Santé sexuelle : la médicalisation de la sexualité et du bien-être

Le Journal des psychologues n°250

Dossier : journal des psychologues n°250

Extrait du dossier : Alzheimer : inventer les soins psychiques
Date de parution : Septembre 2007
Rubrique dans le JDP : Pages fondamentales > Santé
Nombre de mots : 4190

Auteur(s) : Giami Alain

Présentation

Désormais, le concept de santé est une valeur centrale et irrévocable du monde contemporain. Celui de santé sexuelle, prônant l’idée selon laquelle la sexualité ne se réduit pas seulement à une pratique de reproduction, mais participe aussi à une meilleure santé et au bien-être, a nécessité un cheminement plus progressif, même si son élaboration fut menée sous les auspices de l’OMS.

Détail de l'article

Le concept de santé sexuelle est employé actuellement par l’OMS et un certain nombre d’organisations non gouvernementales et dans les pays anglophones pour développer des programmes d’interventions éducatives et préventives en santé publique dans le domaine de la sexualité. Ce terme est par ailleurs de plus en plus utilisé comme l’équivalent du terme de sexualité parmi les cliniciens engagés dans le traitement des troubles sexuels. Il est donc loin de représenter le « concept vulgaire » dont G. Canguilhem avait parlé à propos du concept de santé (2002, pp. 49-68).
Le concept de santé sexuelle se situe au carrefour de deux traditions. Il s’inscrit tout d’abord dans le prolongement du concept de santé défini dans le préambule de la constitution de l’OMS comme « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Le concept de santé a été pensé au XIXe siècle dans une dimension négative (« le silence des organes »), comme un donné subjectif et comme un état statique. Il a été transformé au cours de la deuxième moitié du XXe siècle (et sous l’impulsion de l’OMS, notamment) en un « processus » devant être maintenu, conquis et développé par différentes méthodes telles que l’éducation à la santé qui vise à susciter la responsabilité des individus concernant leurs comportements et la promotion de la santé qui tend à agir sur le contexte social, l’environnement et le cadre légal. La santé, comme forme du bien-être individuel et collectif, est ainsi devenue une des valeurs centrales et suprêmes du monde contemporain (Vigarello G., 1993).
Par ailleurs, le concept de sexualité (1) a fait l’objet d’un processus de modernisation depuis le début du XXe siècle. Paul Robinson a décrit ce processus, initié par des sexologues comme Havelock Ellis et Albert Moll, et par Freud, comme un développement de l’optimisme sexuel (1976). Contrairement aux théories développées tout au long du XIXe siècle par les médecins et les psychiatres qui considéraient que la nature et la finalité normale de la sexualité résidaient dans la procréation et que la recherche exclusive du plaisir au travers de l’activité sexuelle constituait une forme d’aberration ou de perversion, ces quelques rares auteurs ont commencé à penser que la sexualité était une composante importante, et sinon fondamentale, du bien-être et de l’épanouissement individuel, et que la « satisfaction de la pulsion » était la finalité normale de la vie sexuelle (Giami, 1999 : 38-45). Une première brèche avait donc été ouverte dans les théories dominantes de la sexualité, mais elle n’avait pas été suivie d’effets immédiats au niveau du dispositif médico-légal et religieux d’encadrement de la vie sexuelle qui a continué à considérer, jusqu’au milieu du XXe siècle, que la normalité sexuelle résidait exclusivement dans l’accomplissement de la sexualité reproductive dans le cadre du mariage. Le terme de santé sexuelle résulte donc de la rencontre entre deux domaines théorico-pratiques qui se sont modernisés et qui ont placé la question du bien-être, de son accompagnement, de son encadrement et de son développement, au centre de leurs préoccupations et de leurs interventions.

 

Révolution contraceptive et révolution sexuelle

Au milieu des années soixante, la découverte et la diffusion de la pilule contraceptive ont radicalement modifié la place et le statut de la sexualité dans le monde social en général et dans le champ de la santé publique en particulier. Cette découverte a donné un fondement médical et renforcé la légitimité sociale de la dissociation entre l’activité sexuelle érotique et la procréation. Au cours de ces mêmes années, les sexologues américains Masters & Johnson ont élaboré la théorie de la « réponse sexuelle humaine » et de l’orgasme en attribuant à l’activité sexuelle sa propre finalité érotique, au plan biologique et psychophysiologique, indépendamment de la procréation. Masters & Johnson ont ainsi contribué, pour une grande part, à l’autonomisation d’une fonction sexuelle visant à l’obtention du plaisir par rapport aux fonctions reproductives des organes génitaux. La grossesse est même envisagée par Masters & Johnson comme un obstacle potentiel à l’obtention de l’orgasme (1966). C’est l’association entre la mise au point d’une contraception efficace permettant la régulation des naissances et la « découverte » de l’orgasme qui ont constitué la « révolution sexuelle » en faisant apparaître le plaisir comme la finalité nouvelle et légitime de l’activité sexuelle, puisque inscrite dans l’ordre biologique. La question du plaisir sexuel et du traitement des dysfonctions et des troubles sexuels fait timidement son apparition dans le cadre de la santé publique alors qu’elle commence à se développer comme pratique clinique médicalisée (Abraham G., Pasini W., 1975).

 

Le concept de santé sexuelle : la consécration de l’optimisme sexuel

Le concept de santé sexuelle est apparu en 1974 lors d’une conférence réunie à Genève sous les auspices de l’OMS, sous l’impulsion du groupe professionnel des sexologues, très structuré au plan international (Giami A., Colomby P. de, 2001 : 41-63). Cela constitue un événement important dans la mesure où une organisation internationale s’engage dans le processus de légitimation de la dissociation entre l’activité sexuelle reproductive et non reproductive et entérine le principe de l’association entre la sexualité non reproductive, le bien-être et l’épanouissement personnel. Le concept de santé sexuelle institue et renforce le clivage entre les dimensions érotiques et reproductives de la sexualité, vise à légitimer l’exercice par les hommes et les femmes de la vie sexuelle non reproductive et à promouvoir l’idée selon laquelle la sexualité contribue à une meilleure santé et au bien-être, lorsqu’elle peut être vécue et pratiquée librement et sans contraintes, mais certainement pas sans règles précises.
Dans sa dimension opérationnelle, le concept de santé sexuelle propose un schéma très précis d’interventions professionnelles visant à promouvoir, maintenir et développer la santé sexuelle des populations. La légitimité politique et morale de la sexualité non reproductive est cependant loin d’être acquise au plan international (2).
Les premières élaborations du concept de santé sexuelle sont cependant passées quasiment inaperçues. En effet, à cette époque, rares sont ceux qui prennent au sérieux les travaux et les réflexions des sexologues modernes (Béjin A., 1982 : 159-177). La conférence de 1974 avait regroupé vingt-neuf éminents participants venant de douze pays, principalement européens et nord-américains (Giami A., 2002 : 1-35). Le rapport rédigé à cette occasion, et qui a été peu diffusé en dehors des cercles spécialisés, a constitué la première étape d’une série de définitions du concept de santé sexuelle, élaborées et précisées à l’occasion de conférences organisées ultérieurement par la World Association of Sexology (WAS) avec le soutien de l’OMS.
« La santé sexuelle est l’intégration des aspects somatiques, émotionnels, intellectuels et sociaux du bien-être sexuel en ce qu’ils peuvent enrichir et développer la personnalité, la communication et l’amour. La notion de santé sexuelle implique une approche positive de la sexualité humaine. L’objectif de la santé sexuelle réside dans l’amélioration de la vie et des relations personnelles et pas uniquement dans le counselling et les soins concernant la procréation ou les MST. » (OMS, 1975.)
La définition de la santé sexuelle s’inscrit de plain-pied dans le cadre du concept de santé en reprenant le principe selon lequel la santé sexuelle n’est pas réduite au traitement ou à l’absence de maladies ni à la procréation. La santé sexuelle apparaît dissociée de la procréation et de la contraception qui ont été intégrées dans le domaine de la santé reproductive (qui est gérée dans d’autres instances de l’OMS). Le concept de santé sexuelle se détache ainsi de l’univers de la vénérologie et de la gynécologie. À l’opposé, le concept annexe dans le champ de la santé des dimensions telles que la « personnalité, la communication et l’amour » se propose comme objectif « l’amélioration de la vie et des relations personnelles ». On note, à cette occasion, une ouverture du concept de santé vers des domaines habituellement régulés par la morale. Le processus de modernisation de la sexualité qui a instauré l’optimisme sexuel, et qui a traversé toute la première partie du XXe siècle au plan des idées et de façon souterraine, trouve une légitimité sociale en entrant dans le champ de la santé et en s’inscrivant dans le processus de la médicalisation. La santé sexuelle, avec la place centrale qu’elle accorde au bien-être, dévoile et renforce la dérive du concept de santé vers le bien-être et vers la médicalisation du bien-être.

 

Les niveaux d’intervention : éducation, counselling et thérapie

La réalisation des objectifs assignés au concept est tout à fait définie en termes de niveaux complémentaires d’intervention sur les problèmes sexuels, sur la base d’une hiérarchie qui distingue l’éducation, le counselling et la thérapie. Ces différents niveaux d’intervention sont distribués selon les compétences attribuées aux différentes professions de santé.
« L’éducation, le counselling et la thérapie peuvent être considérés comme des aspects inséparables d’un effort global en vue de la prise en charge de la santé sexuelle. Tout d’abord, le développement d’une éducation à la santé sexuelle au sein de la communauté, aux médecins et aux autres professionnels de la santé, constitue la plus haute priorité, car elle peut être réalisée avec le minimum de formation tout en atteignant le plus grand nombre de gens. L’éducation sexuelle qui devrait être une dimension fondamentale de la médecine préventive a aussi fait la preuve de son efficacité comme une forme de soutien permettant aux individus et aux couples de dépasser leurs problèmes sexuels. Deuxièmement, il y a un besoin de counselling pour les individus et les couples qui ont des problèmes un peu plus compliqués ; cela peut être assuré par les infirmières, les sages-femmes, les médecins généralistes, les gynécologues et d’autres professionnels. Troisièmement, il y a un besoin de thérapie sexuelle en profondeur qui doit être assuré par des professionnels formés spécialement pour cela, qui peuvent s’occuper des personnes qui ont les problèmes les plus compliqués. Les professionnels de la santé et les travailleurs sociaux ont besoin d’une formation plus spécialisée pour assurer le counselling et la thérapie sexuelle. » (OMS, 1975.)
Les médecins – généralistes et spécialistes – peuvent intervenir à chacun de ces niveaux, alors que les membres des autres professions de santé (les sages-femmes notamment) ne peuvent intervenir qu’aux deux premiers niveaux (éducation et counselling). Les psychologues ne sont jamais mentionnés en tant que profession de santé pouvant assurer l’un ou l’autre de ces types d’intervention. L’accent est porté sur les professionnels qui interviennent sur la santé somatique et reproductive (médecins et sages-femmes) ainsi que les travailleurs sociaux. Ces différents niveaux d’intervention articulent dans un même programme la santé publique (éducation et prévention de masse) avec la pratique clinique plus individualisée et plus spécialisée.

 

La formation des professionnels de santé : un projet politique

La formation des professionnels de santé concerne l’acquisition de compétences théoriques et techniques, mais aussi d’aptitudes relationnelles et psychologiques et d’attitudes positives à l’égard de l’activité sexuelle. La lutte contre les « mythes » et les « tabous », qui s’opposeraient à la reconnaissance du bien-fondé et du caractère positif de l’activité sexuelle non reproductive, constitue l’un des aspects les plus importants de cette formation et les membres des professions de santé constituent la première cible de ce combat :
« Dans de nombreux pays ainsi que dans de nombreuses cultures, l’existence de tabous et de mythes sexuels et la culpabilité et le secret qui en découlent et qui sont imposés par la société sur les sujets sexuels constituent des obstacles importants à l’éducation sexuelle. De plus, dans certaines sociétés, le culte du machisme, la domination masculine et la victimisation des femmes constituent à leur tour des obstacles à l’introduction de l’idée du plaisir sexuel pour les deux partenaires, une idée essentielle pour la réalisation de relations sexuelles saines. Les sentiments de culpabilité sexuelle sont parfois le résultat de l’influence de cultures étrangères qui peuvent apporter des changements radicaux dans les modèles de comportements. L’attitude qui considère que le sexe est un péché sauf si c’est le moyen de la procréation – une forme commune d’enseignement qui peut créer des sentiments de culpabilité lors de l’utilisation des méthodes contraceptives – constitue une barrière supplémentaire à l’éducation sexuelle. » (OMS, 1975.)
Le document propose une forte remise en question des valeurs et des significations dominantes et principalement des valeurs religieuses qui encadrent et régulent l’activité sexuelle. L’élaboration du concept de santé sexuelle, et les méthodes proposées pour développer celle-ci, témoigne d’une rupture avec les conceptions religieuses de la sexualité perçues comme des obstacles à la réalisation de la santé sexuelle et donc du bien-être des individus. La santé est ainsi devenue une valeur morale et sociale suffisamment forte et significative pour que l’on puisse s’en revendiquer contre l’influence des religions et des traditions considérées comme néfastes. Le document plaide pour l’égalité entre les sexes et le droit des femmes et des hommes à expérimenter le plaisir sexuel dans les meilleures conditions psychologiques et sociales. La santé sexuelle s’institue ainsi comme une nouvelle conception culturelle de la sexualité, fondée sur la reconnaissance du caractère positif de l’activité sexuelle non reproductive, de son autonomisation par rapport à la vie reproductive et sur la reconnaissance du rôle de la médecine pour réaliser et soutenir les transformations proposées. Il faut, cependant, noter qu’à l’époque du développement de la contraception et avec l’insistance qui est placée sur les relations hétérosexuelles, l’homosexualité n’est jamais mentionnée dans le document alors qu’elle n’était déjà plus considérée comme une maladie mentale depuis 1973 (Bayer R., 1981).

 

La consolidation de la santé sexuelle : droits sexuels et comportement responsable

Le document Promotion of Sexual Health : Recommendations for Action a été finalisé lors d’un séminaire qui s’est tenu à Antigua (Guatemala) entre les 19 et 22 mai 2000 sous les auspices de la World Association of Sexology (WAS) en collaboration avec la Pan American Health Organization et l’OMS. Ce document se situe très clairement dans le cadre conceptuel de la « promotion de la santé », élaboré à Ottawa en 1986, avec une focalisation sur le développement de la responsabilité individuelle en matière de gestion et de maintien de la santé. Le document prend acte des nouvelles questions liées au développement de la pandémie de VIH-sida à travers le monde, à la reconnaissance de la prévalence des violences sexuelles, à la reconnaissance des droits des homosexuels, et à l’évolution des droits des femmes en matière de sexualité. Il se situe enfin dans le contexte du développement des nouveaux traitements pharmacologiques des troubles sexuels. Ce document manifeste globalement une ouverture importante à la dimension de la santé publique et à la santé collective, même si le niveau d’intervention clinique et thérapeutique est renforcé avec l’apparition des nouveaux traitements des troubles sexuels.
Le séminaire avait donc comme objectifs : «[…] de développer un cadre théorique pour la promotion de la santé sexuelle, d’identifier les principaux problèmes de santé sexuelle en Amérique, de suggérer des stratégies et des actions afin de développer et maintenir la santé sexuelle ». Le concept de santé sexuelle est fondé désormais sur les notions de « comportement sexuel responsable » et de « société sexuellement saine ». Ces deux notions sont associées à celle de « droits sexuels » qui a fait l’objet d’une déclaration solennelle adoptée lors de la 14e Conférence de la WAS qui s’est tenue à Hong Kong en 1999. En outre, le document redéfinit les principaux problèmes sexuels qui sont posés aux sociétés et aux individus et introduit une véritable nomenclature des syndromes cliniques, qui témoigne de la médicalisation de l’abord des troubles et des problèmes sexuels.

 

Santé sexuelle, droits sexuels et comportement sexuel responsable

« La santé sexuelle est l’expérience d’un processus continu de bien-être physique, psychologique et socioculturel concernant la sexualité. La santé sexuelle est fondée sur l’expression libre et responsable des capacités sexuelles qui renforcent le bien-être harmonieux personnel et social et enrichit la vie individuelle et sociale. Elle ne réside pas uniquement dans l’absence de dysfonction, de maladie ou d’infirmité. Pour atteindre et maintenir les objectifs de la santé sexuelle, il est nécessaire que les droits sexuels de tous les individus soient reconnus et soutenus. » (PAHO/OMS/WAS, 2000.)
La nouvelle définition de la santé sexuelle reste bien ancrée dans l’idée du bien-être. Mais le document accorde désormais beaucoup plus d’importance à la liberté et la responsabilité individuelle et il y est reconnu explicitement que la conception du « bien-être » qui est proposée aux populations est aussi fondée sur un système de valeur qui n’est pas réductible à la connaissance scientifique ou à la vérité. Ce point marque donc un changement important par rapport au document de 1975 qui présentait les propositions de la santé sexuelle comme libres de toute valeur et fondées sur les Lumières de la connaissance.
L’association entre la santé sexuelle et les droits de l’homme exprime le nouvel ancrage dans un système de valeur à visée universaliste. Le libre exercice de la sexualité constitue, désormais, une dimension centrale de la santé globale, du bien-être et des droits de l’homme. Le « plaisir érotique » et y compris « l’auto-érotisme » sont présentés comme des valeurs fondamentales et constitutives de la sexualité et du bien-être légitime. La définition des problèmes de santé sexuelle, et des syndromes cliniques, ainsi que des modes d’intervention (information, counselling et thérapie) qui en découlent visent à diminuer ou lever les obstacles (sociaux ou de santé) qui s’opposent au libre exercice des droits sexuels et de la santé sexuelle conçue comme « activité sexuelle libre et épanouissante ». Les différentes conséquences néfastes de l’activité sexuelle (les MST ou les grossesses non désirées) sont conçues à la fois comme des obstacles à l’expression de la santé sexuelle, la conséquence de comportements sexuels non responsables, et comme les conséquences d’une organisation défaillante des systèmes de santé. Ce document introduit des limitations nouvelles à l’idéal de l’optimisme sexuel.
Le document élaboré en 2000 revient sur la responsabilité des individus. Si les obstacles et les menaces qui pèsent sur la santé sexuelle sont toujours situés principalement dans le contexte social, le document propose une double stratégie d’action, envers les comportements individuels d’une part et l’environnement social d’autre part. Le concept de « comportement sexuel responsable » établit les critères qui visent à préserver et développer la santé et le « bien-être » du point de vue de la responsabilité des individus.
« Le comportement sexuel responsable est exprimé aux niveaux individuel, interpersonnel et communautaire. Il comprend l’autonomie, la réciprocité, l’honnêteté, le respect, le consentement, la protection et la poursuite du plaisir et du bien-être. Une personne qui revendique un comportement sexuel responsable ne cherche pas à nuire et s’abstient d’exploiter, de harceler, de manipuler et d’exprimer de la discrimination envers les autres. Une communauté favorise des comportements sexuels responsables en fournissant les connaissances, les ressources et en défendant les droits dont les individus ont besoin pour avoir une telle conduite. » (PAHO/OMS, WAS, 2000.)
Les critères constitutifs du comportement sexuel responsable représentent un véritable code de conduite fondé sur des principes inspirés de la morale judéo-chrétienne. Il impose des obligations aux individus qui agissent dans le cadre de leurs droits légitimes. Par ailleurs, le concept de « droits sexuels », qui n’a pour l’instant aucune valeur légale ni réglementaire, défend un système de valeurs à portée universelle et prédominant sur les différentes cultures spécifiques.
L’action des organisations internationales vient s’inscrire explicitement dans une perspective de changement social et culturel, fondée sur l’idée d’un progrès orienté vers la réalisation des idéaux de la santé. Les auteurs du document de l’OMS appellent à l’élaboration d’un consensus international visant à favoriser les « droits sexuels » inspirés des droits de l’homme.
« Les droits de l’homme sont propres à tout être humain. Cependant, leur reconnaissance ne crée pas des droits en soi. Les droits de l’homme sont au-delà des valeurs culturelles. Si une culture particulière a des pratiques qui vont à l’encontre des droits de l’homme, elle doit être modifiée, comme dans le cas des mutilations génitales des femmes […] L’approche en termes de droits de l’homme a déjà été développée à propos de la promotion de la santé reproductive. La protection de la santé étant un droit de l’homme fondamental, il en découle que la santé sexuelle repose sur des droits sexuels. » (PAHO, OMS, WAS, 2000.)
L’association entre la santé et les droits de l’homme, qui a été développée à partir des années quatre-vingt-dix sous l’influence de Jonathan Mann (1994 : 6-23), renforce et consacre l’idée selon laquelle la santé est l’une des valeurs fondamentales de la vie sociale et l’un des principaux critères d’évaluation des institutions et des systèmes politiques. La santé constitue désormais un enjeu politique à l’encontre d’autres systèmes de valeur qui pourraient constituer des obstacles à l’encontre de sa réalisation. L’association entre la santé sexuelle et les droits sexuels s’inscrit dans la stratégie de l’établissement d’un consensus international visant à une nouvelle morale sexuelle fondée sur le principe et la finalité de la santé comme bien-être.

 

Conclusion

Les documents que nous venons de présenter sont le produit d’un long travail d’élaboration mené par les représentants du groupe professionnel des sexologues dans le cadre de l’OMS. Ils constituent l’expression d’un laboratoire d’idées à vocation politique et ne peuvent être considérés comme des prises de position officielles de l’OMS. Ce n’est finalement qu’en 2004, que l’OMS a ouvert officiellement un programme de travail concernant la santé sexuelle, à l’intérieur du programme consacré à la santé reproductive (2004). Par ailleurs, en 2005, la WAS a changé de nom pour devenir la World Association for Sexual Health. L’abandon du terme de « sexologie » au profit de celui de « santé sexuelle » signifie que la WAS est désormais beaucoup moins une association scientifique et professionnelle et qu’elle s’inscrit beaucoup plus comme une organisation non gouvernementale qui a acquis en 2007 le statut d’organisation partenaire de l’OMS.
La santé, qui est devenue l’une des valeurs principales du monde contemporain (Aïach P., 1998, pp. 15-36), contribue, au travers des institutions et des acteurs qui se réclament de ce principe, à la définition de codes de comportements relevant du registre de la conduite morale autant que du registre des conduites sanitaires. Ces deux types de code de conduite (individuelle et collective) sont fondés et justifiés par la finalité et la rationalité incarnées par le principe de santé. ■

 

Notes
1. Selon les principaux dictionnaires, le terme de sexualité est apparu dans le contexte de la médecine européenne du XIXe siècle, vers 1838.
2. Lors de la réunion qui s’est tenue aux Nations unies à New York, le 2 mars 2005, les États-Unis ont proposé d’ajouter dans le texte qui sera adopté à l’issue de la réunion « Pékin + 10 » (Plate-forme d’action sur le statut des femmes) un amendement soulignant que la référence à la santé en matière de reproduction « ne constitue pas la garantie d’un droit universel à l’avortement » (Dépêche AFP : 3 mars 2005).

 

 

Bibliographie

Abraham G., Pasini W., 1975, Introduction à la sexologie médicale, Paris, Payot.
Aïach P., 1998, « Les voies de la médicalisation », in P. Aïach, D. Delanoe (ÉDS), L’Ère de la médicalisation, Paris, Anthropos, pp. 15-36.
Bayer R., 1981, Homosexuality and American psychiatry. The politics of diagnosis, New York, Basic Books.
Béjin A., 1982, « Crépuscule des psychanalystes, matin des sexologues », Communications, 35 : 159-177.
Canguilhem G., 2002, « La Santé : concept vulgaire et question philosophique », in Écrits sur la médecine, Paris, Le Seuil, pp. 49-68.
Giami A., 1999, « Cent ans d’hétérosexualité », Actes de la Recherche en sciences sociales, 128 : 38-45.
Giami A., Colomby P. de, 2001, « Profession sexologue ? », Sociétés Contemporaines, 41-42 : 41-63.
Giami A., 2002, « Sexual Health : the Emergence, Development and diversity of a Concept », Annual Review of Sex Research, vol. XIII, pp. 1-35.
Mann J., Gostin L., Gruskin S., Brennan T., Lazzarini Z., & Fineberg H., 1994, « Health and Human Rights », Health and Human Rights. An International Quarterly Journal, 1 : 6-23.
Masters W., Johnson V., 1966, Human Sexual response, Boston, Little Brown and C°.
Vigarello G., 1993, Le Sain et le malsain : Santé et mieux-être depuis le Moyen Âge, Paris, Le Seuil.

RÉFÉRENCES DOCUMENTS DE L’OMS

Organisation mondiale de la santé, 1946, Preamble to the Constitution of the World Health Organization as Adopted by the International Health Conference, New York, 19-22 June, 1946; signed on 22 July 1946 by the representatives of 61 States (Official Records of the World Health Organization, N°. 2, p. 100) and entered into force on 7 April 1948. http://policy.who.int/
Organisation mondiale de la santé, 1975, Education and Treatment in Human Sexuality: The training of Health Professionals, Report of a Who Meeting (Technical Report Series N°. 572), in E. Haeberle, & R. Gindorf. (Eds.). (1993), Sexology Today: A Brief Introduction (pp. 40-62). Dusseldorf: DGSS. http://www2.rz.hu-berlin.de/sexology/
Organisation mondiale de la santé, Regional Office for Europe, 1987, Concepts of sexual health: Report of a working grouphttp://whqlibdoc.who.int/euro/-1993/EUR_MUR_521.pdf
Organisation mondiale de la santé, 2004, « Sexual Health : a New Focus for Who », Progress in Reproductive Health Research, 67.
Pan American Health Organization/World Health Organization, 2000, May 19-22, Promotion of Sexual Health : Recommendations for Action. Proceedings of a Regional Consultation Convened by Pan American Health Organization (PAHO), World Health Organization (WHO), (In collaboration with the World Association for Sexology). http://www2.rz.hu-berlin.de/sexology/

 

Pour citer cet article

Giami Alain  ‘‘Santé sexuelle : la médicalisation de la sexualité et du bien-être‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/sante-sexuelle-la-medicalisation-de-la-sexualite-et-du-bien-etre

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