Décrire les faits. La censure, entre limite et répression

Le Journal des psychologues n°257

Dossier : journal des psychologues n°257

Extrait du dossier : Psychologie du terrorisme
Date de parution : Mai 2008
Rubrique dans le JDP : Culture
Nombre de mots : 800

Auteur(s) : Houssier Florian

Présentation

« J’ai la prétention de ne pas plaire à tout le monde », disait Sacha Guitry.

Mots Clés

Détail de l'article

Au moment où une forme insidieuse de censure infiltre les pores les plus profonds de notre société, au moment où être citoyen signifie parfois être indifférent à tout ce qui nous ­entoure, revenons sur ce qui ne passe pas. Dans son étymologie, la censure renvoie à l’idée de déclarer le rang de chacun ; en extrapolant, ce serait l’action consistant à remettre chacun à sa place pour que rien ne dépasse. Le censeur est celui qui, par son jugement de condamnation, réprime l’expression d’autrui.
Le 17 février 1852, Louis Napoléon Bona­parte censure la presse : seuls les comptes-rendus officiels pourront être publiés concernant les procès et les dé­bats parlementaires. Cette décision s’accompagne d’une autre censure, celle des images. Plus près de nous, le journal Hara Kiri fut interdit, le 17 novembre 1970, pour provocation. Il titrait ainsi sa première page à l’occasion de la disparition du général De Gaulle : « Bal tragique à Colombey : 1 mort »
Depuis toujours, la culture est au centre de la question de la censure : Massacre à la tronçonneuse ou encore certains films pornographiques furent longtemps interdits de diffusion en France, jugés trop choquants ou violents. La condamnation morale a alors valeur de sanction.


Est-il encore possible de provoquer, d’attirer l’attention de l’autre, sans être réprimé ? Lorsque Sigmund Freud cite la censure, il reprend une de ses formes les plus connues : la censure de l’écrit, qui connut, avec les débuts de l’imprimerie, un regain d’organisation étatique. Ainsi, le passage censuré par un blanc est celui qui attire le plus l’attention, celui dont on se dit qu’il doit être particulièrement ­intéressant pour subir un tel sort. Pour rêver, la ­censure mobilise des mécanismes psychiques permettant de transformer des désirs crus en un univers onirique suffisamment déformé et voilé, jusqu’à tutoyer le surréalisme, pour être supportable. Il y aurait donc une limite à l’expression du désir, comme en témoigne la censure dont un président de la République peut en être l’objet. Un conseil de sages, semblant bien porter son nom, peut donc empêcher la promulgation d’une loi anticipant sur des actes qui n’ont pas encore été commis. Anticiper sur l’avenir d’individus catégorisés comme dangereux, voilà un mode de gouvernance pour lequel la censure a tout son rôle à jouer : le texte de loi est à modifier, à transformer, pour que – comme le rêve ne doit pas devenir cauchemar – la réalité reste supportable pour tous.


Dans un autre contexte, la censure est au service de l’oppression et non de la transformation. Ainsi, à l’époque du troisième Reich, August Aichhorn est l’un des rares psychanalystes à rester à Vienne au moment de l’Anschluss, se sentant trop vieux pour recommencer une vie ailleurs ; il tente alors de faire libérer son fils incarcéré dans un camp de concentration, à Dachau. Défiant l’autorité nazie tout en donnant le change en participant à l’Institut allemand de recherche en psychologie et psychothérapie de Berlin, il continue à former en secret, dans son appartement, quelques psychologues ou médecins intéressés par l’œuvre et le travail de Sigmund Freud, dont les livres jugés contraires à l’idée d’une race supérieure ont été brûlés sur la place publique.
Peu avant la fin de la guerre, craignant pour sa vie, August Aichhorn se retire dans un petit village pour écrire le livre qui lui tient à cœur sur les enfants et ­adolescents abandonnés (*), et qui restera inachevé. Pour pouvoir éditer cet ­ouvrage, il est contraint de demander conseil à une personne connaissant les règles de la censure du régime nazi ; dans cet échange épistolaire, il est question d’éviter des termes trop embarrassants ou contraires à l’idéologie dominante. Voici quelques extraits du courrier envoyé par ce conseiller éclairé : « Seul ce système de coordonnées concernant la théorie de la libido choque. Je vais vous dire comment nous nous sommes sortis d’affaire durant toutes ces années. Nous avons omis tout le système, mais l’avons remplacé par d’amples descriptions détaillées de l’état des faits qui, selon notre expérience, pèse dans la pathogenèse des névroses. Et cela avec une infatigable minutie. » Tout ce qui renvoie à la langue psychanalytique ne peut alors être employé que dans une perspective critique et historique. Ainsi, les termes « sexualité ­infantile », « complexe incestueux », « complexe de castration », « principe de plaisir » et « pulsion partielle » doivent être évités en s’appuyant sur le seul repérage des faits, cette substitution demandant paradoxalement des trésors d’imagination.
S’appuyer sur la description de faits, nier toute implication théorique, remplacer tout un vocabulaire constitué par une terminologie simplifiée aplatissant toute profondeur de champ psychique, réduire la sexualité à un comportement et non à un des fondements de l’être humain, cela ne vous rappelle rien ? Moi aussi.

 

Note
* Lire, à ce sujet, Houssier F. et Marty F. (sous la direction de), 2007, August Aichhorn : cliniques de la délinquance, Nîmes, Éditions Champ social.

Pour citer cet article

Houssier Florian  ‘‘Décrire les faits. La censure, entre limite et répression‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/decrire-les-faits-la-censure-entre-limite-et-repression

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