Dossier : journal des psychologues n°257
Auteur(s) : Boisnard Nicolas
Présentation
Si les consultations s’adressent bien souvent aux adolescents consommateurs de cannabis, il n’en demeure pas moins que leurs parents ont eux aussi besoin d’un lieu où leur souffrance et leur désarroi puissent être entendus. Une meilleure compréhension des éléments qui les a projetés, eux et leurs enfants, dans cette réalité, leur permettra de rétablir les lois de la parole. L’exemple d’une consultation ambulatoire à Aix-en-Provence.
Mots Clés
Détail de l'article
La plupart du temps, il n’est fait que très peu de place aux parents dans les consultations motivées par la consommation de cannabis chez les adolescents. Depuis l’ouverture de la consultation ambulatoire de l’association Tremplin (CSST Le Cairn), à Aix-en-Provence, nous avons pris le parti, radicalement différent, d’accorder toute notre attention à ces parents qui, dans le désarroi, se tournent vers nous.
Plusieurs raisons nous ont conduits à cette prise de position :
● Lorsque les parents prennent l’initiative d’appeler, les jeunes sont rarement enclins à entériner la position de leurs parents. La disqualification, à cette période marquée par leur autonomie naissante, est une pratique courante, et on les entend souvent dire : « C’est ma mère qui veut que je vienne. Elle voudrait que j’arrête de fumer. Elle croit, parce que je fume avec les copains, que je vais devenir toxico. Elle me prend la tête là-dessus. »
● Les valeurs prônées par les parents sont souvent rejetées par l’adolescent.
● Si les parents nous attribuent, sur la recommandation d’un autre parent ou d’un médecin, un supposé savoir sur leurs difficultés ou sur l’adolescence, les adolescents, quant à eux, sont plutôt demandeurs d’informations « fiables », scientifiques, médicales, sur « le produit », et plus rarement sur une souffrance ou un mal-être.
● La souffrance, le sentiment d’impuissance, la culpabilité des parents, doivent être entendus, faute de quoi les réactions à la provocation, à l’agressivité de l’adolescent, peuvent aggraver la situation.
● Quand ils s’adressent à nous, c’est en qualité de parents qu’ils nous font part de leurs inquiétudes, de l’impuissance qui les conduit à nous demander : « Que dois-je faire ? » La souffrance est bien plus de leur côté que de celui de leur enfant qui, peu demandeur, est au contraire tout au plaisir qu’il découvre.
● À l’adolescence, avec la puberté, leur enfant change. Ce qu’il devient ouvre une brèche qui, parfois, n’est pas à négliger. Face à la violence des propos de leur enfant, les parents éprouvent un moment d’incroyance (Unglauben (1) qui provoque une vacillation de l’Autre, lieu symbolique. Se pose alors la question de l’existence du sujet, au-delà de la fonction parentale.
Ce choix ne préjuge en rien de leur éventuelle responsabilité, mais entérine une plainte, susceptible de devenir symptôme et donc analysable. Analyse qui, comme l’expérience le montre, est loin d’être sans effets sur leurs enfants.
Écouter le père ou la mère n’est pas écarter l’enfant dont ils parlent. L’analyse de ce qui se dit permettra de dénouer les éléments (histoire, santé, famille, trauma) qui l’assignent, le piègent, à la place où il se trouve. Quelle que soit la place accordée à l’adolescent dans notre réponse, il est souhaitable, voire indispensable, que la souffrance des parents soit entendue avant que ne soient apportées des réponses inappropriées, sévères ou brutales. Ces réponses stigmatiseraient une pratique qui n’est pas toujours bien établie et qui risque de devenir l’enjeu d’un désaccord, de promouvoir un bénéfice secondaire – subrepticement, la souffrance devient comme une raison d’être du souffrant – de désigner un objet de jouissance.
L’écoute d’un ou des parents vise à « réordonner les contingences du passé en leur donnant le sens des nécessités à venir » (Lacan, 1966), et faire en sorte que ce qu’ils transmettent à leurs enfants soit marqué des manques et divisions qui les constituent, plutôt que du refoulement.
L’adolescent, qui incarne ici l’avenir, doit découvrir le sien, fût-ce en un moment où il est en proie au réel. Pour l’adolescent, ce sont les manifestations du réel, à la puberté, qui « vérifient » les acquis de la sexualité infantile. Il en résulte parfois que des failles dans la construction du sujet, souvent restées inaperçues tant que l’enfant est sous tutelle parentale, vont se révéler. Avec la puberté survient alors un déplacement du champ pulsionnel. Les modifications réelles, pulsionnelles, sont d’abord non symbolisées, puis mal symbolisées par le rapport sexuel.
Les premières consultations
Elles ont lieu soit à la découverte accidentelle de cannabis, soit à l’apparition des premiers signes d’une rupture familiale, scolaire ou sociale, imputée au cannabis. Le charme est rompu. Leur enfant leur échappe, déchire une image, ouvre une brèche à la souffrance.
Dans la souffrance, ce qui nous arrive va toujours à l’encontre de ce que nous avions imaginé ; la rencontre avec les autres, le monde, ne se réalise pas comme nous l’avions projetée. La souffrance nous sépare de nous-même, nous divise ; division qui, d’emblée, fait planer l’ombre de la mort. La projection sur les autres, ici celle du risque, est le moyen de nous mettre à l’abri, d’éviter d’avoir à tenir compte des effets de cette division qui, pourtant, conditionne notre humanité.
L’interpellation vient ici d’un fils ou d’une fille qui déloge le parent le plus fragile de l’image qu’il a de lui-même, donne prise à la culpabilité de ne pas avoir vu, de ne pas avoir su éviter « ce qu’il y a de pire pour un parent », la toxicomanie. L’image déchirée nous révèle autre que ce que nous nous imaginions être. L’apostrophe porte atteinte à la représentation, révèle l’illusion, la mystification. Le mensonge consiste, eu égard au devenir des enfants, à vouloir prendre l’image pour le corps, l’illusion dérivée du désir pour le désir (2).
Dans les situations de consommation bien établie, l’agressivité, la violence, provoquent parfois une peur panique chez les parents : peur pour eux, peur pour leurs autres enfants. La violence témoigne ici certainement de la place d’objet a qu’a – ou qu’a eu – leur enfant. L’amour a jeté sur lui son dévolu. L’objet a a suivi le parcours qui est le sien, de la brillance phallique à sa condition de déchet. Les parents reçoivent ici leur discours inversé. Pour J. Lacan « ce que nous donnons dans l’amour, c’est essentiellement ce que nous n’avons pas ; et quand ce que nous n’avons pas nous revient, il y a régression, assurément » (Lacan, 1963).
Lors des premières consultations, le tableau dressé par le ou les parents présente le fils ou la fille en « perspective dépravée » (Baltrusaiti, 1984). L’anamorphose dévoile ici quelque chose de l’histoire, de la division, du sujet. Elle présente, sous forme de tache, ce qui ne peut être vu, fût-ce sur fond d’angoisse. Les parents, souvent, tels les ambassadeurs du tableau de H. Holbein (3), trônent entourés des valeurs qui leur servent d’assises imaginaires. Fascinés par la perspective de l’accident, ils refusent de voir la mort qui doit avoir une place dans le tableau.
La situation impose un minimum de ré-ponse pour faire baisser l’angoisse, réaction au risque d’une éventuelle perte de l’être aimé ou de son amour, et ce, sans « culpabiliser » les parents : ils se chargent eux-mêmes de cette variante de l’angoisse, réaction au désamour qui pourrait survenir, en guise de châtiment d’une faute réelle ou imaginaire.
La plainte exprimée, la souffrance entendue, quelques indications suffisent parfois. Les parents, de s’entendre parler à un tiers neutre, ici indispensable (4), peuvent très rapidement réaliser ce qui « cloche » dans leur position et la rectifier. Cette écoute visera, entre autres, à favoriser les conditions qui permettront aux parents de s’autoriser à mettre des limites. Bon nombre de parents que j’ai reçus m’ont donné l’impression de ne pas pouvoir s’autoriser à tenir une place de sujet vis-à-vis de leur adolescent, avec toutes les difficultés que cela comporte de ne pas céder. Ils confondent fermeté au nom de la loi avec autoritarisme pour leur jouissance (la première structure, la seconde conduit à l’incompréhension, au chaos). Ils oublient la valeur structurante de la castration, de l’opposition, du conflit, voire du manque, confondant risque, « principe de précaution » et interdit structurant (5), tout particulièrement s’il est question de « drogue ». La crainte du monde extérieur, de la dérive, est telle qu’il faut en protéger leur enfant à tout prix.
Mais l’expérience montre que si des parents manifestent une difficulté à laisser un enfant « vivre sa vie », faire des expériences, trouver ses solutions, sous prétexte de risques encourus, d’une faiblesse supposée, il faut se demander si cela ne renvoie pas à une difficulté qu’ils ont eux-mêmes rencontrée. Difficulté qui a pour effet de ne pas permettre aux parents de saisir ce qui est en jeu pour leur enfant à ce moment-là et qui les met dans l’impossibilité de trouver une réponse appropriée aux questions déroutantes, perturbantes, de l’adolescent, car, comme l’écrit S. Lesourd (2001), « les mises en acte à l’adolescence sont limitées dans les faits et ont de tout temps été les mêmes : la délinquance comme question à la loi, la toxicomanie comme question à la jouissance et l’acte sexuel comme question à la sexuation du corps ».
Si on les invite à parler, très vite, d’autres questions surgissent : comment se fait-il qu’ils supportent cette situation ? Qu’est-ce qui est en jeu, pour eux, dans ce laisser-faire ? Pourquoi rencontrent-ils cette difficulté à laisser cet adolescent(e) vivre sa vie, prendre des risques, mettre à l’épreuve l’éducation qu’il a reçue ? Ces questions déployées, il est parfois possible d’en rester là. Mais en prenant garde : le comportement de leur enfant est peut-être entré en résonance avec une blessure ancienne. Beaucoup plus souvent que l’on ne le croit, les craintes ou le désarroi des parents ont une « origine » autre que le comportement de leur enfant ; celui-ci ne faisant que réveiller une blessure passée. Blessure non sans rapport avec ce qui n’a pu s’écrire d’un impossible de structure, liée aux limites et à la modalité du nouage réel, symbolique et imaginaire.
Les plaies sont diverses, liées à une découverte de la sexualité plus ou moins traumatique, à la mort d’un proche, à une rupture. N’importe quel événement réel ou fantasmatique, vécu comme traumatique par l’un des parents, offrira un appui imaginaire aux risques dont il faut protéger son enfant. Une de ces blessures est l’adolescence elle-même : à l’adolescence de leurs enfants, les parents sont nécessairement confrontés au souvenir de leur propre adolescence. Confrontation difficile, car, bien souvent, ils se sont empressés d’oublier cette période qui cadre mal avec ce qu’ils sont devenus.
Repère pour l’écoute
Dans deux notes sur l’enfant, J. Lacan (1969) propose deux cas cliniques qui peuvent utilement servir de repère pour l’écoute.
● L’enfant réalise la présence de l’objet a dans le fantasme
« Le symptôme qui vient à dominer ressortit à la subjectivité de la mère. Ici, c’est directement comme corrélatif d’un fantasme que l’enfant est intéressé », « L’enfant réalise la présence de l’objet a dans le fantasme. Il sature, en se substituant à cet objet, le mode de manque où se spécifie le désir [de la mère], quelle qu’en soit la structure spéciale : névrotique, perverse ou psychotique. » (Lacan, 1969.) Il n’y a pas de substitution métaphorique possible, la fonction du père fait défaut. L’enfant sature le manque en lui donnant corps, en offrant son corps.
Pour Madame X, par exemple, une part importante de l’analyse portera sur les fantasmes en jeu au moment de l’allaitement de son fils, qui, aujourd’hui âgé de dix-huit ans, est « accro » à divers produits. Cela permettra à ce jeune homme de trouver une place dégagée des fantasmes incestueux et des produits qui l’en protégeaient. La frénésie avec laquelle elle voulait « sortir [son] fils de là », alors qu’elle l’y précipitait, témoignait de l’importance du malentendu.
Pour madame Z, c’est la relation faite entre l’enfant que, dit-elle, elle est « en train de perdre » – une fausse-couche et le fantasme qui l’accompagne – qui permettra à son fils de se dégager de cette emprise maternelle.
● Le symptôme représente la vérité du couple familial
« Le symptôme peut représenter la vérité du couple familial », « Le symptôme de l’enfant se trouve en place de répondre à ce qu’il y a de symptomatique dans la structure familiale. » (Lacan, 1969.) Il représente ce qui n’est pas là, il permet que quelque chose de la structure familiale qui ne peut se dire s’inscrive néanmoins. Le symptôme est, dans ce cas, le reflet de l’articulation du désir de la mère, au signifiant du Nom-du-Père.
On trouvera ici tous les cas où la fonction du père, pour de multiples raisons, est déficiente (6), où l’égalité des sexes a été entendue comme absence de différences (l’égalité sociale et politique n’est pas isomorphe à la fonction de père et de mère), où la femme, devenue mère, a déplacé la jouissance du corps de l’homme sur le corps de l’enfant.
Parfois les deux vont se croiser et se retrouver dans des demandes de couple, par exemple (symptôme vérité du couple familial, l’enfant réalise la présence de l’objet a dans le fantasme).
Pour les couples que j’ai reçus ensemble, l’enjeu était souvent d’avoir un témoin de leurs désaccords, de s’assurer des risques que représenteraient toutes questions, prises de position, de garantir un soutien mutuel, de protéger un secret déjà bien gardé. Il est parfois flagrant que la façon dont est évitée une question, écartée une hypothèse, détournée une conversation, a pour but de faire en sorte qu’un sujet ne soit pas abordé, que soit préservé un secret.
Que l’un ou les deux parents soient reçus, il ne s’agit pas ici de leur prodiguer des conseils, bien qu’ils en soient demandeurs, mais plutôt de favoriser l’analyse de ce que le père ou la mère dit des difficultés qu’il rencontre. C’est à partir de l’adresse à un tiers, de l’attention qu’ils pourront porter à leurs dires, aux questions qui leur sont posées, qu’ils en viendront à déterminer une position juste dans leurs rapports avec leur enfant.
L’objectif de ces consultations est de permettre aux parents de faire face, avec moins de souffrance et plus de discernement, aux difficultés éducatives qu’ils rencontrent.
Ce qui est en jeu relève de la transmission d’une génération à l’autre, transmission qui, du côté du « consommateur » en proie à la douleur d’exister, n’a pas laissé d’espace pour que la jouissance condescende au désir.
La situation la plus fréquente est celle d’un parent qui, ne voulant en aucun cas faire subir à son enfant ce que lui-même a subi, prend la position inverse. S’il a vécu de fortes privations, il veillera à ce que ses enfants ne manquent de rien. S’il a eu des parents laxistes, il voudra se tenir à une éducation autoritaire. S’il y a eu intransigeance, alors, il laissera un maximum de liberté. Ici encore, un vécu « traumatique » qui n’a fait l’objet d’aucune élaboration rejaillit sur le présent. Ce n’est pas tant l’excès ou l’inversion qui sont problématiques, mais le fait que la transmission d’une génération à l’autre ne mette l’accent que sur l’éthique du devoir ou du bien-être (régie par le principe de plaisir et sous laquelle se range toute consommation modérée).
La loi du bien-être, l’éthique des biens, se retrouvent dans les énoncés suivants : « Je suis celui ou celle qui veut ton bien » ; « Je suis celui ou celle qui peut ton bien » ; « Je suis celui ou celle qui sait ton bien. »
Ce « vouloir le bien » a le caractère captieux de l’altruisme qui se satisfait de préserver le bien de celui qui, précisément, nous est nécessaire.
J’ai évoqué plus haut les premières consultations, la découverte accidentelle d’un produit. Mais cette découverte est avant tout celle de l’horreur de la jouissance de l’autre. Il peut, en effet, arriver que la jouissance de l’autre n’implique pas mon bien et mon bonheur, mais mon malheur. Cette horreur de la jouissance de l’autre se traduira par un : « Je ne le reconnais pas », « Je ne le comprends plus », « Pourtant, je l’ai élevé comme les autres. » L’impossibilité de s’identifier a fait se dissoudre la frontière entre semblable et dissemblable. Lorsque les parents veulent à tout prix le bien de leurs enfants, les dérives, les fuites, les évasions, sont alors nombreuses. La consommation de cannabis n’est qu’une possibilité parmi d’autres.
Écouter l’un des parents, c’est permettre un « bien dire » qui va instaurer un manque, là ou rien ne semblait pouvoir manquer.
Il en va de même pour l’éthique du devoir, indispensable dans une perspective éducative, mais qui voisine avec l’impératif catégorique !
Freud, à bon escient, rapproche « l’impératif catégorique » kantien du Surmoi. Le Surmoi, héritier du complexe d’Œdipe, est cette voix intérieure qui se fait l’expression du devoir. La voix du Surmoi, d’une férocité insatiable, est d’autant plus exigeante que l’on y obéit ; d’une exigence dont, semble-t-il, on ne peut se soustraire qu’en devenant à son tour le représentant du Surmoi pour la génération suivante. Cette problématique du surmoi est loin d’être absente chez les adolescents. Beaucoup disent que le cannabis les aide à parler, et de la difficulté de parler à la crainte du ridicule, il n’y a qu’un pas, et le ridicule est généralement induit par « l’œil du surmoi ».
Écouter l’un des parents, c’est faciliter un « bien dire » où la loi, loin d’ignorer la jouissance ou de s’y opposer, en est l’appui. Un « bien dire » permet d’approcher cette étrangeté en nous-même. Tout comme le travail de l’artiste, il crée, il instaure un vide, il cerne un bord de non-savoir sur ce que la jouissance peut impliquer de bien ou de mal.
Si l’une et l’autre de ces lois, bien-être et devoir, ont leur valeur, leur importance, elles ne suffisent pas et font l’impasse sur le désir. Une loi du désir qui pourrait s’énoncer ainsi : « Tu quitteras ton père et ta mère pour pouvoir faire alliance avec un homme ou une femme venant d’ailleurs. » (Julien, 2000.) Mais il n’y a pas d’alliance possible sans rupture. Même si cela paraît surprenant, une transmission aboutie est celle de parents qui donnent à leur enfant le pouvoir effectif de les « quitter à jamais » (Julien, 2000, op. cit.). L’amour des parents dynamise, parce qu’il faut lui échapper, passer de l’endogamie à l’exogamie.
Une telle loi prend appui sur la conjugalité, dont la condition primordiale tient à la place du père ; elle doit être marquée par le désir de la mère en tant que femme. La mère, en tant que femme, y tient autant de place que le père en tant qu’homme. Une éthique du désir ne peut être soutenue par un homme que dans la mesure où sa femme accepte le risque d’en être l’objet et l’enjeu. Ces places nécessitent un rapport clair à la différence des sexes et des générations, et donc l’acceptation de ce « qu’il n’y a pas de rapport sexuel ». Le « bien dire » inscrira ici le rapport sexuel comme un ensemble vide (Lacan, 1971-1972). Faut-il rappeler que l’adolescence touche au réel du corps, à l’image que l’adolescent a de lui-même, des autres, de sa place dans la société ? Avec la puberté, le jeune perd les assises imaginaires de la différence des générations. Il acquiert les attributs du parent du même sexe. Il y a un basculement dans l’ordre des différences, la différence des sexes primant sur la différence d’âge. Du même coup, il va devoir se situer en fonction de son identité sexuelle.
L’adolescence est le moment où, rencontrant la sexualité non plus comme propre à l’adulte différent, mais comme ce qui organise sa nouvelle place, le sujet doit répondre avec les moyens qui sont les siens. Il est particulièrement important que cette différence des générations ne soit pas gommée, comme y invitent trop souvent un certain « jeunisme » ou des relations duelles parents-enfant non prises dans une triangulation sous prétexte de divorce, par exemple.
Celui qui écoute se doit de se référer à ces trois lois et de ne jamais perdre de vue que sa fonction est avant tout de permettre que soient rétablies « les lois de la parole » (Légaut, 2003), chemin d’une éthique du désir. ■
Notes
1. Non sans rapport avec ce que S. Freud dit dans « Un trouble du souvenir sur l’Acropole », Lettre à Romain Rolland, 1936.
2. En réponse à cette illusion, la violence de l’adolescent serait une tentative de réintroduire le réel dans la réalité. L’effort pour se sentir réel est une tentative de reconstruction de l’image du corps mise à mal par la puberté.
3. Les Ambassadeurs, peint en 1533 par H. Holbein, représente deux ambassadeurs français à Londres qui s’appuient sur une table couverte de livres, d’instruments de musique et d’appareils pour observer le monde. Cette nature morte expose les outils de la science et les attributs du monde terrestre éphémère. Une forme ovoïde apparaît au bas de la peinture, un crâne qui serait la représentation métaphorique du triomphe de la mort sur les hommes de culture, de pouvoir et de science.
4. La parole ne peut recevoir sa valeur de vérité que d’un lieu autre que celui d’où elle est proférée.
5. Notamment lorsqu’ils autorisent des plantations dans leur jardin ou sur leur balcon, pour ne pas faire courir le risque d’un produit de mauvaise qualité acheté à n’importe qui.
6. On trouvera dans Sous le règne de Bone de Russell Banks (Actes Sud, 1995) un traitement romanesque remarquable de cette quête du père chez un jeune fumeur de joint.
BibliographieBaltrusaitis J., 1984, Anamorphose, Paris, Flammarion. |