Le 10 juin dernier, nous étions environ 7000 dans toute la France, 2000 à Paris, à nous mobiliser pour défendre la profession. C’est une mobilisation historique, « un signal faible avant la révolte générale ! », ironise un proche, qui sait combien les manifestations de psychologues sont rares. Dix ans après s’être battus pour faire reconnaitre leur qualification et leurs compétences en tant que psychothérapeute, titre protégé depuis 2010, les psychologues ont cette fois battu le pavé pour défendre leur statut, leur autonomie et leurs salaires, qu’ils estiment à juste titre attaqués par les récentes mesures gouvernementales. Bien que très sollicités pendant cette crise sanitaire, ces mesures vont dans le sens d’une déconsidération et d’une dégradation de nos conditions de travail, tant dans le secteur public que privé, et d’une complexification des démarches pour les usagers, sous couvert d’un meilleur accès aux soins psychologiques pour tous.
Dans la Fonction publique hospitalière (FPH), d’abord, les psychologues font partie des rares professionnels de soin à être écartés des revalorisations de grille salariales prévues en octobre 2021 par le Ségur de la Santé, passant ainsi sous les indices de traitement des infirmiers, sachant que nombre d’entre eux ont des contrats précaires ou partiels ne permettant pas de vivre décemment de leur travail. Ils le clament depuis longtemps à un gouvernement sourd : leur grille de salaire n’est pas en adéquation avec leur niveau d’étude et leurs responsabilités. Ils sont également confrontés régulièrement à des tentatives de paramédicalisation et doivent souvent renoncer à leur temps FIR, pourtant essentiel.
En libéral, plusieurs dispositifs décidés dans l’urgence de la crise sanitaire et sans aucune concertation avec les psychologues ont fait déborder le vase : mise sous tutelle médicale, limitation du temps d’entretien et du nombre de séances, alourdissement du parcours patient et des démarches administratives, sélection des patients par le médecin traitant (seulement certains profils peuvent bénéficier du remboursement), honoraires dérisoires sans dépassement autorisé… Ces modalités, dénoncées à juste titre comme une véritable « uberisation » de la profession, nous semblent inapplicables, délétères pour tous, et disqualifiantes. Elles témoignent d’une profonde méconnaissance de notre statut et de notre travail, ainsi que du soin psychique et de sa temporalité. Professionnel des Sciences humaines, le psychologue « ne s’occupe pas tant de la maladie que de la vie», rappelle d’ailleurs Pierre Marie Lincheneau, psychologue bordelais, à un journaliste.
En bref, une fois de plus, le gouvernement met en avant de bonnes intentions mais dans les faits, s’attaque aux fondations même de notre profession et son code de déontologie. Loin de faciliter l’accès au soin psychologique, il le dénature et le morcelle (mort-scelle ?).
Ce 10 juin, unis, nombreux, et plus bruyants qu’à l’accoutumée, sortant enfin de leur réserve, je fus agréablement surprise par la fédération public/privé, et la mobilisation au-delà des clivages habituels. Amusée, aussi, par la créativité de mes collègues, visible sur les banderoles ou à travers les chants entonnés. Certains slogans furent poétiques (« ni SMIC ni chronomètre, pour notre attention absolue qui transforme les plaies en sucre », « toujours à l’écoute, jamais entendus, le MUR MUR du gouvernement »), d’autres, humoristiques (« Black Freuday », « Gentil, c’est pas un métier », « Ni bonnes, ni pratiques », « Plateformes partout, clinique nulle part »), ou… plus audacieux (un « PCR=74 euros, un psy=22 euros », « tu veux parler de tes attouchements en 5 minutes ? appelle le gouvernement ! »).
Des entrevues ont été demandée auprès des ARS, préfectures, ou même au ministère de la santé, sans retour probant pour le moment. Les psychologues revendiquent le respect de leur statut de cadre et de leur autonomie, ce qui implique un refus de leur paramédicalisation, la possibilité d’un accès direct pour les usagers, d’un remboursement « mais pas n’importe comment », et un renforcement des effectifs et des salaires dans le public comme dans le médico-social. Pour un soin de qualité qui respecte la temporalité psychique, en somme. Si la manifestation du 10 juin a marqué un point de départ, il nous reste maintenant à tenir le marathon !… Soulignons, au cœur de ces démarches, le rôle des syndicats, associations, fédérations, et particulièrement du collectif #ManifestePsy sur les réseaux sociaux, avec son dynamisme sans précédent. A suivre…
Léa Zanouy.
Psychologue clinicienne,
CH Charles Perrens (Bordeaux).