Dossier : journal des psychologues n°250
Auteur(s) : Sellenet Catherine
Présentation
Le temps de la protection de l’enfance est-il révolu ? Sous le couvert de soutien à la parentalité, une forme de police des familles à visée sécuritaire s’installe dans notre société. La protection de l’enfance se voit contaminée et infléchie par le champ de la prévention de la délinquance.
Mots Clés
Détail de l'article
« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l’île on voit des oiseaux...
Qu’est-ce que ces hurlements...
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant »
Jacques Prévert
L’année 2006 a été le théâtre de multiples affaires, telles l’affaire d’Angers (45 enfants victimes), celle d’Outreau, de Drancy (découverte de cinq enfants, âgés de quatorze mois à sept ans, sous-alimentés)..., toutes mettant en cause des familles connues des services sociaux, d’où l’idée de repenser notre conception de la protection de l’enfance pour éviter de tels drames. Pour autant, alors que le débat est en cours sur les remaniements nécessaires, ce n’est pas la figure de l’enfant victime qui fait la une des journaux, mais plutôt celle de l’enfant potentiellement dangereux dont il faudrait se protéger. Dans notre livre L’Enfance en danger (Sellenet, 2006), nous avions signalé l’ambiguïté sémantique du terme protection : « Protéger, du latin protegere, c’est abriter par-devant, c’est l’idée première de défendre, de soutenir, de préserver, de garantir, de renforcer, d’aider... plus de 59 synonymes sont proposés comme autant d’images, de représentations, de postures possibles. Le terme de protection est tout aussi riche et comporte pas moins de 77 synonymes. La protection est tour à tour un abri, un affermissement, une aide, un appui, une armure, une assistance, un blindage, une tutelle, un soutien, une défense... » Dans le présent article, nous voudrions montrer comment s’impose progressivement une conception défensive de la protection, une approche sécuritaire faisant tout autant la chasse à l’enfant (Prévert) qu’à sa famille. Le président Rosenczveig (1) s’inquiétait, en mars 2006, de la pollution possible des deux débats en cours : celui sur la protection de l’enfance et celui sur la prévention de la délinquance juvénile, rappelant que ces deux axes relevaient de deux politiques différentes. Les faits semblent donner raison à cette crainte, car les récentes modifications législatives nous semblent enregistrer ce glissement d’un débat à l’autre. Les orientations prises en matière de prévention de la délinquance imprègnent les débats sur la protection de l’enfance, en véhiculant une certaine image des familles et de leur enfant. Le projet de loi sur la prévention de la délinquance (PLPD) est composé de cinquante et un articles dont seulement huit sont consacrés à la prévention ; il s’est vu opposer quatre motions et 319 amendements. Ce projet enregistre plusieurs nouveautés qui nous font penser que nous assistons à une nouvelle police des familles, sous le couvert de soutien à la parentalité. Parmi ces mesures, citons le nouveau rôle dévolu au maire. Celui-ci devient le pivot de l’action, au niveau informatif, puisque tout éducateur devra informer ce dernier de l’aggravation d’une situation familiale. Mais aussi au niveau propositionnel, puisque le maire pourra désigner un coordonnateur (après accord de l’autorité dont il relève) pour veiller à l’efficacité et à la continuité d’une action sociale auprès d’une famille. Le maire présidera le conseil pour les droits et devoirs des familles (CDDF), nouvelle structure qui devrait voir le jour, et il pourra proposer un accompagnement parental. Ce même conseil des droits et des devoirs des familles pourrait être informé de la conclusion d’un contrat de responsabilité parentale (Art L. 222-4-1 du code de l’action sociale), signé par les parents en cas d’absentéisme scolaire de leur enfant, de trouble porté au fonctionnement de l’école ou de toute autre difficulté liée à une carence de l’autorité parentale. Enfin, le CDDF pourrait proposer au maire de saisir le président du conseil général en vue de la mise en œuvre d’une mesure d’accompagnement en économie sociale et familiale. Les familles qui connaissent des difficultés à gérer leur budget, fût-il trop maigre, ont intérêt à relire leurs classiques littéraires et à se remémorer la morale de La Cigale et la fourmi de Jean de La Fontaine.
Certes, la création d’un CDDF ne semble pas devoir devenir une obligation, elle dépendra de la volonté politique des maires, mais on imagine aisément quelles seront les disparités locales et quels peuvent être les usages, voire les dérives, d’une telle mesure. Le livre 1984, écrit en 1948 par George Orwell, nous décrivait une société sous contrôle, mais nous pouvons nous demander si 2007 n’en est pas une illustration. Cette orientation vient interroger nos représentations de la famille, de la parentalité et de l’enfance. Comment en sommes-nous arrivés à cette évolution ?
Le soutien à la parentalité dévoyé
Dans les années 1990, le soutien à la parentalité s’est imposé comme un nouveau créneau d’action publique. Il a suscité de la part des équipes un engouement certain, que nous avons largement accompagné en conceptualisant ce néologisme qui se présentait au départ comme un mot-valise. Soutenir parents et enfants en souffrance, lorsqu’ils sont confrontés à des situations où la parentalité est fragilisée, tels étaient les objectifs affichés du groupe de réflexion dirigé par le professeur Houzel, auteur des enjeux de la parentalité (2002). Ce groupe nommé par le ministère a pu, à partir de situations cliniques, montrer que la parentalité s’organisait entre trois axes.
L’axe de l’exercice de la parentalité
Cet axe fait allusion à la dimension des droits et devoirs de la parentalité, dans une lecture proche du juridique. Être parents, c’est en effet être investi d’une responsabilité, d’une autorité précisée par exemple dans l’article 371-1 du code civil. Ces droits et ces devoirs variables d’une époque à l’autre, d’une société à l’autre, enregistrent selon nous une inflation des attentes. L’article 371-1 du code civil a subi d’importantes modifications dans sa réécriture en 2002. Il n’est plus question de veiller seulement à la santé, la sécurité et à la moralité de l’enfant. Ces objectifs premiers sont accrus par la recherche d’un développement harmonieux, personnalisé, négocié avec l’intéressé. Ainsi, « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux père et mère jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect de sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »
L’axe de l’expérience subjective de la parentalité
Cet axe renvoie à l’expérience subjective, consciente et inconsciente, propre à chacun lors de la naissance d’un enfant. C’est en quelque sorte la dimension psychique de la parentalité, l’éprouvé, le vécu intime, l’expérience affective et imaginaire, qui se matérialisera parfois par des représentations, des propos tenus sur l’enfant, donnant accès aux émotions, aux fantasmes conscients et inconscients. Comment le parent évoque-t-il son enfant ? Est-il l’enfant merveilleux, réparateur, ou au contraire persécuteur, trop en décalage avec l’enfant rêvé, imaginé...? De nombreux psychologues n’utilisent le terme « parentalité » que pour rendre compte de la dimension psychique.
L’axe de la pratique de la parentalité
Cet axe comprend les actes concrets de la vie quotidienne, ces actes pouvant être délégués à d’autres personnes considérées non comme des substituts parentaux, mais comme des personnes exerçant des fonctions de suppléance, pour reprendre la terminologie proposée par Paul Durning. Une simple liste de ces actes concrets (les tâches domestiques, techniques, de socialisation...) ne suffit toutefois pas à rendre compte de la complexité de l’éducation familiale. Car, au-delà d’une énumération, se cachent des exigences normatives qui varient considérablement d’une société à l’autre, d’une époque à l’autre. Aujourd’hui, une pression importante s’exerce sur les parents pour qu’ils acquièrent un savoir-faire psychologique. La prolifération des revues de vulgarisation comme la reprise de certaines émissions (de Dolto à Antier) illustrent cette nouvelle recherche de la performance parentale. La norme d’écoute est par exemple exacerbée et sa carence pointée comme l’une des causes du non-épanouissement de l’enfant. L’idée de « bonnes pratiques » fait son chemin et impose une modélisation de la parentalité, d’une ampleur inégalée.
La conceptualisation de ces axes de la parentalité avait pour objectif d’attirer l’attention des professionnels sur la complexité de l’art d’être parent. Nous avions largement mis l’accent sur l’idée de « parentalités partielles », sur le fait qu’aucun parent ne peut être performatif sur les trois axes, sur la nécessité de « contextualiser » la parentalité, c’est-à-dire de tenir compte des conditions économiques, sociales et culturelles des familles, pour éviter tout risque d’instrumentalisation et de modélisation. À l’évidence, ces précautions n’ont pas toutes été entendues et on assiste aujourd’hui à une inflation des attentes sur l’axe de l’exercice de la parentalité avec un appel constant à la responsabilité parentale, comme si les parents étaient devenus démissionnaires. Le décret n° 2006-1104 du 1er septembre 2006 relatif au contrat de responsabilité parentale illustre cette logique. L’absentéisme scolaire, un trouble portant atteinte au fonctionnement de l’école, une difficulté liée à une carence d’autorité, peuvent donner lieu à la mise en cause des parents et à la signature d’un contrat. Ce contrat peut être demandé par le préfet, le maire de la commune, le directeur de l’établissement scolaire ou l’organisme débiteur des prestations familiales. Au-delà de la responsabilité parentale, aucune autre cause explicitant le trouble repéré ne semble identifiée. Ni les conditions économiques de vie ni même le fonctionnement de l’école ne sont envisagés comme des facteurs explicatifs, seuls les parents sont coupables d’une carence avérée. Sont nés dans cette logique des « stages pour parents dépassés » à visée comportementaliste, or il suffit de comprendre comment s’organise la parentalité pour mesurer qu’on ne peut bouger la dimension psychique en quarante-huit heures. Peut-on même bouger en si peu de temps l’axe de la pratique ? Cela reste à prouver et s’apparente globalement à une imposture, si on connaît un peu la force des habitus si bien décrits par Pierre Bourdieu. Le soutien à la parentalité est devenu en quelques années un marché et un espace de contrôle interrogeant les frontières de l’intime. Au nom de la protection de l’enfant, de son intérêt, les mesures d’intervention sont de plus en plus précoces, mais on peut légitimement interroger leur impact sur la parentalité qui, rappelons-le, n’est pas un état, mais un mouvement, un processus susceptible d’être enrayé, entravé, dévié.
Parmi ces mesures énoncées au nom du soutien à la parentalité et, in fine, pour le bien de l’enfant, citons les plus récentes : l’entretien du quatrième mois de grossesse et les visites postnatales renforcées. Dites « préventives », ces mesures interrogent le sens que nous donnons au terme « prévention », terme utilisé à la fois dans le champ de la protection de l’enfance et dans le champ pénal.
La prévention contre quoi, contre qui ?
Le nouveau texte de loi prévoit de « renforcer le suivi prénatal effectué lors de l’entretien du quatrième mois de grossesse, en élaborant un référentiel permettant de dépister les difficultés dans les liens entre la mère et l’enfant ». Notons que le père a été introduit dans cet entretien à la suite d’un amendement de Mme Claire-Lise Campions (2) et des membres du groupe socialiste, il avait été oublié de la procédure, ce qui montre le centrage de la prévention sur la mère. Les services de PMI seront dorénavant chargés d’organiser le suivi de l’entretien du quatrième mois de grossesse qui doit, selon le plan périnatalité, permettre la détection des difficultés psychologiques ou sociales qui pourraient conduire à une perturbation du lien entre parents et enfant. Le suivi actuel des grossesses présente de nombreuses lacunes : il est essentiellement médical et ne comporte aucun suivi social, sauf pour les populations les plus marginalisées déjà connues des services sociaux. Mais les puéricultrices seront-elles formées à investiguer l’axe de l’expérience subjective de la parentalité, à un moment de la grossesse où l’enfant imaginaire est en pleine construction ? Ne risque-t-on pas, sous prétexte que la grossesse n’était pas prévue, pas désirée, de déduire un peu vite que certains couples sont à risque ? La prévention, c’est aussi sur un plan sémantique le préjugé, le parti pris, la méfiance (au sens d’être prévenu contre). Si tant est que la PMI débusque des causes sociales de mal-être, quels seront ses moyens pour répondre à des inégalités sociales non traitées sur le plan politique ?
Pour ne pas stigmatiser certaines catégories de familles, ces puéricultrices seront-elles en nombre suffisant pour tenir cette mission sur toute la population, alors que M. Bruno Percebois, membre du bureau du syndicat national des médecins de PMI, soulignait que les centres de PMI ne disposaient pas de moyens adéquats pour exercer leurs compétences obligatoires définies par le code de la santé publique. Il déclarait ainsi : « Si ces textes encadrent l’action des départements, il faut signaler qu’environ la moitié d’entre eux n’appliquent pas les normes minimales légales, notamment en ce qui concerne les normes de personnels, puéricultrices, sages-femmes, ou les consultations de jeunes enfants (3). » Tout se jouera dans le référentiel qui sera proposé pour mener les entretiens et dans les présupposés qui s’y trouveront. Prévenir, c’est débusquer « le mal », la menace, puis surveiller des symptômes, des signes, dénoncer des « responsables », puis énoncer des moyens de réponse. Dans le livre intitulé La Prévention, Jacqueline Fastrès et Jean Blairon (2002) rappellent les différents visages pris par la prévention au cours des siècles. À chaque époque, nous avons eu une forme identifiée « du mal (le péché, le délit, la maladie, l’anormalité), son bouc émissaire (le sacrifiable, le pauvre, le malade, le non-conforme), son thérapeute (le prêtre, le policier, le médecin, la prothèse), son mode expiatoire (le sacrifice, la charité, l’assurance, la norme) » (p. 79). Contre quoi et contre qui faut-il aujourd’hui nous prémunir ? Lorsque nous annonçons craindre une collusion entre les débats sur la protection de l’enfance et les débats sur la prévention de la délinquance, c’est au rapport Bénisti auquel nous pensons. Ce dernier met également l’accent sur les six premières années de la vie des enfants en utilisant les savoirs élaborés par la psychologie. Ainsi, pouvons-nous lire « la période des trois premières années de la vie de l’enfant, et des trois années suivantes dites œdipiennes, au contact avec la collectivité, va être primordiale. Les conséquences de l’instabilité émotionnelle (impulsivité, intolérance aux frustrations, non-maîtrise de notre langue) ou plus largement le rejet de l’autorité, vont donc engendrer cette violence, cette agressivité, et venir alimenter les faits de délinquance ». Le mal désigné est ici le refus d’obéissance, le risque d’asocialité. Le grand responsable de cet état est le parent, plus particulièrement la mère qu’il faudra contrôler, le thérapeute chargé de cette mission de normalisation est la PMI dans des familles qui sont désignées comme à risque. La prévention vise ainsi non à protéger l’enfant, mais à protéger la société contre les jeunes qui risquent de la perturber. Nous retrouvons curieusement, en 2007, une approche peu éloignée de celle du Dr Long en 1957 qui disait « la prévention se définit par sa clientèle (constituée par une jeunesse en danger moral, en voie d’inadaptation, voire en pleine délinquance, inorganisée et inorganisable), par son aspect curatif, par son action collective dans un milieu et dans un lieu donnés » (Fastrès-Blairon, 2002).
L’enfant ausculté, suspecté
Pour développer son argumentation, Bénisti reprend, à sa façon, non seulement les savoirs psychologiques (le rapport INSERM), mais aussi les schémas de développement de l’enfant, que nous trouvons dans les carnets de suivi médical des enfants. Le schéma est utilisé pour figurer l’évolution d’un parcours déviant dès la naissance.
Il comporte sept phases : la phase 1 de naissance, la phase 2 qui dès la maternelle fait apparaître les premiers signes d’une carrière délinquante. Difficultés de langage et comportements indisciplinés ponctuent le quotidien scolaire de notre jeune enfant scolarisé en maternelle. Puis viendront à la phase 3 (7-9 ans), selon Bénisti, une accentuation des problèmes dus à la démission parentale ou à la non-maîtrise de l’éducation, à l’absence d’activités pré et postscolaires. La phase 4 (10-12 ans) sera marquée par la violence à l’école, le redoublement des classes, le début des petits larcins. La phase 5 (13-15 ans) signera l’entrée dans la délinquance avec des vols à la tire, le début de la consommation des drogues douces et des absences répétées aux cours. La phase 6 (16-18 ans) annoncera la consommation de drogues dures, les cambriolages, la vie nocturne et l’utilisation d’armes blanches. Enfin, la phase 7 qui débute à 19 ans marque l’entrée dans la grande délinquance, les trafics de drogues, les vols à main armée.
Que deviendront les enfants qui s’écarteront du « droit chemin » préconisé par notre société ? Comment se construit l’identité d’un enfant programmé dangereux dès la naissance et ne peut-on redouter ce que les pédagogues appellent « l’effet Pygmalion » ?
Cette clientèle d’enfants potentiellement déviants se recrute principalement dans les familles monoparentales et chez les familles immigrées qui résistent à une totale assimilation. Pour éviter une déviance annoncée, Bénisti propose à son tour l’intervention des puéricultrices pour éduquer les mères : « Entre un et trois ans, seuls les parents, et en particulier la mère, ont un contact avec leurs enfants. Si ces dernières sont d’origine étrangère, elles devront s’obliger à parler le français dans leur foyer pour habituer les enfants à n’avoir que cette langue pour s’exprimer... Si les mères sentent, dans certains cas, des réticences de la part des pères, qui exigent souvent le parler patois du pays à la maison, elles seront dissuadées de le faire. Il faut alors engager des actions en direction du père pour l’inciter dans cette direction. » La dissuasion à utiliser le bilinguisme « non chic » sera confiée à la puéricultrice, puis, si cette première phase ne donne pas les résultats escomptés, à l’enseignante qui « devra alors en parler aux parents pour qu’au domicile, la seule langue parlée soit le français. Si cela persiste, l’institutrice devra alors passer le relais à un orthophoniste pour que l’enfant récupère immédiatement les moyens d’expression et de langage indispensables à son évolution scolaire et sociale ». Le livre 1984 d’Orwell, fiction futuriste, mettait en scène un appauvrissement planifié de la langue (la novlangue) pour éviter l’expression et la formulation de pensées subversives, ainsi que l’installation de télécrans dans les familles et sur les lieux de travail.
Bénisti, Orwell des temps modernes, suggère aussi un renforcement des contrôles vidéo dans les lieux scolaires, les lieux publics. Mais à quand la famille sous contrôle vidéo pour éviter que les mères parlent leur langue à leur bébé ?
Ainsi, que ce soit dans ce rapport ou dans le rapport Hermange (avril 2005) plus subtil, une certaine confusion entre mineurs en danger et mineurs délinquants s’installe. Les notions de protection et de répression n’y sont pas toujours clairement distinguées et le présupposé reste que le mineur en danger peut très souvent devenir un délinquant, et donc faire l’objet du même traitement. Les théories non prouvées, statistiquement, de la reproduction transgénérationnelle alimentent toute une imagerie de l’enfant dangereux. C’est finalement le même enfant qui est, tour à tour, en danger et dangereux, et ce serait aux mêmes professionnels, les puéricultrices, d’être en situation de contrôle, de dépistage et d’accompagnement de la parentalité. Pourront-elles si aisément changer de référentiel pour adapter la même notion, celle de la prévention, au champ de l’aide et au champ du contrôle des familles ?
La réapparition des familles dangereuses
Deux lectures sont aujourd’hui utilisées pour parler des familles : celui de la pathologisation des situations et celui de la déresponsabilisation des parents. On oublie ainsi souvent de dire que d’autres facteurs orientent le parcours des individus, et qu’il est trop facile de définir comme une maladie ce qui relève d’un traitement social et politique inadéquat. Nous menons actuellement une recherche sur les parents d’enfants accueillis en protection de l’enfance. Si l’on demande aux travailleurs sociaux de nommer les causes de cette intervention, sont citées en priorité les carences éducatives, les absences de limites, les défauts dans les interactions.... Sur quinze raisons repérées, la pauvreté et la précarité n’apparaissent qu’en douzième et treizième position. Or, l’analyse sociologique révèle la grande vulnérabilité économique et relationnelle de ces mêmes familles, une vulnérabilité sous-estimée, oubliée, dans ses impacts possibles. Le repérage des familles à risque sur des bases qui restent discutables risque d’accroître la stigmatisation et de culpabiliser des parents qui sont plus empêchés dans leur parentalité que réellement démissionnaires. En recourant à des explications individuelles, ethniques ou culturelles, nous augmentons l’idée de contrôle social. Ces explications fonctionnent comme des prophéties autoréalisatrices (« comment on s’écarte du droit chemin »), alors qu’il s’agit de « tout faire pour rouvrir le cercle des espérances et des chances, pour reprendre cette expression de Pierre Bourdieu » (Frastrès-Blairon, p 122). ■
Sellenet C., 2007, La Parentalité décryptée, pertinence et dérives d’un concept à la mode, Paris, L’Harmattan.
Notes
1. Rosenczveig J.-P., 2006, « La protection de l’enfance en projet de loi, une chance historique à ne pas laisser polluer ». À consulter sur le site : www.dei-france.org/documentsDEI/IndexCommentaires.htm de mars 2006
2. Analyse des discussions législatives et des scrutins publics : Projet de loi réformant la protection de l’enfance ?, juin 2006.
3. Audition du 4 mai 2005 par la mission d’information parlementaire sur la famille et les droits de l’enfant – cf. rapport n° 2832 – présentée par Mme Valérie Pecresse.
BibliographieFastrès J., Blairon, J., 2002, La Prévention, un concept en déperdition ? Bruxelles, Éditions Luc Pire. |