Dossier : journal des psychologues n°254
Auteur(s) : Belarouci Latéfa
Présentation
Dans toutes les situations de guerre, de terrorisme et de violence extrême, ce sont les plus faibles qui sont touchés : les femmes et les enfants. Le texte qui suit est une importante contribution à l’étude des violences perpétrées contre les femmes en Algérie. Il s’agit d’un sujet chargé d’émotions et entouré des tabous liés à la sexualité, dans un pays où prédomine la culture arabo-musulmane. L’auteur interroge pertinemment les soubassements du phénomène, ainsi que les dispositifs d’aide et de prise en charge des victimes.
Détail de l'article
A vant d’aborder la problématique du viol en Algérie, il semble nécessaire de préciser certains points. Tout d’abord, les violences sexuelles perpétrées contre les femmes ne sont pas propres à l’Algérie. D’autres pays ont connu des situations similaires, comme le Rwanda ou le Kosovo, par exemple. De ce fait, nous pouvons dire que ces violences sont de plus en plus utilisées à des fins de terreur politique, d’éradication d’un groupe ou d’une ethnie… Par ailleurs, ces viols n’ont pas bénéficié de la même couverture médiatique que ceux commis en Bosnie ou au Rwanda, et ce, en raison du silence, mais aussi du sentiment de honte, de ces femmes qui « veulent oublier ». Aussi est-il très difficile de connaître l’étendue exacte des viols commis à l’encontre des femmes et des jeunes filles en Algérie.
Nous tenons à souligner que les viols et les violences sexuelles en Algérie ne sont pas des faits nouveaux tout comme ils ne sont pas l’apanage des extrémistes islamistes. Ils s’inscrivent, en réalité, dans une continuité de violences sexuelles qui ont été faites aux femmes pendant la colonisation et la guerre de libération sauf qu’aujourd’hui ces crimes sont commis au nom de la religion musulmane, plus spécifiquement du djihad…. En effet, pendant la colonisation et la guerre de libération, déjà, les femmes étaient violées par les militaires français non seulement en représailles aux attentats commis par les combattants (moudjahidin), mais également parce qu'elles étaient accusées d’avoir participé ou d’avoir fait partie du réseau de résistance. Très peu de femmes ont osé parler des viols commis dans les maquis, aussi bien par les soldats français que par les moudjahidin maquisards. Ce n’est qu’en 2001 que Louiza Iguilahriz, ancienne moudjahida, a décidé, malgré la désapprobation de son fils, de publier un livre sur les viols qu’elle avait subis lors des séances de torture. Par ailleurs, en France, ce n’est qu’entre février et mars 2002 que trois documentaires ont été diffusés sur les chaînes publiques françaises, s’agissant respectivement de Viol des femmes algériennes, de Valérie Gajet, de Paroles de tortionnaires, de Jean-Claude Deniau et d’Ennemi intime, de Patrick Rotman. La peur du viol apparaît ainsi profondément ancrée dans la mémoire collective des femmes algériennes.
Enfin, il nous semble également important de souligner que les viols, en Algérie, ont été signalés surtout par des mouvements féministes et associatifs et qu’il n’existe pas de reconnaissance pour ce type de traumatisme et, par conséquent, pas de procédure de réparation, qu’elle soit d’ordre juridique ou psychologique.
Le viol, atteinte privée et destruction sociale
Pour mieux saisir le vécu de ces jeunes filles et de ces femmes qui ont subi des viols, il est important de situer le contexte dans lequel ces atrocités ont été commises. Le terrorisme que subit l’Algérie depuis plus d’une décennie se manifeste par de multiples actes de violence : massacres collectifs, attentats, assassinats, destructions de sites administratifs, d’écoles, de maisons. La confusion des personnes et des lieux est hautement symbolique, car le but recherché est de terroriser la population et, par là même, de frapper l’imaginaire collectif. Le viol systématique des femmes et des jeunes filles est l’une des stratégies adoptées par les terroristes. La femme est investie « comme [un] champ de bataille où tous les coups sont permis : viols, mutilations, esclavage sexuel… dans le cadre des stratégies mises en place par les intégristes afin d’humilier et de détruire l’ensemble de la communauté considérée comme ennemie » (Guenivet, 2001).
Effraction du corps et de l’intégrité physique et psychique, le viol est un crime de destruction qui atteint le sexe et le corps de la femme pour la réduire au rang d’objet, niant ainsi son humanité. Actes de domination, ces viols se caractérisent par leur aspect collectif, répétitif, systématisé, auprès des femmes et des jeunes filles kidnappées, mais aussi par la cruauté avec laquelle ils sont pratiqués. Pourtant, ils sont considérés par ceux qui l’ont perpétré comme une récompense offerte « aux valeureux guerriers » que sont les terroristes, en remerciement de leurs actes. Les femmes sont dès lors considérées comme un butin de guerre (ghanima), comme des objets sexuels pour assouvir les besoins des combattants qui disposeraient de tous les droits sur ces femmes à qui ils ont fait subir les pires sévices : sodomie, fellation, mutilation des parties érogènes, etc.
Mais, pour la jeune fille ou pour la femme, être violée, c’est non seulement être souillée, mais c'est aussi avoir « el-âar », porter la honte comme une marque indélébile sur son front. En effet, dans le contexte arabo-musulman, la jeune fille est élevée dans la mise en garde systématique de la perte de sa virginité, de son hymen, pour garantir l’honneur de la famille, voire de toute la communauté. L’hymen représente la part du père, qui est confiée à la mère et défendue par les frères (Idris, 2007). Aussi, la privation de la virginité imposée par le viol constitue une destruction de l’identité de la personne dans la mesure où elle s’inscrit dans l’évidence d’« être une jeune fille vierge ». Aussi, être violée ne se résume pas au fait de disposer ou non de son hymen, c’est tout simplement ne plus « être ».
Être violée, c’est être souillée
Ce vécu de souillure est une caractéristique omniprésente dans la clinique du viol. Selon Ph. Bessoles (1997), le viol qui est « une caractéristique corporelle extrêmement prégnante reste un vécu de souillure quasi permanent ». Les victimes organisent leur vie autour de cette sensation d’être sales et développent souvent des comportements obsessionnels avec des rites de lavage compulsifs en utilisant souvent de puissants détergents. Certaines vont jusqu’à se lacérer le corps et d’autres prennent plusieurs bains par jour pour se purifier de cette souillure qui semble les imprégner. Ce besoin de purification va plus loin chez certaines victimes, à l’image de cette femme de soixante ans qui s’est rendue à la Mecque, afin de se purifier du viol qu’elle avait subi.
Les adolescentes sont particulièrement affectées par ces violences sexuelles subies pendant une période de vie où leur développement psychosexuel et les transformations corporelles sont en plein essor. Elles provoquent chez elles d’autres troubles et décompensations ainsi que des tentatives de suicide. Ainsi, Bakhta, quinze ans, Zahéra, seize ans, Amina, quatorze ans, ont toutes tenté de se suicider avant d’être hospitalisées pour état dépressif grave, la mort étant, à leurs yeux, la seule issue possible à leur souffrance. Ce qui les réunit, c’est ce sentiment d’« avoir été salie, souillée ». Toutes ont développé des troubles obsessionnels compulsifs sous forme de rites de lavage ; autant de tentatives vaines d’enlever la souillure. Elles sont toutes obsédées par cette « odeur du sang mêlé de sperme » et Zahéra ira jusqu’à se brûler pour s’en purifier.
De plus, un profond sentiment d’injustice les envahit : « Pourquoi moi ? Qu’ai-je fait ? » Ces adolescentes étaient en pleine puberté, le viol est venu détruire à jamais ce qui était en train d’éclore. Il est question de la destruction non seulement de leur identité sexuelle, mais également de tout ce qui a été investi par la jeune fille comme une image féminine sexuée, valorisée non seulement par elle, mais aussi par l’ensemble de la société : le corps d’une future femme vierge.
Les premiers rapports sexuels subis sous la contrainte par ces adolescentes leur font vivre la sexualité comme quelque chose de sale et de destructeur, d’où leur état dépressif et les tentatives de suicide. De plus, les attitudes de l’entourage immédiat, et notamment les mères qui imposent le silence et font comme si rien ne s’était passé, ont aggravé la situation de ces adolescentes. En effet, dans le souci de sauvegarder l’honneur de la famille, la mère de Zahéra, qui a elle-même été violée, interdit à sa fille d’en parler. Elle quitte le village pour s’installer avec sa famille dans la capitale où personne ne les connaît. Il en est de même pour Djoher, fiancée à un émir qui impose de l’épouser de force après avoir rejoint le maquis, où il meurt en la laissant enceinte. Les parents de Djoher décident de l’emmener à la capitale et ils ne retourneront au village qu’après son accouchement. Le garçon qu’elle met au monde est alors porté sur le livret de famille de ses parents et son fils devient ainsi civilement son frère. Quel peut être le devenir de cet enfant dont la naissance est entourée d’autant de secrets ? Quel peut être l’avenir de cette mère dépossédée de son enfant ? Le plus important ici n’est ni la souffrance de leur fille ni le devenir de l’enfant, mais la sauvegarde de l’honneur de la famille.
Violences sexuelles et pratiques sacrificielles
En plus des violences sexuelles, des mutilations sont souvent commises, telles que les ablations des seins, des organes génitaux, etc., des pratiques qui visent à détruire le corps de la femme et à le « dédiaboliser », car, pour les intégristes, le corps d’une femme est une figuration du mal. L’égorgement, les mutilations et les viols sont donc choisis pour leur retentissement psychologique. Le choix des femmes, des jeunes filles ou encore des enfants, parce qu’elles sont les victimes les plus émouvantes, a, par conséquent, un impact psychologique bien plus efficace. L’égorgement, acte qui fait couler le sang, est lié, au niveau de l’inconscient collectif, à l’idée de sacrifice. Il aurait été utilisé contre les femmes en tant que « pratique sacramentelle » (Benchikh,1998). L’égorgement des femmes apparaîtrait ainsi comme un acte ayant la fonction d’offrande de purification.
Ces violences sexuelles, en plus de l’atteinte narcissique des victimes, sont soumises au regard de l’autre à travers les corps mutilés ou la grossesse des femmes. Ces violences sexuelles touchent et tâchent les vivants, souillent les ancêtres et toute la filiation, affectant ainsi l’ensemble de la communauté. Les victimes de viols deviennent ainsi porteuses de la honte du groupe communautaire. En effet, dans la culture arabo-musulmane, l’honneur de la famille, voire de l’ensemble de la communauté, est placé dans le corps de la femme qui devient la garante de l’honneur de la famille, du village. Aussi ces violences sexuelles sont-elles utilisées comme une « arme de guerre » particulièrement redoutable dans la destruction des liens d’appartenance de l’ensemble de la communauté : on avilit les femmes, on humilie les hommes et on brise leur fierté. Cette stratégie de la honte atteint son apogée lorsque les femmes sont relâchées à un stade avancé de leur grossesse. La famille, le groupe social, la communauté, sont renvoyés à leur incapacité de protéger leurs femmes et leurs filles. En effet, toutes les victimes disaient : « On n’a pas été protégée. » Ces viols apparaissent, comme le souligne si bien R. Brauche, cité par J. Lilly (2003), comme « un moyen d’affirmer la légitimité du maître et [de] soumettre l’adversaire dans sa totalité : les femmes, par la souffrance et la honte qu’on leur fait subir ; les hommes, de n’avoir su et pu les protéger ».
Face à la honte, à la culpabilité, au sentiment d’impuissance, le déni et le silence constituent une violence supplémentaire à l’égard de ces femmes meurtries au plus profond de leur être. Face à l’impensable, l’indicible, l’innommable, l’inavouable, dont les seules issues possibles sont le rejet de la communauté ou la mort.
La mort plutôt que la honte
Aïcha, quarante ans, mère de sept enfants, a été enlevée, puis violée, par des terroristes durant plusieurs jours. De retour à la maison, elle est accueillie par son fils aîné qui lui reproche son retour et sa survie : « Tu n’aurais pas dû revenir, tu aurais dû mourir. » Son mari la répudie, car il ne supporte plus de la voir et de savoir que d’autres hommes l’ont investie sexuellement malgré elle. Reniée par sa propre progéniture qui souhaite sa mort, par son mari avec qui elle a eu tant d’enfants, que reste-t-il à Aïcha sinon la mort, qu’elle a recherchée à travers une tentative de suicide. Non seulement elle ne pouvait pas survivre aux atrocités qu’elle avait subies, mais aussi et surtout à l’exclusion dont elle faisait l’objet. Se sentant incomprise, rejetée, elle tente de se donner la mort, répondant inconsciemment aux attentes du groupe familial et social. Ayant survécu, puis ayant été prise en charge sur le plan psychologique, Aïcha travaille actuellement dans une ville loin des siens. Elle s’occupe des enfants d’une cousine lointaine, avec le profond sentiment d’injustice de ne plus pouvoir s’occuper de ses propres enfants.
Nous constatons ainsi que les viols et les violences sexuelles faites aux femmes et aux jeunes filles ont un impact aussi bien individuel que collectif. Il s’agit, en fait, d’un véritable meurtre « qui laisse la victime vivante », meurtre du sujet, mais aussi meurtre identitaire du groupe social auquel appartiennent ces femmes et ces jeunes filles (Bessoles, 1997). En effet, ces viols apparaissent comme une transgression de l’ordre social qui codifie les relations sexuelles ainsi qu’une « abolition du consensus social des valeurs qui ordonnent les liens entre les individus et structurent la communauté ». Le silence apparaît ainsi comme un moyen de se prémunir de la honte sociale et qui fait l’impasse sur le vécu et la profonde détresse dans laquelle se retrouvent enfermées ces femmes. Ce silence constitue en réalité une véritable négation des traumatismes psychiques et physiques.
Si ces violences et les traumatismes qui en découlent apparaissent ainsi comme de l’impensable et de l’innommable, aussi bien pour les psychés individuelles que groupales, le drame des femmes algériennes victimes de violences sexuelles relève de l’absurde, car il est non élaborable. Les questions qui se posent alors : comment apporter aide et soutien à ces femmes et à ces jeunes filles, dès lors que nous savons que le viol subi entraîne des conséquences tant aux niveaux individuel que familial, social et communautaire ? Comment gérer la honte dans l’accompagnement de l’atteinte narcissique et identitaire du groupe social ?
Quels dispositifs et pour quelle réparation ?
Bayle, cité par J. Gortais (1995), recommande d’aider les femmes violées à « élaborer l’inélaborable, reconstruire ou retrouver une identité impliquant à la fois un travail de deuil, une réhabilitation de soi et de sa propre parole et la restauration des pôles masculin-féminin ». Cette démarche, pour objective qu’elle soit, ne prend pas en considération le cadre d’appartenance des victimes et encore moins le contexte sociopolitique dans lequel ces crimes ont été commis. Il est indéniable que ces femmes doivent trouver des espaces pour s’exprimer, pour parler de leur drame, pour rencontrer des personnes dont le rôle principal, nous semble-t-il, est de les aider à se donner le droit d’exprimer leur douleur, leur souffrance, leur colère, leur doute, ainsi que le droit de désigner les coupables. Mais que trouvent-elles concrètement si ce n’est :
● une absence de structure d’accueil, à l’exception d’une seule, mise en place à une cinquantaine de kilomètres d’Alger ; cette structure, bien que spécialisée, n’a pas eu l’effet escompté, car ces femmes n’ont pas voulu être encore plus stigmatisées en s’y rendant ;
● la non-reconnaissance des crimes commis : comme dans tout trauma psychique, nulle « guérison » n’est possible si les coupables ne sont pas nommés et jugés. Et ces viols ont été commis par des inconnus ou des personnes introuvables ! En outre, l’amnistie décrétée ne permet plus à la justice de les juger. Or, l’amnistie, qui est une des revendications des islamistes, fait que leurs crimes vont rester impunis. En effet, et dans un souci de trouver une solution à ce qui se passe en Algérie, les gouvernants ont tenté d’enterrer les viols et les violences faites aux femmes et à toute la population.
Ce déni des violences faites aux femmes trouve son apogée dans le refus de leur octroyer la moindre indemnisation financière sous prétexte « qu’elles vont être considérées comme des prostituées si on leur donnait de l’argent ». Pourtant, un débat public a été soulevé, dès 1998, à propos des femmes enceintes à la suite de viols terroristes. Le Haut conseil islamique (Hci) a estimé que ces viols « ne constituent pas une atteinte à l’honneur et à la chasteté des victimes qui ne sont ni à blâmer ni à châtier. Il rappelle que la sauvegarde de la vie de la mère et l’enfant, quelles que soient les conditions dans lesquelles ils se trouvent, est une référence impérative et que l’interruption de grossesse ne peut se pratiquer que dans des conditions extrêmes pour sauver la mère du danger de mort, médicalement établi ». Or, la loi sanitaire de 1985 permet l’avortement à toute victime d’agression sexuelle si son équilibre physiologique ou mental en dépend. Le Hci revient sur sa décision en publiant une fetwa autorisant les femmes violées par les terroristes à avorter à condition d’être munies d’une attestation du préfet les identifiant formellement comme victimes des groupes armés, attestation délivrée après étude de leur dossier qui doit inclure des rapports de police et des témoignages. De plus, certains responsables religieux ont été jusqu’à déclarer illicite l’avortement thérapeutique des femmes violées par les intégristes, car cet acte signifie « tuer un Musulman ». Nous retrouvons ici l’une des stratégies des terroristes islamistes qui prétend ensemencer des femmes considérées comme impies, afin de les purifier par l’accouchement d’un enfant musulman.
La nécessité d’une prise en charge psychologique s’impose d’elle-même face à la détresse extrême de ces femmes. Mais comment les aider à réinvestir leur sexualité, alors qu’elles viennent de subir une terrible effraction dans leur corps, alors que, culturellement, la sexualité est un sujet tabou ? Comment les aider à revivre et à devenir « sujet/acteur » de leur avenir quand elles sont représentées, au niveau de l’inconscient collectif, comme les porteuses potentielles d’une honte qui fait de « chaque femme, chaque fille, une bombe » ? Cela nous amène à dire que la prise en charge psychologique à elle seule est insuffisante. Elle peut même s’avérer dangereuse si elle n’est pas contenue par une dynamique, tant aux niveaux familial, social, communautaire que juridique et politique. La gestion du traumatisme lié au viol passe par la reconnaissance officielle des faits incriminés. Or, à ce niveau, on s’inscrit dans le déni le plus total, car la jeune fille ou la femme violée doit fournir les preuves de la réalité de l’événement, ce qui implique des démarches auprès des autorités judiciaires, médicales… autant d’épreuves, voire d’humiliations, qui constituent un traumatisme supplémentaire. Si le statut de victime leur est juridiquement reconnu, elles ne perçoivent aucune indemnisation ni réparation dans la mesure où les violeurs, dans la majorité des cas, sont des inconnus.
Les limites de la démarche
Cela nous amène à parler des limites de notre démarche clinique. Il est vrai que notre action auprès de ces jeunes filles donne des résultats, mais combien d’entre elles viennent consulter ? Celles que nous avons rencontrées en consultation sont arrivées à un niveau extrême de la souffrance, d’où leurs tentatives de suicide. Combien sont-elles à souffrir, enfermées dans leur maison, dans leur silence et le déni des autres ? Que faire pour mobiliser l’entourage familial qui refuse de s’impliquer dans la prise en charge, tant le sujet est douloureux ?
Nous sommes souvent confrontés à un profond sentiment d’impuissance devant l’ampleur et la complexité du problème de ces victimes qui nous renvoie, en miroir, notre propre image de femme. Face aux paradoxes d’une société qui se cherche, comment, dans ces conditions, garder sa « neutralité », son objectivité pour accomplir au mieux un travail d’accompagnement psychologique ? Aussi, pour soutenir ces femmes, l’expérience clinique nous suggère la présence de thérapeutes femmes susceptibles de mobiliser l’équivalent d’une image maternelle, contenant au désarroi de ces victimes, pour les aider à se reconstruire en tant que sujet et non plus en tant qu’objet sexuel. Tous les intervenants, qu’ils soient thérapeutes ou pas, doivent s’investir dans la sensibilisation de l’ensemble de la société, afin de briser le silence et lever les tabous dans lesquels ces femmes sont et ont été enfermées pour mettre en place une dynamique à même de favoriser leur insertion sociale, l’écoute, le soutien, la revalorisation de soi… dans un cadre accueillant et sécurisant. ■
Bibliographie Belarouci L., Ferhat S., 2001, « Les femmes victimes de violences sexuelles en Algérie : autopsie d’un traumatisme », Magazine de l’action humanitaire et du droit international humanitaire, 3 : 12-14. |