In Memoriam... Bianka Zazzo (1915-2007)

Le Journal des psychologues n°245

Dossier : journal des psychologues n°245

Extrait du dossier : La psychothérapie familiale à l’épreuve de l’adolescent
Date de parution : Mars 2007
Rubrique dans le JDP : Hommage à...
Nombre de mots : 1400

Auteur(s) : Ohayon Annick

Présentation

Le 8 janvier 2007, un jour avant celui qui était son ami, Jean-Pierre Vernant, s’est éteinte une grande dame de la psychologie française, Bianka Zazzo.

Mots Clés

Détail de l'article

Pour beaucoup de psychologues, ce nom évoque d’abord le souvenir du psychologue de l’enfance, René Zazzo, disparu en 1995. Mais Bianka Zazzo ne fut pas, loin s’en faut, seulement sa compagne, pendant soixante ans, puis sa veuve. Elle fut une militante, une résistante, une psychologue, une chercheuse (oh, que ce terme résiste à l’emploi du féminin, qui pourtant s’impose ici !), et surtout une personne d’une grande qualité humaine. J’ai eu la chance de la connaître et de l’aimer, ces dernières années, et je voudrais lui adresser, dans ce journal des praticiens de la psychologie que René Zazzo avait soutenu dans ses premiers balbutiements, un hommage ému, reconnaissant et affectueux.
J’ai rencontré Bianka à la fin de l’année 2000, grâce à un ouvrage qu’elle venait de publier : Une mémoire pour deux. Ce livre m’avait accrochée à plus d’un titre. D’abord, par la photographie sur la page de couverture : un jeune couple amoureux, enlacé, regarde l’objectif en souriant, il est aussi brun qu’elle est blonde, on dirait une photo de Doisneau et elle est si singulière, chez l’austère éditeur de psychologie scientifique Mardaga. Et puis par le ton, tout aussi inhabituel dans cette collection, car c’est d’une histoire d’amour qu’il s’agit : celle d’un couple qui s’est formé en 1933 et que la mort a séparé en 1995 : soixante-deux ans d’une vie commune, qui ne fut pas un long fleuve tranquille. C’est aussi l’histoire d’un couple de psychologues dans le XXe siècle : lui, le spécialiste des jumeaux, qui a cherché à travers eux à comprendre la genèse de la personne singulière et « l’effet de couple » ; elle, la psychologue de l’adolescence, des grands passages dans le système éducatif, de l’étude des trajectoires des garçons et des filles à l’école. C’est également la chronique de deux vies traversées par l’histoire collective, de deux militants du Parti communiste français. Et, enfin, c’est un travail de deuil. Si l’histoire est « le travail des vivants pour calmer les morts », comme le disait Michelet, ou pour faire « revivre les rêves interrompus des morts », selon la formule de Baudelaire, en voilà un qui doit dormir tranquille, ai-je pensé.
Cette lecture m’avait renvoyée à une autre, l’autobiographie de René Zazzo parue dans l’ouvrage, dirigé par Marc Richelle et Françoise Parot, Psychologues de langue française (1992). Ce texte m’avait frappée par sa retenue, sa réserve. Si l’autobiographie institutionnelle est certes un genre plus convenu que l’exercice auquel s’est livré Bianka Zazzo, la différence de traitement de cette histoire en grande partie commune m’avait interrogée, et conduite à réfléchir sur la question de l’autobiograhie au masculin et au féminin et aussi sur celle des couples dans la science. Et c’est ainsi, avec ces interrogations, que j’ai rencontré Bianka. Elle ressemblait tout à fait à son livre : vivante, passionnée, chaleureuse et, dans sa tête, aussi jeune que l’amoureuse de la photo. Elle a été, pour l’historienne de la psychologie que je suis, d’abord un témoin précieux, et puis une amie. De toutes nos discussions autour d’une tasse de thé sont sortis plusieurs articles sur elle et sur ses travaux. Elle en a discuté pied à pied le contenu, tout en me laissant absolument libre d’écrire ce que je voulais. Nous nous sommes disputées aussi parfois, quand nos points de vue sur l’histoire de la psychologie divergeaient, mais toujours avec humour et respect. Et à force de la trouver toujours si jeune, j’avais fini par la croire immortelle, mais hélas non...
Bianka Zazzo est née en 1915 à Lodz, en Pologne, dans une famille juive bourgeoise et cultivée. Cette rebelle sans cause trouve d’abord la sienne, à seize ans, dans une organisation clandestine scolaire du parti communiste polonais, ce qui lui vaut d’être arrêtée et emprisonnée quelques mois. Avant que d’autres malheurs du même type ne s’abattent sur sa tête blonde, son père l’envoie à Paris, ce qui, entre parenthèses, lui sauvera la vie, toute sa famille polonaise ayant disparu dans les camps.
Elle tombe immédiatement amoureuse de Paris, et aussi de René Zazzo, qu’elle épouse en 1936.
Leur double destin professionnel de psychologues de l’enfance se déroule sous le patronage d’Henri Wallon, qui va jouer dans leur vie à la fois le rôle de maître, de compagnon d’engagement politique et d’ami. Mais, si René Zazzo passe à la Libération du statut de disciple et collaborateur à celui de successeur, il faut à Bianka plusieurs années pour n’être plus madame René Zazzo, et devenir Bianka Zazzo, spécialiste reconnue de la psychologie différentielle des sexes et de l’adolescence.
Elle entre dans la recherche par une voie toute nouvelle : la filmologie. Sociologues, psychosociologues, psychiatres et psychologues se penchent dans les années 1950 avec intérêt sur le rapport des jeunes au cinéma : constitution d’une nouvelle culture à travers les modèles idéaux qu’incarnent les stars, rôles documentaire et pédagogique du film, mais aussi source d’inadaptation, voire de délinquance, de confusion entre le réel et l’imaginaire, nécessité ou non de la censure, tous ces domaines ouvrent un vaste champ d’exploration aux chercheurs. Entre 1952 et 1956, Bianka Zazzo conduit ses premières recherches sur les réactions des enfants et des adolescents face au film. Elle met le doigt sur un phénomène qui va devenir le fil rouge de ses travaux ultérieurs : il y a peu de différences radicales entre les aspirations sociales des jeunes des différents milieux sociaux (tous veulent pouvoir choisir librement leur profession et leur partenaire amoureux). L’âge joue donc un rôle homogénéisateur, alors que le sexe demeure très différenciateur : les garçons privilégient l’audace, l’action, la liberté, et les filles l’amour, le désintéressement, la générosité et le désir de paraître agréable. Elle continue ses travaux sur la psychologie des adolescents au sein du Groupe des sciences sociales de la jeunesse, fondé en 1963 par des sociologues (Claude Dufrasne, Nicole Abbout, Philippe Robert), dans une grande proximité avec le groupe d’ethnologie sociale de Paul-Henri Chombard de Lauwe.
Toutes ces recherches aboutissent, en 1966, à sa thèse consacrée à la Psychologie différentielle de l’adolescence. Elle est la première femme chercheur en France à comparer systématiquement les carrières scolaires des filles et des garçons et à montrer que, au même niveau d’âge et d’intelligence, les filles réussissent mieux que les garçons. Elle attribue ce fait à des facteurs non cognitifs : meilleure adaptation des filles aux exigences de l’univers scolaire, meilleure participation, motivation plus forte à réussir et maturité plus précoce. Cet écart entre les sexes étant retrouvé dans tous les milieux, cette variable lui paraît ainsi jouer un rôle aussi important que la classe sociale dans la réussite ou l’échec. La supériorité féminine dans le rendement scolaire est d’ailleurs plus marquée dans les milieux modestes. Chez les écoliers « bien nés », elle tend à diminuer au fil de la carrière scolaire, voire à s’inverser, du fait des choix d’orientation proposés aux filles et aux garçons. L’avance des filles se trouve contrariée par leur infériorité culturelle et sociale, qui demeure. On peut constater toute l’originalité de cette démarche, qui sera reprise et continuée par les sociologues de l’éducation (Baudelot et Establet Allez les filles !, 1982). Elle s’insère dans une optique typiquement wallonienne, où Bianka Zazzo cherche à faire la part de ce qui relève du biologique et du social dans le destin contrasté des garçons et des filles de différents univers. On peut remarquer aussi qu’à l’inverse de la plupart de ses collègues psychiatres et psychologues de l’époque (Pierre Mâle, Serge Lebovici), elle s’intéresse à l’adolescence non pas en tant que crise, mais en tant que « grand passage », de l’état d’enfance à l’état d’adulte. Dans les années 1980, ses recherches ultérieures porteront principalement sur l’étude des périodes critiques lors du passage, pour les enfants, d’une collectivité scolaire à une autre. Elles deviendront une référence essentielle dans le monde de l’éducation et de la psychologie différentielle et scolaire.

Chère Bianka, vous allez bien nous manquer...

 

Bibliographie

Zazzo B., 2000, Mémoire pour deux, (récit autobiographique), Éditions Mardaga.
Zazzo B., 1993, Féminin-masculin à l'école et ailleurs, PUF.
Zazzo B., 1984, L’École maternelle à deux ans : oui ou non ?, Éditions Stock, Collection « Laurence Pernoud ».
Zazzo B., 2005, Un grand passage : de l’école maternelle à l’école élémentaire, PUF, 3e éd. revue et augmentée.
Zazzo B., 1982, Les 10-13 ans : garçons et filles en CM2 et en sixième, préface de René Zazzo, PUF.

 

Pour citer cet article

Ohayon Annick  ‘‘In Memoriam... Bianka Zazzo (1915-2007)‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/memoriam-bianka-zazzo-1915-2007

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