Des collèges de psychologie clinique

Le Journal des psychologues n°253

Dossier : journal des psychologues n°253

Extrait du dossier : Le WISC se met en IV
Date de parution : Décembre - Janvier 2008
Rubrique dans le JDP : Pages actuelles
Nombre de mots : 2000

Auteur(s) : Boissenin Paul

Présentation

Comme nous l’avons vu récemment 1, le rassemblement de psychologues sous forme de collège permet une meilleure assise de la discipline, mais sa réalisation se révèle parfois ardue et semée d’embûches. Dans un contexte d’« impérialisme médical », aux psychologues de ne pas céder à la passivité pour construire ensemble un projet psychologique digne de ce nom.

Détail de l'article

Si le plan de santé mentale 2005-2008 du ministère de la Santé impulse « la création de projets de psychologie clinique dans les établissements de santé, lesquels peuvent s’appuyer sur les collèges », il faut bien observer à ce jour :
• l’inexistence de nombreux collèges potentiels,
• le peu d’engouement dans les collèges créés, ceux-ci étant souvent animés par une poignée de professionnels,
• la pauvreté, dans cette collégialité, d’une élaboration, à part quelques aménagements locaux dans le positionnement de la psychologie et des psychologues à l’hôpital.
Au-delà de ces quelques effets collatéraux, rien n’a changé.
Comme le déplorait déjà notre collègue Bernard Festa, en 2005, « aucun texte n’attribue de place institutionnelle repérable pour les psychologues des hôpitaux […]. Actuellement, le conseil d’administration fonctionne sans entendre la parole de ses psychologues puisqu’ils n’y sont ni représentés ni même invités. Il manque assurément une inscription du collège comme instance représentative des psychologues à l’hôpital » (Festa, 2005).
Plus récemment, Jean-Paul Aubel (2007) en a appelé à la « création d’établissements de psychologie ».
Psychologue dans un établissement de santé, nous nous interrogeons sur ce qui fait résistance à la mise en place des collèges de psychologues et donc à l’absence de projet de psychologie digne de ce nom.
Pourtant, dans les établissements de santé, les psychologues qui travaillent avec les outils de la métapsychologie sont nombreux. Ces praticiens se réfèrent à « un concept de la vie et de l’évolution psychique issu de la pratique psychanalytique et du travail de théorisation de Freud et de ses principaux successeurs français et anglo-saxons » (Roussillon, 2007). La recherche d’Anne Golse (2002) en est une belle illustration.
Or, comme le fait remarquer le psychologue russe L. S. Vygotski (1995), « la question du psychisme, du conscient et de l’inconscient a une signification méthodologique déterminante pour tout système psychologique. Et le destin même de notre science est fonction de la façon dont on résout cette question essentielle pour elle ». Cet auteur est on ne peut plus clair : « C’est seulement avec l’introduction de ce concept [d’inconscient] que devient possible de manière générale la psychologie en tant que science indépendante. »
Comment comprendre alors cette inertie chez les psychologues, vingt ans après le titre ? Qu’en est-il du côté de l’administration et de la médecine ?

 

Pouvoir des directeurs administratifs et pouvoir des médecins
Les psychologues sont souvent (dys)qualifiés d’« électrons libres » sans que l’on sache si c’est la particularité de l’électron (particule élémentaire de masse très faible chargée négativement) ou son non-appariement (qui donnerait cette illusion de liberté) qui est dénoncé.
De fait, à défaut d’une instance qui les représente et leur donne une installation, les psychologues sont sommés, tels les agents médicaux et paramédicaux, de rejoindre des instances comme les pôles d’activité médicale créés par l’ordonnance n° 2005-2006 du 2 mai 2005, simplifiant le régime juridique des établissements de santé.
En même temps, le projet des psychologues de créer une Commission de psychologie clinique en CHU, à l’instar d’une Commission médicale d’établissement ou d’une Commission de soins infirmiers, est balayée par nos responsables administratifs au motif qu’il s’agirait d’une institutionnalisation supplémentaire, une autre coquille vide…
Le travail commun serait à faire avec le support d’une compétence médicale ; voilà le bel appariement !
Bilan : l’institutionnalisation des psychologues se fait aux dépens de notre identité, dans une position imposée. Comment, dès lors, envisager le « développement de l’autonomie de la personnalité » des personnes qui nous sollicitent ?
Qui plus est, cette direction ordonnée aux psychologues de s’affilier aux instances médicales rencontre le projet ancien, mais toujours présent, de médecins qui veulent récupérer la psychologie et les psychologues pour les inscrire dans le projet médical, « en complémentarité » des activités médicales.
Comme nous le rappelle Colette Duflot (2006), « lors d’une séance de septembre 1952, le conseil de l’ordre des médecins assignait à la psychologie une place “d’auxiliaire de la médecine” et faisait du “psychotechnicien” un “auxiliaire paramédical” autorisé à pratiquer des tests “sous contrôle médical effectif”. Le médecin était celui qui en assumait seul la prescription et l’interprétation” […]. Dans une séance d’avril 1970, le même conseil de l’ordre réaffirmait le statut d’auxiliaire médical du psychologue autorisé seulement à faire passer des tests “demandés et interprétés par les médecins”. »
Le 2 juillet 2004, le conseil de l’ordre adoptait le rapport de monsieur le docteur Pierrick Cressard qui stipule : « Les psychologues refusent d’être uniquement considérés comme des auxiliaires faisant passer des tests […]. Les psychologues cliniciens possédant une formation reconnue en psychopathologie sont habilités à conduire une psychothérapie, mais celle-ci sera prescrite par un médecin psychiatre (2). »

 

L’OPA sur la psychologie et les psychologues
Dénonçant un « impérialisme médical », Jean-Pierre Lebrun (1993) prévient que « le prestige lié à la science découle de ce que nous lui supposons un savoir qui vient – ou au moins viendra – nous assurer la maîtrise complète du réel. Nous pouvons d’emblée indiquer que nous savons qu’un tel espoir est vain […]. Car ce qui fait le sujet, ce qui le constitue comme sujet, c’est qu’en dernier recours il échappe toujours à toute totalisation ».
Actuellement, le mouvement est fort d’utiliser la psychologie et les psychologues dans le panel thérapeutique médical : « Une autre conséquence du développement de la science sur la pratique médicale contemporaine est la croyance de la médecine dans l’objet thérapeutique […]. La nouvelle efficacité de réponse à la demande du malade à laquelle autorise la médecine scientifique a eu pour effet de ravaler cette demande au niveau d’un besoin : ainsi, l’objet rapporté en guise de thérapeutique viendrait entièrement satisfaire ce qui ne serait plus alors qu’un besoin de soins médicaux. » (Lebrun, 1993.)
Administrer le soin psychique « en complément » de la prescription médicale, administrer les psychologues par des responsables médicaux, tel est le dessein qui se trame aujourd’hui sous le couvert d’une « psychologie médicale ».
Édourd Zarifian nous prévient des conséquences d’un tel glissement paradigmatique : « Dans notre société, la primauté est donnée à la quantification et à l’objectivation, parce que cela fait science, parce que l’on peut faire des statistiques. La psychiatrie a probablement perdu son âme – j’emploie des mots un peu fort – en cessant de s’intéresser au psychisme qui, par essence, est fait de qualitatif et de subjectif. La subjectivité n’a pas droit de cité. Or, quand on observe un peu, quand on s’interroge, nous ne sommes faits que de subjectivité. Ce qui nous rend humains, c’est la subjectivité et, cela, la psychiatrie ne veut plus en entendre parler ! »
Les psychologues vont-ils laisser filer l’essence de leur métier dans ce rabattement de leur activité sur l’objectivation et la quantification ? Vont-ils se laisser apparier institutionnellement au motif de la complémentarité (totalitaire) ?

 

La non-résistance des psychologues
Nous pourrons nous plaindre encore longtemps. Il n’en demeure pas moins une passivité des psychologues et une carence des associations de psychologues sur ces enjeux majeurs. Pourquoi sommes-nous devenus psychologues ?
On peut s’interroger avec Claude Halmos (2006) : « Qui peut s’autoriser – et de quel droit ? – à décider pour un autre ce qui est bon pour lui ? et au nom de quoi ? La psychologie s’est néanmoins de tout temps chargée de le faire. S’érigeant par là même en gardienne d’un “normal” et d’un “pathologique” qu’elle définissait et définit toujours, alors même que ces mots sont, on le sait, générateurs de tant de souffrance et d’exclusions. […] La psychanalyse a fait rupture avec cette idéologie. Elle a substitué au “général” le “singulier”. À la notion de “normalité”, elle a opposé celle de “vérité”. […] Car si progrès il peut y avoir dans la vie d’un être, c’est précisément de tendre vers sa vérité. »
Au moment où nous pouvons nous émanciper et poser les bases d’une réelle inscription de la science psychologique (au sens de L. S. Vygotski) et des psychologues dans la société, fidèles à « l’objet positif » de notre science (B. Golse) et nécessairement en marge du champ médical, allons-nous nous laisser adopter sans mot dire et abandonner les promesses d’une indépendance ?
Pouvons-nous ignorer encore longtemps le pouvoir de l’institutionnalisé ? La neutralité, même bienveillante, est-elle de mise dans l’inévitable rencontre politique entre les psychologues (un corps qui ne cesse de grandir) et les responsables publics ?
Pouvons-nous nous passer d’un mouvement national pour faire installer légalement les collèges dans les établissements de santé et pour faire reconnaître les psychologues comme professionnels de la réalité psychique, avec une rémunération à la hauteur de notre qualification et de notre travail personnel ?
Cette mise en ordre du rapport entre psychologues et responsables politiques ne prévaut-elle pas à la mise en ordre des psychologues ?
Sachant que le travail de mise en place d’une éventuelle instance ordinale prendra des années, les psychologues, en se focalisant sur cette question, ne prennent-ils pas le risque de s’éloigner de l’actualité préoccupante du positionnement de leur action dans la société ?
N’est-ce pas la responsabilité de tous les psychologues, et notamment des psychologues élus qui nous représentent, d’engager sans tarder avec le gouvernement un « projet d’utilité publique des psychologues cliniciens » pour faire advenir la reconnaissance de la réalité psychique des personnes comme une dimension tout aussi réelle que les autres réalités de l’humain.    

 

Notes
1. Stirn S., Garcin E., Blanrue G., 2007, « Collège de psychologie. Une nouvelle inscription institutionnelle et institutionnalisée », Le Journal des psychologues, 246 : 9-12.
2 Cressard P., « Conseil national de l’ordre des médecins », rapport adopté à la session du 2 juillet 2004.

 

 

Bibliographie

Aubel J.-P., 2007, « Les psychologues dans les établissements de santé. État des lieux », Le Journal des psychologues, 248 : 8-9.
Duflot C., 2006, « Je suis psychologue… mais ce fut toute une histoire », Psychologues et psychologie, 191 : 17.
Festa B., 2005, « Collège où es-tu », Psychologues et psychologies, 183-184 : 32-33.
Golse A., 2002, « Transformation de la psychiatrie et pratiques des psychologues », Convention de  recherche MIRE n° 22/00.
Halmos C., 2006, « Devenir soi est une heureuse évolution », La Croix.
Lebrun J.-P., 1993, De la maladie médicale, Paris, De Boeck Université, p. 57.
Roussillon R., 2007, Manuel de psychologie et de psychopathologie,
Issy-les-Moulineaux, Masson, p. 4.
Vygotski L. S., 1995, « Psychisme, conscience, inconscient. Éléments de psychologie générale », in Société française, 51 : 38.
Zarifian E., « Psychiatrie, psychotropes et psychothérapies », entretien
de
Pascal-Henri Keller.

 

Pour citer cet article

Boissenin Paul  ‘‘Des collèges de psychologie clinique‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/des-colleges-de-psychologie-clinique

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