Dossier : journal des psychologues n°322
Auteur(s) : Szepielak Dominique
Présentation
Les combats en Syrie et en Irak, dans lesquels se mêlent des groupes intégristes, ont drainé plusieurs centaines d’Européens au cours de ces derniers mois. Cela interroge sur le radicalisme religieux en Occident et sur les moyens de le prévenir. Étude comparée entre les Pays-Bas et la France.
Mots Clés
Détail de l'article
Comme beaucoup de pays européens, les Pays-Bas sont préoccupés par les départs d’une frange de leur population pour la guerre en Syrie. D’après le ministère de l’Intérieur hollandais, 150 Néerlandais se sont officiellement radicalisés cette année, et bien d’autres de ressortissants hollandais sont très tangents. La résurgence du conflit iraquien, dans le cadre de cette problématique, ne favorisera pas une diminution du phénomène, bien au contraire. En France, on dénombre actuellement plus de 300 départs du même type. Or, cette information officielle semble sous-estimer la réalité. Par souci d’objectivité, nous avons effectué une enquête comparative en collaboration avec l’Association française de victimes du terrorisme. Nous nous sommes rendus à Parnassia, un hôpital de jour situé dans la banlieue de La Haye. Cette institution dispose effectivement d’une expérience dans l’accompagnement psychosocial de djihadistes revenus de Syrie.
S’agissant de terrorisme, ou plus précisément de radicalisme, les faits révèlent qu’il n’existe pas de groupe monolithique. Le profil du kamikaze fanatique et fragile n’est pas le seul à considérer, ce n’est qu’un aspect. Certains profils d’intégristes s’inscrivent dans une autre démarche et dans des sphères différentes. Il y a ainsi des stratèges, idéologues implacables ayant besoin d’un nombre de kamikazes suffisant pour que leur idéologie ait un sens ou pour que leurs intérêts soient assouvis. Ensuite, viennent des intermédiaires (informaticiens, rabatteurs, passeurs, etc.), de plus en plus nombreux en raison de l’oisiveté dans laquelle la situation économique les plonge souvent. Ces derniers trouvent dans la radicalisation un moyen comme un autre de gagner de l’argent, de donner du sens à leur vie, et d’avoir une implication radicale moins sacrificielle et la possibilité de renforcer leur ego.
Ainsi, sur un plan générique, ces trois profils de fondamentalistes s’articulent entre eux pour initier une terreur, et pas seulement en Europe. Les prisons et les lieux communautaires qui leur sont proches offrent l’occasion de recruter tant les futurs kamikazes que les futurs intermédiaires. Internet favorise l’ampleur de leur influence et réduit les risques pris par les intermédiaires et les idéologues. Dans ce contexte, rapprocher les réalités hollandaise et française offre des pistes de réflexion concernant les types d’accompagnement à mener.
ÉTUDE DE CAS À LA HAYE
À La Haye, en venant de la gare, pour accéder à l’hôpital Parnassia, il faut traverser une zone intercommunautaire de la ville où chaque rue dévoile une facette de l’Orient, une part de l’Asie et des aspects insulaires. D’après le Dr Wilfried Ekkers, directeur de l’hôpital de jour, ce secteur de la ville est le plus impacté par la crise économique et sociale. Si bien que la population réceptive au discours radical est effectivement fragilisée socialement et-ou économiquement, voire psychiatriquement et, plus généralement, circonscrite dans un triangle s’étalant entre La Haye, Delft et Leyde. Évoquant son expérience d’accueil et d’aide psychothérapeutique, le Dr Ekkers observe que les populations démunies sont plus réceptives au prosélytisme. L’isolement et certaines fragilités individuelles peuvent pousser l’individu à basculer dans le terrorisme et à s’engager pour des conflits teintés d’idéologie. En revanche, la proximité et un soutien psycho-social pluridisciplinaire semblent visiblement fournir une aide efficace pour lutter contre la sensibilité au radicalisme. Dans un esprit d’objectivité, le Dr Wilfried Ekkers propose d’exposer le cas d’un musulman, non pratiquant, qui se retrouva malencontreusement impliqué dans une affaire de meurtre. Témoin, mais non acteur de ce fait divers, l’homme fut emprisonné à la suite d’une erreur judiciaire. Avant que son innocence ne soit reconnue, et donc avant sa libération, il eut hélas le temps de subir des sévices par ses codétenus en prison. Traumatisé par l’expérience, l’homme s’isola d’une famille aimante et se laissa entraîner par un réseau qui l’amena à s’engager pour la Syrie.
Sur place, l’homme fut affecté à un service de cantine. De retour aux Pays-Bas, il ne subit, paradoxalement, aucun traumatisme lié à la guerre. Suivi à l’hôpital de jour, il put travailler sur le traumatisme qu’il avait subi en prison et s’investir de nouveau dans sa famille, puis dans un couple et dans une paternité. Il est désormais sorti d’affaire psychologiquement et socialement, accompagné par une équipe pluridisciplinaire à l’hôpital de jour. Cependant, les recruteurs intégristes le connaissent, et les services de sécurité du territoire aussi. Les uns le surveillent et les autres souhaitent obtenir des informations. Il est à craindre que les seconds mettent concrètement cet homme en danger, ne prenant pas en compte le fait que les intermédiaires fondamentalistes les ont depuis longtemps repérés. Dans ce jeu de cache-cache où finalement tout le monde se connaît, cet homme est entre le marteau et l’enclume. Les entretiens réguliers avec le psychologue de l’institution semblent lui permettre de ne plus s’isoler et de se reconstruire sur le mode de la confiance. Sans l’attention pluridisciplinaire qui lui est accordée, cet homme – qui a repris sa vie en main – serait certainement de nouveau suffisamment fragilisé pour basculer dans la radicalisation et dans un registre de persécution.
Le Dr Ekkers évoque d’autres cas tragiques, comme celui de jeunes filles qui, après s’être engagées dans des mouvements intégristes, se retrouvent prises dans des réseaux de prostitution. Par loyauté idéologique, elles acceptent l’inacceptable : une invraisemblable prise en otage idéologique exploitant leur grande naïveté ou leur incroyable déséquilibre mettant à mal toute intégrité minimale de leur personne. Par ailleurs, il s’est avéré que certains jeunes recrutés aient de réels troubles psychotiques.
SIMILITUDES FRANÇAISES
En France, la situation est plus complexe à appréhender sur le plan géographique. Si en Hollande la population fragilisée par l’économie et le social peut être circonscrite à une zone donnée, en France ce n’est pas le cas : la diversité ethnique et la fragilisation économique, éducative et psychosociale, se déploient sur une multitude de lieux dispersés dans l’ensemble du territoire national et dans lesquels des individus, même de confession non musulmane, peuvent être séduits par le chant des sirènes de la radicalisation.
Cela étant, tout comme aux Pays-Bas, l’isolement prédispose à la radicalisation également en France. Cela se vérifie dans les stratégies de recrutement employées par les groupes intégristes. Banlieues et prisons, lieux souvent associés à la solitude, sont autant d’endroits où les fondamentalistes trouvent un auditoire intéressé. Le recruteur leur donne l’illusion que, par le biais du terrorisme, les recrutés pourraient réparer un narcissisme blessé, un narcissisme en déroute. Les recruteurs s’adressent ainsi essentiellement aux esseulés, solitaires, incompris et autres aigris du contrat social.
Une constante semble se dégager de cette comparaison particulière du radicalisme entre la France et la Hollande. Il s’agit de l’isolement, tant chronique que conjoncturel. Tout isolement et tout sentiment de ce registre fragilisent les individus, y compris ceux qui auraient des bases éducatives solides. Car, ne l’oublions pas, l’être humain est avant tout un animal social. Propice à réunir des personnes présentant une forme chronique ou conjoncturelle d’isolement, Internet est un outil polymorphe, pouvant servir la radicalisation, à travers des jeux, des films, des slogans, des sites de rencontres, etc. Ce monde virtuel n’offre, par définition et par exploitation, aucune limite à l’imagination.
L’ISOLEMENT, TERREAU DU FONDAMENTALISME
Doit-on pour autant restreindre la liberté sur Internet au vu de ces éléments ? Certainement pas. La fragilité, dans cette analyse, découle de différentes formes d’isolement. Internet n’est qu’un moyen neutre, avec ses avantages et ses inconvénients. L’isolement est une constante si redondante, dans la dynamique intégriste et terroriste, qu’elle est même l’une des finalités observables chez les victimes du terrorisme. Selon notre expérience, la victime du terrorisme subit une effraction d’une telle intensité qu’une rupture se produit dans différents registres de sa vie : dans son quotidien, dans sa vie sociale et dans sa vie intime. Une incompréhension d’elle-même et des autres l’envahit. Cette incompréhension s’immisce partout, y compris dans l’intimité de couples ou de familles même très proches. Ainsi, sur un plan plus psychologique, on peut considérer que le radicalisme est une véritable machine à isolement.
Les fondamentalistes, qu’ils soient kamikazes, intermédiaires ou stratèges, s’inscrivent dans une marginalité, un isolement. Ils ont le sentiment d’être à part, incompris. Leurs actes créent des victimes qui, par ce qu’elles subissent, voient la notion de contrat social s’effondrer. L’effraction que les victimes subissent les isole au point qu’elles peuvent en perdre leur intégrité physique et psychologique. Ainsi, à tous les niveaux de la radicalisation, une réflexion sur la notion du lien doit être menée. Les associations et accompagnants y ont une place de premier ordre, et la dimension pluridisciplinaire semble nécessaire. Derrière la problématique de la radicalisation se cache la notion de contrat social et la question même de civilisation.