Nos patients doivent-ils rechercher l’authenticité ?

Papiers Libres le 2 décembre 2022

« Le but de la vie est la réalisation personnelle. Accomplir parfaitement sa nature – c’est ce pourquoi chacun de nous est sur terre. De nos jours, les gens ont peur d’eux-mêmes. » (Wilde, 1890).

L’authenticité personnelle est petit à petit devenue un pilier de nos sociétés libérales et occidentales. Ce concept est pour nous ce qu’était la sagesse à l’époque antique, à savoir un idéal. Oscar Wilde avait prédit que l’authenticité prendrait le relai de la sagesse. Ainsi, il écrivait dans The Soul of Man under Socialism : « “Know thyself” was written over the portal of the antique world. Over the portal of the new world “Be thyself” shall be written. » (Wilde, cité dans Romano, 2020), qu’on pourrait traduire par : « “Connais-toi toi-même” était inscrit sur le portail du monde antique. Sur le portail du nouveau monde, “sois toi-même” doit être inscrit. »

L’authenticité a des points communs avec la sincérité, puisqu’elle consiste à montrer la vérité. Cependant, la sincérité, c’est dire ce que l’on pense, alors que l’authenticité, c’est être ce que l’on est et se présenter à autrui comme tel. Il semblerait que l’authenticité soit un mélange entre deux concepts : l’identité et l’intégrité. L’intégrité, à savoir la conduite d’une personne qui s’en tient à des principes éthiques, est proche de l’authenticité, étant elle aussi une manière de vivre conformément à ses principes, mais aussi conformément à ses préférences et à ses émotions. Finalement, être authentique, c’est montrer à autrui qui nous sommes, tout en restant fidèle à nos principes et à nos aspirations (Romano, 2020). C’est une manière d'être soi et de se révéler comme tel, donc un dévoilement. C’est aussi la capacité d’accéder à son expérience (et à ses sentiments) pour se révéler à soi-même. Enfin, l’authenticité, c’est vivre et partager son expérience vraie, dans le présent, avec autrui (Guay, 1981).

Selon Jean-Paul Sartre, l’authenticité est le refus de la mauvaise foi et elle requiert de faire un choix, le choix de ne pas être un être déterminé (Baugh, 1991). Ainsi, la théorie sartrienne de l’authenticité est étroitement liée au concept de liberté. L’existentialisme est plutôt un modèle volontariste de l’authenticité, dans lequel l’individu se choisit lui-même, en étant fidèle à ses principes. La réflexion pure et authentique est alors pour Sartre la volonté de vouloir ce qu’on veut et le fait de se définir par cette volonté. L’authenticité n’est plus attachée au moi, à notre nature, mais à une authenticité du vouloir (Romano, 2020). Ce modèle soulève des questions. Comment faire des choix qui ne sont pas influencés par l’extérieur ? Comment savoir que ce que nous voulons est le fruit de notre volonté et qu’il ne s’agit pas en réalité des souhaits d’un autre pour nous ? Comment être authentique alors que l’environnement exerce son influence sur nous ? Sartre estime d’ailleurs que l’homme a une tendance naturelle à l’inauthenticité : « Je ne nie pas qu'il y ait une nature, c'est-à-dire qu'on commence par la fuite et l'inauthentique. » (Sartre, cité dans Baugh, 1991). Si l’authenticité est rattachée à une volonté et à des principes, pouvons-nous être authentique dans notre volonté de nuire ? Qu’est-ce que cela dit de la valeur morale de l’authenticité ? L’authenticité est forcément liée à la morale, puisqu’une personne qui en serait dépourvue ne pourrait respecter assez la vérité pour être vraie avec elle-même. Pour que l’authenticité puisse exister d’un point de vue psychologique, elle doit être une vérité envers soi et une vérité envers les autres. En effet, la construction de notre identité est sociale et c’est en prenant une position véridique face aux autres que nous découvrons qui nous sommes (Romano, 2020).

L’authenticité est une quête contre-productive, si nous la considérons à travers les conceptions du naturel, de Montaigne aux Moralistes classiques, la recherche active du naturel contrevient à l’objectif. L’authenticité ne devrait donc pas être une finalité consciente, nous n’avons pas à travailler dur pour l’obtenir, puisqu’elle consiste en fait à ne pas dissimuler et à ne pas tricher. Quelqu’un qui souhaiterait nous faire penser qu’il est authentique devrait le prouver et donc se le prouver à lui-même. Cette attitude, qui requiert beaucoup d’effort, serait-elle vraiment authentique ? (Romano, 2020).

Pourtant, la quête d’authenticité exige un retour sur soi et une réflexion pratique. Charles Larmore (2004) avait en effet distingué réflexion cognitive et réflexion pratique. La réflexion cognitive est liée à la connaissance, c’est une recherche de vérité au sujet du monde, de nous-mêmes et de nos raisons d’agir. La réflexion pratique, est quant à elle liée à l’action réfléchie, c’est une démarche de l’engagement, qui suppose de faire les choses en son âme et conscience et d’en assumer la responsabilité. La révélation de notre individualité, pour Charles Larmore, passe par l’accomplissement d’actes qui nous sont propres, c’est-à-dire que personne ne peut les faire à notre place. L’authenticité n’est pas exempte d’une forme de connaissance, puisque nos actes sont conformes à la connaissance que nous avons et aux normes que nous avons intégrées (Nadeau, 2005).

« Suspendant tout concept préalable de soi, on se laisse être (pour soi) et devenir (pour l'autre) son expérience, dans l'ici et maintenant d'une relation humaine. On prend le risque de se reformuler à ses yeux et à ceux des autres. Rien n'est calculé. Tout est naturel et spontané et en réponse à un besoin du moment présent qui se vit. L'authenticité est en quelque sorte un phénomène relationnel d'ouverture à autrui par l'entrée en contact avec sa propre expérience. Elle est donc en quelque sorte une liberté d'être soi-même » (Guay, 1981, p. 6-7).

Selon nous, divers processus entreraient en jeu dans la notion d’authenticité :

  • L'ouverture à son expérience : le ressenti conscient et sensoriel des émotions, l’accueil du sentiment que cela engendre
  • La révélation ou l'expression de soi
  • L’expression spontanée du sentiment ou du ressenti
  • Le dévoilement de ce dernier à autrui (Guay, 1981). 

 

Ces processus conduisent à une communication authentique, qui suppose évidemment l’authenticité des personnes qui communiquent. Ce processus implique que les personnes se révèlent les unes aux autres, s’ouvrent sur leurs expériences immédiates. Ainsi, la révélation de soi est l'aboutissement de la reformulation de soi (de ses sentiments et perceptions), reformulation qui initie ce même processus chez l'autre, l’amenant à se révéler à autrui. Les sentiments vécus individuellement sont alors à même d’être partagés. Le moi gagnerait ainsi en fluidité et en vérité, s’accordant avec l'expérience du moment (Guay, 1981).

L’objectif de la psychothérapie, selon Sidney Marshall Jourard (citée dans Guay, 1981), est d’ailleurs de favoriser l'être authentique. Au-delà de l’objectif thérapeutique, l’authenticité fait partie de la relation thérapeutique elle-même. Cela passe notamment par le fait de ne pas mentir au patient, qui pourrait alors ressentir l’inauthenticité de son thérapeute (D'Arcy-Dubois, 2018). C’est aussi ce que Carl Rogers (cité dans D'Arcy-Dubois, 2018) mettait en avant lorsqu’il évoquait la congruence du thérapeute, qui est vraiment lui-même avec le patient. Le thérapeute travaille avec son humanité, au service du client avec qui il va coconstruire un chemin vers un mieux-être.  Une des composantes de l’authenticité du thérapeute pourrait être la présence à soi, ce qui inclue la disponibilité, l’attention à l’autre, ainsi que des attitudes d’écoute et de compassion envers son patient. L’authenticité pose également la question du dévoilement du thérapeute, avec le lot de bénéfices et de risques qu’une telle posture comporte. L’authenticité du thérapeute est perçue par les patients par la solidité intérieure de ce dernier, ainsi que sa cohérence, son engagement, sa spontanéité, son humilité, sa disponibilité et sa capacité de dédramatiser par l’humour. Elle a un impact crucial dans la thérapie, favorisant la confiance et donc le rapprochement, elle motive le patient à poursuivre la thérapie, voire à accélérer le processus thérapeutique. Elle encourage le dévoilement du patient, en miroir car le thérapeute peut alors servir de modèle d’authenticité, rendant alors plus enclin le patient à explorer ses difficultés. Cependant, les patients rapportent également que l’authenticité du thérapeute peut être déstabilisante, en particulier au début de la thérapie (D'Arcy-Dubois, 2018).

Nous l’avons vu, le concept d’authenticité est essentiel en psychologie, et a des liens non négligeables avec l’alliance thérapeutique. Il est donc souhaitable pour nos patients d’être (plus) authentiques, mais est-ce une condition sine qua none du bonheur ?

Clara Fernandez Cruz

Psychologue clinicienne et psychothérapeute

 


Bibliographie 

Baugh, B., 1991, De l’individu à l’histoire : l’authenticité dans les écrits de Sartre. Philosophiques, 18, 2, 101–122. https://doi.org/10.7202/027154ar

D'Arcy-Dubois L., 2018, L’authenticité des thérapeutes selon la perspective des patients, Sherbrooke, Université de Sherbrooke.

Guay, L., 1981, Etude de l’émergence de l’authenticité relationnelle, Laval, Université Laval.

Nadeau, C., 2005, Être nous-mêmes / Étude critique de : Charles Larmore, Les pratiques du moi, Paris, Presses Universitaires de France, collection « Éthique et philosophie morale », 2004, 265 pages, Philosophiques, 32, 1, 247–257. https://doi.org/10.7202/011076ar

Romano, C., 2020, L’authenticité : une esquisse de définition. Philosophiques, 47, 1, 35–55. https://doi.org/10.7202/1070249ar

Wilde, O., 1890, Le Portrait de Dorian Gray, Paris, Flammarion, 1991.

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