ne pas induire ou mener vers la création de faux souvenirs, la pratique du thérapeute nécessite précaution, rigueur et neutralité. Sa déontologie et ses qualités personnelles, telles que discrétion et prudence, sont déterminantes dans l’accompagnement des patients.
Aussi, les positionnements théoriques de ces thérapeutes relèvent moins de systèmes que de convictions pouvant prendre des allures scientifiques quand il s’agit d’imiter le modèle médical en créant un nouveau syndrome. De plus, théorie comme méthode sont fonctionnelles et à visée utilitariste. Elles seront donc tronquées ou mal comprises avec plus ou moins d’honnêteté. Les techniques qui en découlent sont utilisées de façon partielle et-ou partiale et quasiment toujours dévoyées.
Toutes sortes de techniques peuvent être pratiquées, ainsi que des méthodes dites « novatrices » créées par des fondateurs ambitieux. Nous les décrivons dans le rapport de la MIVILUDES 2007. Très schématiquement, lors de séances individuelles, il s’agit en premier lieu de provoquer une détente profonde. Ainsi, diverses techniques psychocorporelles sont utilisées telles que les massages, la relaxation, l’imposition des mains, les soins énergétiques, les exercices respiratoires… L’hypnose, sous ses diverses formes, peut également être utilisée.
À partir de là, la recherche active du traumatisme de l’enfance peut commencer. Grâce à des rêves, des souvenirs, des images, le traumatisme est repéré et interprété par le thérapeute. Puis des techniques apparentées à la psychogénéalogie complètent la démarche : « Toute la généalogie est malade et condamnée à la répétition. Il faut donc rompre avec sa famille pour se libérer. »
Des séances de groupe sont aussi proposées ; les patients, tous considérés comme des victimes, en témoignent.

 

Les psychothérapies sectaires
Plusieurs éléments nous permettent de définir les pratiques sectaires :
● Position de toute-puissance et de tout-pouvoir du thérapeute : dans une démarche inquisitrice grâce à la suggestion et à sa force de persuasion, le thérapeute recherche la vérité pour guérir. Il adopte une position interventionniste de justicier et propose des solutions.
● Injonction de rupture avec la famille comme dévoiement de la notion d’autonomie.
● Embrigadement théorique : « La Théorie » n’est pas à considérer comme un ensemble d’hypothèses à interroger, mais, sacralisée, elle explique tout et « marche à tous les coups ».
● Atteinte à l’intégrité psychique des patients : dans l’urgence, avec insistance, sans précaution ni délicatesse, les interventions font intrusion dans la psyché.
● Instauration d’une relation d’emprise : dans une sorte de fusion, sans dégagement possible, le thérapeute entraîne l’autre dans un processus destructeur de singularité. Le patient est transformé en objet et se retrouve dans une dépendance aliénante.
Éléments de repérage du phénomène d’induction de souvenirs lors de psychothérapies non sectaires
Lorsqu’il ne s’agit pas de pratiques sectaires, plusieurs éléments permettent d’éclairer le phénomène d’induction de faux souvenirs d’inceste au cours de certaines psychothérapies :
● Vulgarisation du discours psychanalytique : certains s’approprient et décomplexifient des concepts empruntés à la psychanalyse, tout en s’armant de « preuves freudiennes » (dessins, rêves). En pensant d’une façon naïve et simpliste qu’il suffit de « retrouver ce qui a été occulté pour guérir », la psychanalyse est réduite ici à la levée du refoulement.
● Manque de formation : le thérapeute prend au pied de la lettre la parole du patient. Aussi, il part d’une intuition qui devient une conviction. Dans la certitude, les réponses figurent dans ses questions. Enfin, certains « psys » semblent ignorer leur influence et la puissance de la suggestion.
● Phénomène d’identifications : pris par sa propre activité psychique, le « psy » n’a plus de neutralité à l’égard du patient. Il s’implique, prend parti, encourage et conseille. Il interprète selon ses attentes, ses désirs, ses fantasmes. Dans un fonctionnement en miroir, il n’y a pas d’analyse du transfert ni du contre-transfert.
● Fascination et fétichisation des abus sexuels : obnubilé par la maltraitance, le thé­rapeute voit des abus sexuels partout. Au nom de l’enfance maltraitée, il crée des enfants maltraités. Du côté des psychiatres et des psychologues, il semble que ces thérapeutes travaillent avec une culture DSM-IV et le postulat de base suivant : l’inceste est considéré comme une « entité nosographique ». L’équation « tel trauma telle séquelle » irait de soi et les amènerait à poser d’emblée un diagnostic par rapport à une liste de symptômes présentés. Aussi, ils encouragent donc vivement leurs patients à les confirmer comme bons professionnels en approuvant un tel diagnostic. Cette nouvelle entité nosographique dans un mouvement de médicalisation des problèmes sociaux conduit à une sorte de fétichisation de l’abus sexuel où « les enfants de l’inceste » sont omniprésents. Une forme de militance exacerbée anime souvent ces thérapeutes.
● L’acharnement investigateur a des effets pervers. Lorsqu’une personne sort d’une thérapie convaincue de la réalité de ses souvenirs, de ses dires, et décide de prendre un avocat, on peut légitimement ­penser qu’il y a un débordement de la réalité narrative sur une réalité historique. Toute allégation d’abus sexuel n’est pas à prendre comme vérité. L’acharnement thérapeutique qui consiste à retrouver à tout prix les souvenirs grâce à des questions suggestives, à chercher de façon intrusive une parole qui ne vient pas et considérer la dénonciation comme un moyen pour retrouver enfin la paix est une pratique dangereuse. N’est-ce pas là justement une forme de viol ? Car la répression et l’oubli volontaire sont un mécanisme de défense valable qui permet de survivre psychiquement. Le faire « sauter » peut mener à de graves troubles psychologiques.

 

Pour conclure
Ainsi, au-delà de la question sectaire, le phénomène des faux souvenirs a le mérite de soulever un certain nombre de questions complexes mais fondamentales autour des psychothérapies, de leur définition, de leur validation, de leur pratique, de leur contrôle, de la formation des praticiens, de leur éthique et de leur responsabilité. Aussi, la question de la protection du public s’impose : comment lui donner les moyens de choisir des professionnels sérieux ? ■

 

 

Bibliographie

Bredart S., Van der Linden M., Bastin C., Bouhy D., 2004, Souvenirs récupérés, souvenirs oubliés et faux souvenirs, Marseille, « Neuropsychologie », Solal.
Guérard D., 2001, « Le phénomène des faux souvenirs : un vrai cauchemar », Bulles, 69, UNADFI.
Guérard D., 2008, « Lorsque de fausses allégations d’abus sexuels surviennent au cours d’une psychothérapie : le phénomène des souvenirs induits », Rapport de la MIVILUDES – année 2007, Paris, La documentation française.
Loftus E., Ketcham K., 1994, Le Syndrome des faux souvenirs, Chambéry, Éditions Exergue, 1997.
Maleval J.-C., 1997, « Une épidémie américaine, le syndrome d’enlèvement extraterrestre », in Le Conciliabule d’Angers : effets de surprise dans les psychoses, Paris, Le Seuil.
Mulhern S., 2002, La Maladie mentale en mutation, Paris, Odile Jacob.

 

Pour citer cet article

Guérard Delphine  ‘‘Pratique sectaire et dérive de psychothérapies. Le phénomène des faux souvenirs‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/pratique-sectaire-et-derive-de-psychotherapies-le-phenomene-des-faux-souvenirs

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