L’insertion professionnelle des jeunes psychologues. Le stage en tant qu’expérience ?

Le Journal des psychologues n°242

Dossier : journal des psychologues n°242

Extrait du dossier : La pluridisciplinarité : le psychologue et les autres
Date de parution : Novembre 2006
Rubrique dans le JDP : Université > Profession
Nombre de mots : 2400

Présentation

Voici quelques mois, des manifestations nationales sensibilisaient l’opinion publique sur la laborieuse accession des jeunes, diplômés ou non, à un premier emploi et sur le caractère souvent précaire de ce dernier. Dans certaines filières universitaires, plus particulièrement, trouver un emploi est extrêmement ardu et oblige certains à se réorienter. Dans ce contexte, qu’en est-il de l’insertion professionnelle des psychologues nouvellement diplômés ?

Détail de l'article

L’insertion des jeunes psychologues n’est pas une question récente. Elle apparaît dès le début des années quatre-vingt-dix, avec la création des premiers observatoires de l’insertion professionnelle dans les universités. En outre, une lecture attentive des premières revues de la corporation nous montre qu’avant même la promulgation de la loi relative à la protection du titre de psychologue en 1985 et de son application par les décrets de 1990, se posait la question de la régulation du nombre d’étudiants en psychologie (Ricateau M., 1984, p. 924). Ainsi, en 1984, on dénombrait trente mille étudiants engagés dans ce cursus. Ce chiffre a doublé en vingt ans. On comptait en effet soixante mille étudiants en 2005 (Vanek A., Mareau C., 2005, p. 95). On retrouve également des études relatives à la personnalité et aux motivations des étudiants inscrits en psychologie dès les années soixante-dix. Ainsi, à peine vingt ans après la création de la licence de psychologie par Daniel Lagache, la profession s’interrogeait déjà sur ses étudiants et leur régulation avec, en toile de fond, la question de leur insertion professionnelle.

 

Précarité et reconcements

Actuellement, les universités forment environ cinq mille nouveaux psychologues chaque année, pour une corporation professionnelle réunissant quarante mille psychologues dont 70 % de cliniciens (Le Monde, 2006). Des études menées par des observatoires de l’insertion des jeunes diplômés de plusieurs universités dressent un constat en demi-teinte. Si, deux ans et demi après l’obtention de leur diplôme, la grande majorité des diplômés occupent un emploi, seuls 53 % à 80 % de ceux-là, en fonction des régions, exercent en tant que psychologue. Un peu moins de la moitié des jeunes diplômés trouvent un emploi au sein du secteur d’activité qui les intéresse, tandis que l’autre moitié se trouve contrainte, au bout d’un certain temps d’inactivité, à de nombreux renoncements. Il s’agit pour plusieurs d’entre eux d’élargir leurs recherches sur le plan géographique ou d’occuper des postes dans des secteurs d’activité qu’ils n’ont pas vraiment choisis. Pour d’autres, les sacrifices sont plus graves. Certains acceptent, pressés par des contraintes financières, des postes ne reconnaissant pas leur statut de psychologue ou renoncent même à exercer leur profession. Benoît Schneider, président de l’Association des enseignants-chercheurs des universités (AEPU), n’hésite pas à formuler ce constat ainsi : « Laisser penser aux étudiants qui s’engagent dans la filière et entreprennent des études supérieures pendant cinq, six ou sept ans, que le diplôme auxquels ils postulent, lorsqu’ils accèdent en M2, les conduira à un emploi de psychologue est une duperie pour un grand nombre d’entre eux. » (Schneider B., 2006.) Si, selon les études, une majorité semble néanmoins trouver un emploi de psychologue, il n’en reste pas moins qu’ils sont confrontés à des difficultés importantes, beaucoup ne pouvant pas d’emblée vivre de leur seule profession. En effet, les premiers postes sont souvent synonymes de précarité, autant par leurs statuts (vacation, remplacement, CDD…), leur temps de travail (quelques heures par semaine) ou leurs rémunérations. Cet état de fait qui touche particulièrement les cliniciens reflète plus généralement les difficultés du marché du travail pour les psychologues. En effet, selon des chiffres émanant du ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, environ 14 % des psychologues cliniciens seraient au chômage, soit près de quatre mille demandeurs d’emploi.
En raison de la difficile et précaire accession à l’emploi des jeunes psychologues, une enquête préliminaire sous la forme d’entretiens téléphoniques auprès de jeunes diplômés de DESS de psychologie clinique a été menée. Lors de ces entretiens, leurs recherches d’emploi et leurs expériences auprès de recruteurs ont notamment été analysées. Cette enquête a permis de mettre en évidence des éléments de réponses, mais a surtout soulevé beaucoup de questions. Nombre de jeunes psychologues voient leurs candidatures rejetées sous l’égide d’un même argument : le manque d’expérience. Une jeune diplômée résume ainsi : « À chaque fois, on me dit : “Vous avez des stages mais pas d’expérience professionnelle.” Pour eux, ce n’est pas la même chose. C’est à croire que les stages n’ont pas de valeurs pour un recruteur. On ne nous a jamais payés pour notre travail, alors pourquoi prendrait-il le risque de nous engager et de nous rémunérer sans aucune sécurité de notre valeur et de nos compétences ? » Ce témoignage nous interroge sur le statut des stages comme reconnaissance de la pratique professionnelle, soit comme expérience professionnelle, certifiée par les pairs et dont la rémunération, même symbolique, viendrait rétribuer, et donc reconnaître le travail. Cela met en cause également le diplôme de psychologue qui ne semble pas pouvoir garantir vis-à-vis des recruteurs les compétences du jeune diplômé.

 

Des stages non valorisés

Derrière la question du stage se pose en effet la double question de la compétence et de l’expérience. Concernant, tout d’abord, celle de la compétence, Alix Foulard (2002), psychologue clinicienne intervenant dans un centre de bilan de compétence, notamment auprès des jeunes diplômés de second ou troisième cycle, nous apporte l’éclairage de sa pratique. Elle met ainsi en lumière qu’il existe un décalage important, voire un paradoxe, entre la formation validée par un diplôme et la perception de sa capacité d’exercer la profession. « Les savoirs acquis confèrent un sentiment d’efficience, mais sont loin de produire le sentiment de compétence tant recherché […] Leurs difficultés à mobiliser leurs compétences ou du moins à faire émerger le sentiment de compétence sont réelles, l’éprouver à travers des actes concrets est encore plus difficile, […] se concevoir comme opérationnel est très rare. » (Foulard A., 2002, pp. 33-50.) Elle aborde un élément crucial en ajoutant que « Les étudiants ont peu souvent l’occasion d’appliquer et de valoriser sur le terrain les théories pointues qu’ils acquièrent. » La question de la compétence nous renvoie ainsi naturellement vers celle de l’expérience et donc du stage. Si, comme le rappelle Françoise Caron, « les stages sont le lieu incontournable de la formation professionnelle » (Caron F., 1999), ce n’est pas sans répondre à certaines conditions, qu’elle a pris le soin de formaliser. Ainsi, pour être qualifiant, un stage doit être un lieu de confrontation au réel de l’institution accueillant des psychologues et de la place qu’ils y occupent afin d’amener l’étudiant en psychologie à réaménager les représentations souvent idéalisées qu’il avait construites de la profession. Parallèlement à cette rencontre du réel, celle de professionnels et surtout l’échange auprès d’eux, autour de leurs expériences, vont permettre la construction progressive de l’identité de psychologue. La mise en pratique des outils et techniques acquises lors de la formation théorique venant consolider cette identité professionnelle naissante devrait permettre l’émergence du sentiment de compétence (op. cit., pp. 63-71). Que signifie alors la grande difficulté pour beaucoup de jeunes diplômés à se percevoir comme compétents ? Dans d’autres formations de haut niveau, les périodes de stage sont souvent comptabilisées au titre de l’expérience professionnelle, pourquoi n’est-ce pas le cas des stages de futurs psychologues ? Les élèves ingénieurs, d’école de commerce ou de management, mettent en pratique sur leurs lieux de stage des savoirs et acquièrent des savoir-faire. Il en est de même pour les futurs psychologues. Cependant, pour ces derniers, ces expériences sont loin d’avoir les mêmes poids et valeurs dans l’insertion professionnelle dont bénéficient les diplômés des autres filières. À quoi tient cette différence ? Nous pouvons émettre plusieurs hypothèses. Une première est liée à la nature de ce qui est transmis lors de la formation en psychologie et vient interroger plus globalement la perception de la profession par les non-psychologues. Si les objets d’études, les procédures et les techniques des autres filières sont le plus souvent scientifiques, observables, rationnels et même quantifiables, il est possible que le grand public, mais aussi certains employeurs de psychologues considèrent que les savoir-faire et compétences en psychologie sont beaucoup plus impalpables et difficilement définissables, rendant leur transmission sur un lieu de stage insuffisante, voire inappropriée. Pour ceux-là, on peut supposer que seules une longue pratique de terrain et une expérience de vie « significative », pour eux incompatibles avec le jeune âge des nouveaux diplômés, seraient gage des compétences du psychologue. Cette phrase d’un recruteur à une jeune diplômée : « Il ne suffit pas d’avoir un DESS de psychologie pour être un psychologue » peut tout à fait s’entendre ainsi. Une seconde hypothèse suggère que ce qui est transmis sur les lieux de stage ne serait pas en adéquation avec ce qu’attendent les employeurs d’un psychologue. Il faudrait examiner la question de leurs attentes afin d’évaluer celles qui sont compatibles avec la fonction du psychologue et estimer comment les satisfaire, lors de la formation ou sur les lieux de stage. En somme, il s’agit d’identifier et de comprendre ce qui fait défaut dans la formation, ce qui pourrait expliquer les écueils que rencontrent les jeunes psychologues pour trouver un premier emploi ?
Françoise Caron apportait déjà en 1999 une réplique à ces questions en affirmant que « toutes ces réflexions sur les stages imposent que des règles contractuelles précises et généralisées à l’ensemble de la profession et du corps universitaire soient établies entre les deux partenaires, Enseignants et Psychologues – Maître de stage. » Néanmoins, comme nous l’avons précisé plus avant, « si l’on met en rapport le nombre d’étudiants à former et les capacités d’accueil des professionnels, on constate aisément les difficultés de réponses satisfaisantes. Quelle profession pourrait clairement afficher qu’elle délivre des diplômes d’exercices (c’est là le sens du “titre”) sans garantir à l’usager que le psychologue auquel il s’adresse a côtoyé durant sa formation, de façon structurée et suivie, un professionnel expérimenté. » (Schneider B., 2006.) La réglementation des stages souligne en effet le problème du nombre d’étudiants en rapport avec le nombre de maîtres de stage. Son application sous-entend donc une régulation du nombre d’étudiants, et ce, dès l’entrée en second cycle. Une pétition circule d’ailleurs en ce sens actuellement (FFPP, 2006). Cette régulation des étudiants n’influerait pas seulement sur la qualité de la formation, mais par ricochet sur l’insertion professionnelle des psychologues par la certification de leurs compétences et la régulation de leur nombre.
L’exemple d’autres pays est à ce titre très instructif. Au Canada par exemple, où la psychologie clinique est qualifiée de « psychologie professionnelle » (Sabourin M.-E., 1999) et où le chômage des psychologues n’existe pratiquement pas, l’accès à la pratique psychologique est particulièrement contrôlé. Le jury d’examen ne valide pas seulement l’obtention du diplôme, il surveille également l’exercice des jeunes praticiens. Cet accompagnement qui peut prendre la forme d’un tutorat a pour objectifs la protection du public, une meilleure transmission auprès des jeunes diplômés, et ainsi certifie les compétences des professionnels de la psychologie et, de ce fait, le sérieux de la profession. L’insertion professionnelle des jeunes diplômés mais aussi plus largement de l’ensemble de la communauté des psychologues en est par là même facilitée. Ces instances de régulation offrent en effet aux recruteurs, employeurs et usagers de la psychologie, des garanties légales et institutionnelles de formation, d’expérience et d’éthique.

 

Une profession non reconnue en France

Les difficultés d’insertion professionnelle des jeunes diplômés et la précarité de l’emploi des psychologues sont des signes témoignant de la fragilité de la reconnaissance et parfois de la méconnaissance de la profession en France. Se rassembler aujourd’hui afin de protéger, de développer et de promouvoir notre profession, est l’enjeu fondamental des années à venir. Légiférer autour du titre, de l’exclusivité de la pratique du psychologue, et surtout garantir la qualité de sa formation théorique et pratique en créant un organisme légal (ordre des psychologues ?), doté de fonctions régulatrices, inscriront de façon solide et durable la profession au sein de la société. Reculer davantage le temps de réglementer notre profession reviendrait à cultiver l’ambiguïté et enverrait le message suivant : les psychologues eux-mêmes ne parviennent pas à se positionner, à affirmer leur place et la spécificité de leurs compétences. Ce message dommageable à l’ensemble de la profession risquerait de faire perdre son crédit à notre discipline autant qu’il mettrait les usagers en danger. ■

 

 

Bibliographie

Caron F., 1999, « Le stage est-il un outil qualifiant pour la formation des futurs psychologues ? », Pratiques psychologiques, 1 : 63-71.
Fédération française des psychologues et de psychologie, 2006, « Ne bradez pas la profession de psychologue ! », Une pétition pour l’avenir des étudiants et des jeunes diplômés.
Foulard A., 2002, « De l’origine du projet dans le bilan de compétences ou l’innocent et le tiers passeur », in Vivre ses projets. Construire activement son projet professionnel, Paris, ESF éditeur, pp. 33-50.
Lelard N., Collette S., 2000, « L’insertion professionnelle des diplômés de DESS de psychologie à l’université Paris-X, Nanterre : de l’université au monde du travail », Pratiques psychologiques, 2.
Prieur C., 2006, « Les professionnels de la psyché redoutent l’émergence d’une “psychothérapie d’état” », in Le Monde (19 février 2006).
Rapport Dares, 2002, pour le ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité.
Ricateau M., 1984, « Image subjective des étudiants de psychologie et réussite universitaire », Bulletin de psychologie, Tome XXXVII, 367 : 924-955.
Sabourin M.-E., 1999, « La psychologie professionnelle au Canada », Pratiques psychologiques, 3 : 35-44.
Schneider B., 2006, « LMD, diplômes et diplômés de psychologie en France : la dérive ? », Le Journal des psychologues, 234 : 14-15.
Vanek A., Mareau C., 2005, Les Métiers de la psychologie, La Flèche, Guides Studyrama 3e édition.
Études récentes des Observatoires universitaires de l’insertion des jeunes diplômés en DESS de psychologie.
Université de Provence (Aix-Marseille-I) Master 2 professionnel de psychologie clinique et psychopathologie, 2005, « L’insertion des jeunes diplômés ».
Observatoire du Suivi des études et de l’insertion professionnelle des étudiants université René-Descartes, Paris-V, 2002, « Insertion professionnelle des diplômés de DESS et de MST ».
Observatoire des Parcours étudiants et de l’insertion professionnelle de l’université Rennes-II, 1997.


 

Pour citer cet article

Michaut-Oswalt Stéphanie  ‘‘L’insertion professionnelle des jeunes psychologues. Le stage en tant qu’expérience ?‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/l-insertion-professionnelle-des-jeunes-psychologues-le-stage-en-tant-qu-experience

Partage sur les réseaux sociaux

Le Service militaire adapté : relais du lien médico-social et psychologique
Pratiques en santé mentale. Dossier « Le rétablissement » Pratiques en santé mentale. Dossier « Le rétablissement »

Abonnez-vous !

pour profiter du Journal des Psychologues où et quand vous voulez : abonnement à la revue + abonnement au site internet

Restez Connecté !

de l'actualité avec le Journal des Psychologues
en vous inscrivant à notre newsletter