Dispositifs de soutien psychologique : peu de visibilité sur les besoins... et les moyens

Actualités professionnelles le 14 avril 2020

Plateformes et lignes d'écoute gratuites se multiplient dans un grand élan citoyen, où chacun navigue à vue.

Les dispositifs de soutien psychologique gratuits à destination des soignants et de la population générale se multiplient depuis plusieurs semaines. Parmi les dernières annonces, celle du lancement le 9 avril, d'une « plateforme nationale d'appui médico-psychologique pour tous les professionnels de santé » par le Ministère de la santé, suite à un « entretien téléphonique avec des acteurs de la filière santé mentale et psychiatrie ». Organisée sous la forme « d'une cellule d'écoute ouverte 7 jours/7 de 8h00 à minuit grâce à l'engagement de psychologues hospitaliers volontaires et bénévoles », elle devrait « évoluer pour mieux intégrer certaines initiatives régionales et les recommandations des instances ordinales ».

Une charte pour les plateformes

Dans une lettre ouverte à Olivier Véran, le Syndicat national des psychologues (SNP) et la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP) se sont émus ce week-end de ce que les organisations professionnelles les plus directement concernées par ce dispositif n'aient pas été associées à la concertation. Une déception d'autant plus vive qu'elles demandaient justement au gouvernement, le 8 avril, « la création d'une cellule nationale d'écoute psychologique coordonnant les diverses plateformes existantes, avec une vigilance quant au niveau de qualification des psychologues, appuyée sur la charte signée par les organisations de psychologues » et l'intégration de représentants de la profession dans les instances nationales de gestion de crise. « Il ne s'agit pas de tout organiser, mais de s'assurer que ces plateformes offrent des garanties de qualité. Ce type de soutien psychologique nécessite des compétences spécifiques en clinique du trauma », indique la co-présidente de la FFPP Gladys Mondière. D'où l'idée d'une charte explicitant les rapports entre les intervenants bénévoles et les plateformes, et ce quel que soit le public visé. Certaines l'ont d'ailleurs déjà adoptée.

 

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Le bénévolat en question

Mais l'autre enjeu de cette lettre ouverte était d'inviter à penser le rôle et la place des psychologues dans le service public, et de questionner « cet appel récurrent au bénévolat », lequel suscite d'ailleurs actuellement des débats parmi les psychologues sur les réseaux sociaux : les uns y évoquent un engagement citoyen, qui relève de la responsabilité individuelle de chaque praticien en libéral ; d'autres craignent de voir dévaluer et déprofessionnaliser un métier déjà peu reconnu et pointent l'ironie d'un engagement si massif à l'heure où bien des psychologues libéraux craignent de recevoir peu d'aide financière durant la crise. « L'élan solidaire est une bonne chose, il est respectable, mais les psychologues ne peuvent pas vivre de bénévolat, et pour garantir un accompagnement des patients sur le moyen et long terme, il faudra envisager un paiement. Peut-être sur le mode utilisé suite aux attentats, où des consultations avaient pu être remboursées ? », interroge encore Gladys Mondière. L'ampleur des besoins attendus relance en tout cas la question de l'importance accordée à la santé mentale dans la société, et aux moyens qu'on décide d'y dédier.

Une reconnaissance de la souffrance des soignants

Pour l'heure, la demande existe, mais reste contenue. L'association SPS, qui propose depuis 2015 une plateforme d'écoute gratuite (assurée par des psychologues rémunérés) à tous les acteurs des milieux de soin ouverte 24h sur 24, 7 jours sur 7, est certes passée « de 6 à 7 appels par jour avant la pandémie à 110 en moyenne, avec des pointes à 200 », comme l'indique son président, Eric Henry. Mais l'association a pignon sur rue et a reçu des soutiens financiers privés pour intensifier sa communication et son activité. « Cette crise oblige les acteurs à se rendre compte qu'il y a de la souffrance chez les soignants : les hôpitaux auparavant réticent à nous ouvrir leurs portes viennent désormais vers nous », poursuit-il. L'association, qui dispose d'environ 1000 psychologues spécifiquement formés, n'est pas inquiète quant à sa capacité de répondre en cas de demande croissante.

Plus d'offre que de demande

Dans des dispositifs créés à l'occasion de la crise sanitaire, les appels sont peu nombreux. « La demande – une petite vingtaine par jour – arrive beaucoup moins vite que les psychologues bénévoles : nous avons reçu 1500 candidatures en quelques semaines ! », constate Tiffany Terrier, cofondatrice avec son mari informaticien de « Psychologues solidaires », une plateforme de mise en relation des professionnels de la santé et du médico-social avec des psychologues issus de la France entière. Les premiers appels ont surtout concerné des professionnels angoissés à l'idée d'être réquisitionnés. Même décalage entre l'offre et la demande à Lille, où les collèges des psychologues des deux établissements publics de santé mentale - EPSM (Lille métropole et agglomération) ont monté, sollicité par leurs directions réciproques, trois lignes d'écoute dédiées à ces mêmes professionnels. « Nous recevons peu d'appels. Ce sont majoritairement les plus isolés dans leur travail, comme les aides à domicile, qui nous appellent pour le moment », relate l'un des coordinateurs, François Pacaud.

Après-coup

Il n'en est toutefois pas surpris : « Les soignants sont occupés à parer à l'urgence. Commencer à parler supposerait de reconnaître les défenses qui leur permettent justement de tenir dans ce temps de crise ». Comme Tiffany Terrier, il envisage une demande susceptible d'arriver dans l'après-coup. Bertrand Colin, psychiatre au centre Jean Favreau, impliqué avec les trois autres centres de l'Association de santé mentale du 13e arrondissement de Paris dans un dispositif d'écoute et de soutien des soignants et de leurs familles, évoque lui aussi un « mal insidieux, qui risque de s'exprimer sur la durée », avec notamment pour les familles « des traumas liés à des deuils difficiles à faire ». Une remarque qui vaut bien sûr pour la population générale. D'où la nécessité d'être prudent quant à l'évolution de la demande. Tous le disent : ils construisent au fur et à mesure, tentant de faire au mieux dans l'ici et maintenant. Pour l'après, l'incertitude domine.

Laetitia Darmon.

 

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