Édouard Zarifian ou « le goût de vivre »

Le Journal des psychologues n°246

Dossier : journal des psychologues n°246

Extrait du dossier : La douleur : expérience et subjectivités
Date de parution : Avril 2007
Rubrique dans le JDP : Hommage à...
Nombre de mots : 1000

Auteur(s) : Gori Roland

Présentation

Édouard Zarifian fait partie de ces très grands psychiatres de la tradition médico-philosophique, dont nous sommes aujourd’hui orphelins, dans ce désœuvrement si peu miséricordieux que l’on appelle « la santé mentale ».

Détail de l'article

En psychiatrie, comme l’a si bien écrit Élisabeth Roudinesco (1), Édouard Zarifian « occupa une place centrale dans les débats qu’opposaient les partisans de l’approche psychique à ceux de l’approche cérébrale, soutenant que la croyance en un psychisme sans cerveau était aussi erronée que la conception scientiste d’un cerveau sans psyché ». Ce psychisme qui organise le corps subtil de la parole dans sa physiologie même comme dans l’alchimie de ses effets thérapeutiques et iatrogènes, Édouard Zarifian en a arpenté tous les territoires et fouillé tous les reliefs. D’abord par l’excavation médicale, ensuite avec le socle de la neuropharmacologie et enfin avec l’obstination de l’archéologue et ses drôles d’outils que sont la phénoménologie et la psychanalyse.
Interne aux hôpitaux de Paris en 1967, docteur en médecine en 1973, chef de clinique-assistant des hôpitaux en neuropsychiatrie à Paris-Cochin, il est nommé professeur de psychiatrie et de psychologie médicale en 1981 à l’université de Clermont-Ferrand, puis il devient titulaire de la chaire de psychiatrie et de psychologie médicale à Caen en 1984. Élève de Jean Delay et de Pierre Deniker, Édouard Zarifian s’oriente d’abord vers le courant de psychopharmacologie et de psychiatrie biologique. Spécialiste des états dépressifs et de la schizophrénie, il a d’abord poursuivi des recherches en neuroimagerie médicale et en psychopharmacologie. Il a obtenu en 1981 le prix Anna-Monica pour ses recherches sur la dépression. Mondialement reconnu par ses pairs, il en surprend plus d’un lorsqu’il dénonce les risques de dépendance qu’entraînent les psychotropes, les alliances objectives entre la psychiatrie universitaire et les industries de santé comme les conduites paradoxale des pouvoirs publics. Il a été chargé de mission de plusieurs rapports sur la psychiatrie et s’est attiré à cette occasion quelques haines fort tenaces. Mais le public l’a plébiscité et ses ouvrages comme Des Paradis plein la tête (1994) et Les Jardiniers de la folie (1998) sont devenus des best-sellers. Il a réalisé des films médicaux, de nombreuses émissions de télévision, de radio, près de cinquante documentaires. Édouard avait ce souci de mettre « la science en culture » à la portée du plus grand nombre pour leur faire partager les saveurs de la vie, sapientia. Soucieux de faire connaître à un large public les enjeux de la psychiatrie, Édouard Zarifian a publié chez Odile Jacob, où il était responsable de la collection la « Santé au quotidien », une dizaine d’ouvrages faisant l’état des lieux des travaux qu’il avait menés ou accompagnés et dont ses quatre cent cinquante articles scientifiques pouvaient témoigner de sa remarquable écriture. Édouard était membre de trente-deux sociétés savantes françaises et étrangères, de trente-neuf comités éditoriaux de revues françaises ou étrangères, expert auprès de l’OMS, membre de la HAS, de la commission scientifique de l’INSERM, de la commission 30 du CNRS et il avait été chargé de mission en 1994 auprès de la direction de l’Enseignement supérieur, puis par Simone Veil et Philippe Douste-Blazy pour une « mission générale concernant la prescription de l’utilisation des médicaments psychotropes en France ». Ce rapport, connu sous le nom de « Rapport Zarifian », fut publié en 1996 et a fait grand bruit. Il critiquait l’excès des prescriptions de psychotropes en France (2). Édouard a dénoncé, sans relâche, cette triple responsabilité de l’industrie pharmaceutique, des universitaires de psychiatrie (leurs conflits d’intérêts) et des pouvoirs publics. Depuis, Édouard Zarifian n’a eu de cesse de pointer l’excessive consommation de psychotropes créant par là même un problème de fond qui ne pouvait être réduit à un indicateur de quantité. Toutes ces dernières années, il me mettait en garde contre ces courants « éliminationnistes » du psychisme qui ont détruit la psychiatrie et détruiraient aussi sûrement la psychologie et la psychopathologie cliniques. Sur ce point et sur bien d’autres, une grande complicité nous unissait, ainsi que nos amis communs, Élisabeth Roudinesco et Pierre Fédida.
À suivre René Char, Édouard savait que « le passage de la connaissance à la science consomme une férocité » et que « toute l’autorité, la tactique et l’ingéniosité ne remplacent pas une parcelle de conviction au service de la vérité ». Alors, il a écrit des livres comme on murmure à des amis des confidences : « Nos organes sont largement interchangeables, comme le montrent les vies sauvées grâce à des greffes.
Cependant, pourquoi vous et moi savons-nous que nous sommes uniques au monde ?
(3) »
Alors, pourquoi ne pas terminer par une confidence ? Installés au salon du Lutétia à Paris, nous attendons Pascal-Henri Keller que tu tiens absolument à me faire connaître. Et puis tu m’évoques l’un de tes premiers souvenirs d’étudiant en médecine. Une femme est en train de mourir, les médecins ont pronostiqué qu’elle ne passerait pas la nuit. Tu lui tiens la main, tu lui parles et tu l’écoutes, tu écoutes ses murmures, sa musique entre la vie et la mort. Tu la regardes aussi et tu vois son regard. Et puis tu ne vois plus que son œil. À un moment donné, la vie a chaviré, le regard a disparu pour laisser place à l’œil. Et tu me parles alors des mystères du vivant, de l’humain et de l’inanimé. Que dis-tu ? Parle plus fort Édouard… « Nous avons encore beaucoup de choses à nous dire. »
« Notre parole, en archipel, vous offre, après la douleur et le désastre, des fraises qu’elle rapporte des landes de la mort, ainsi que ses doigts chauds de les avoir cherchées (4). » (René Char.) ■

 

Cet hommage à Édouard Zarifian a aussi été rendu par Roland Gori dans le numéro de mars 2007, de la Lettre de Psychiatrie Française.

 

Notes
1. Le Monde du 23 février 2007.
2. Cf. Laboutière J.-J., 1996, « Les raisons de l’excès de prescription de psychotropes selon le rapport de Zarifian (1996)
http://afpep-snpp.org/presentation/presentation-afpep-snpp/
3. Zarifian E., 2005,
Le Goût de vivre, Paris, Odile Jacob, p. 106.
4. Char R., 1962,
La Parole en archipel, Paris, Gallimard, 1986, p. 139.

 

Pour citer cet article

Gori Roland  ‘‘Édouard Zarifian ou « le goût de vivre »‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/edouard-zarifian-ou-le-gout-de-vivre

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