Un point de vue sur la manifestation à Lyon

Papiers Libres le 30 juin 2021

  En voilà un moment qui restera dans l’histoire des revendications portées par les psychologues.

Ce jeudi 10 juin 2021, je quitte l’institution où je travaille suite à la réunion d’équipe hebdomadaire pour me rendre à la manifestation prévue devant la préfecture du Rhône à Lyon. Des pancartes et autres banderoles écrites à la main interpellent d'emblée. On peut lire, entre autres : « Uber psy », « Oh non ils ont encore tué les psys », « T2A, passage à l’acte en psy, un mort : le soin »,… Ce qui se donne à voir, c’est bien notre colère face un système de soin psychiatrique et éducatif à bout de souffle, sans perspectives autres que la paupérisation de nos pratiques.

C’est une joie de constater que les psychologues et d’autres aient prévu de manifester dans l'espace public. Nous faisons communauté pour faire entendre nos voix aujourd’hui rassemblées. L'espace des berges du Rhône est rapidement saturé par une assemblée de plus en plus grande. Nous investissons la route qui a été pour l'occasion coupée de sa circulation habituelle.

Je reconnais des visages, anciens camarades de faculté et collègues. Nous sommes réunis pour porter nos voix ensemble et donner à voir le collectif que nous sommes. Nous luttons contre les changements en cours dans les institutions du soin et du travail social, décidés sans aucune concertation. Cette absence de reconnaissance et de dialogue nous précarise, nous affaiblit en tentant de nous rendre muets.

Pris dans cette polyphonie collective, nous nous sentons appartenir à une force qui nous dépasse et nous porte. Dans le même temps, une délégation de collègues psychologues est reçue à l’Agence régionale de santé pour porter nos revendications. Nos voix portent aussi, en filigrane, celles de nos patients, équipes, groupes et usagers que nous avons la responsabilité d’accompagner.

Nos pratiques en tant que psychologues sont diverses mais toutes recherchent l’expression d’un sens pour accompagner l’autre à devenir ce qu'il souhaite, ce qu'il peut. Nous devons cela à nos patients. Être « psy » commence par l’humilité de reconnaître la confiance que nous font les autres en venant nous solliciter. Nous souhaitons simplement pouvoir être associés dans les dialogues concernant les changements à venir de nos pratiques professionnelles.

Pour revenir à la manifestation, un cercle se forme autour de la camionnette syndicale. L’assemblée écoute les propos des différents manifestants dénonçant la destruction à l’œuvre dans les institutions du soin et du travail social. Cette destruction s'organise actuellement par le mépris et l'indifférence. Assujettir nos pratiques professionnelles sans mise en débat collectif ouvre la porte à une violence insidieuse touchant la société dans son ensemble, plus particulièrement dans le monde du travail.

Une psychologue prend le micro : « Dans l’un des plus grands hôpitaux psychiatriques de France où je travaille, on n’a plus besoin de psychologues cliniciens sauf dans les unités pour adolescents et encore, on demande uniquement une approche (les neurosciences) et pas une autre. Il n’y a plus d’accueil de la souffrance psychique, on doit utiliser telle méthode et pas une autre. Désormais, on oriente les patients vers des plateformes où les personnes sont traitées comme des dossiers sans suivis thérapeutiques derrière et au suivant, c’est HONTEUX ! ». Ce discours entraîne les applaudissements de l’auditoire. Nous témoignons collectivement que cela a trop duré et que nous ne sommes pas prêts à nous laisser faire. La profondeur de nos engagements professionnels en vaut la chandelle.

Nous fûmes réunis pour dénoncer l’instrumentalisation du soin psychique et éducatif. Le mépris affiché par notre Ministre de la santé dans les jours qui suivent la manifestation à l'Assemblée nationale en dit long sur la méconnaissance des enjeux actuels traversant la psychiatrie et le médico-social.

La logique des soins psychiques précarisés est « en marche » depuis longtemps. Qui souhaite que les psychologues soient mis sous la tutelle du pouvoir médical afin d’exercer dans des cases prédéfinies pour travailler avec leur patient ? On peut légitimement s'interroger sur la prétendue nécessité d'en passer par le médecin pour consulter un psychologue. La durée et le nombre de séances seront fixés à l’avance par ce dernier qui prescrira un travail de psychothérapie dont il n'a ni l'expérience ni la pratique.

Le choix du gouvernement s’effectue bien sûr au rabais : une durée de séance réduite et une rémunération évidemment bien trop faible pour en vivre décemment. Il ne sera bientôt plus laissée au psychologue la possibilité de construire son propre cadre de travail au cas par cas en fonction de la demande de son patient. Qui voudra s’engager dans ces dispositifs « ubérisants» - et non pas « innovants » - si ce n'est des professionnels débutants qui ont besoin de travailler étant donné la difficulté de trouver des premiers postes en institution ? Les créations de postes sont quasiment inexistantes actuellement, restriction budgétaire oblige, alors que les demandes d’accompagnement psychologique n’ont jamais été aussi nombreuses.

Au travers de nos différentes pratiques de psychologue au sein des institutions et avec nos patients, c'est aussi une idée de l’accueil de la souffrance psychique que nous véhiculons au sein de l'espace social. Avec les réformes en cours, c’est la logique de plateforme diagnostique qui devient le modèle dominant au détriment du travail d’accompagnement psychologique au long cours. Face à ces attaques, la profession se tient vent debout contre la création d'un ordre des psychologues, contre la prescription médicale et contre l'imposition d'une durée fixe de consultation. L’impression que m’a donnée ce rassemblement fut vivifiante. En effet, nous sommes nombreux à tenter d'œuvrer au travail d’humanisation dans les institutions et en cabinet. J'espère que nous constituerons désormais une force collective visible trop souvent restée dans l'ombre. Faire l’expérience d’une unité luttant contre la folie des normes et des procédures qui nous tombent littéralement dessus fut vraiment réconfortante. Dans le contexte actuel de la Covid-19, quelle joie fut-elle de manifester en cette belle journée ensoleillée. Sous couvert de la Covid, nos espaces de travail collectif ont largement été mis à mal dans les institutions[1]. Au risque, il faut dire, de renforcer des clivages entre les professions qui travaillent habituellement de concert. Dans certaines institutions, l'absence de possibilité de se réunir en présentiel durant plusieurs mois a laissé les professionnels en proie à la violence d'une solitude imposée : les difficultés rencontrées au travail n’ayant plus été portées collectivement.

Pourquoi les gouvernements gèlent-t-il les points d’indice des salaires pour les soignants et les fonctionnaires depuis si longtemps ? Pourquoi organiser la précarisation des pratiques soignantes reconnues d’utilité publique ? Comment notre profession, qui a tant été mise en avant avec les dispositifs de soutien psychologique proposés parfois bénévolement lors de la crise sanitaire, peut-elle être aussi maltraitée au niveau de ses conditions d’exercice par nos représentants politiques actuellement au pouvoir ?

Face à de tels paradoxes, notre rassemblement a donné à entendre d’autres possibles. Nous, les « psy », serions désirés et en même temps réduits au silence. Espérons que ce rassemblement du 10 juin 2021 augure des forces de mobilisations futures pour résister face au rouleau-compresseur des réformes hors-sol.

Maxime Martin

Psychologue clinicien exerçant en cabinet et en pédopsychiatrie

 

Partage sur les réseaux sociaux

Abonnez-vous !

pour profiter du Journal des Psychologues où et quand vous voulez : abonnement à la revue + abonnement au site internet

Restez Connecté !

de l'actualité avec le Journal des Psychologues
en vous inscrivant à notre newsletter