Le CNAOP au cœur du dispositif de l’accès aux origines personnelles

Le Journal des psychologues n°239

Dossier : journal des psychologues n°239

Extrait du dossier : L’originaire au cœur de l’adoption
Date de parution : Juillet - Août 2006
Rubrique dans le JDP : Dossier
Nombre de mots : 4200

Présentation

La loi du 22 janvier 2002 a institué un Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) dont Madame le Boursicot est la secrétaire générale. Elle décrit ici le double champ d’intervention du CNAOP et analyse les résultats d’un fonctionnement de trois ans.

Mots Clés

Détail de l'article

La loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 qui a instauré la liberté d’accès aux documents administratifs a permis aux anciens pupilles de l’État de pouvoir consulter et se faire communiquer les pièces de leur dossier détenu par l’administration, à savoir la direction départementale des Affaires sanitaires et sociales qui dépend de l’État, remplacée par les services départementaux de l’Aide sociale à l’enfance lors des lois de décentralisation. Certains de ces anciens pupilles se sont alors vu refuser la communication de l’identité de leurs parents biologiques en raison du secret de la naissance ou de la remise. On peut remarquer que la revendication des personnes adoptées ou pupilles de l’État à connaître cette identité est apparue de façon concomitante, de même que se sont alors constituées des associations spécifiques de défense du droit aux origines. Par ailleurs, les progrès de la génétique ont sans aucun doute également contribué à l’idéalisation d’une parenté biologique d’autant plus fantasmée qu’elle ne peut s’appuyer sur des éléments concrets.
La double tradition de la maternité et de la remise sous secret, et, partant, la non-communication de l’identité des géniteurs dans ces deux hypothèses expliquent en grande partie qu’en France, la question de l’accès aux origines personnelles par les personnes adoptées se soit confondue avec celle de la levée de ce secret de l’identité et encore plus avec celle de l’accouchement avec demande de secret, dit « sous X ». Il s’agit là d’une vision réductrice de la question, parce que l’accouchement dit « sous X » n’est pas la seule hypothèse de secret de l’identité des géniteurs et surtout parce que, pour les personnes adoptées ou anciens pupilles de l’État, la connaissance de leurs origines peut représenter bien davantage que celle de l’identité de leurs géniteurs, en particulier dans le cadre de l’adoption internationale. Cette question peut également concerner d’autres personnes que les adoptés.
Dans cette optique, les débats parfois passionnels qui ont émaillé la dernière décennie du XXe siècle, ainsi que les rapports officiels Note (1), dont la loi n° 2002-93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines personnelles des personnes adoptées et pupilles de l’État est la résultante, se sont concentrés sur l’accouchement dit « sous X », occultant toute autre problématique sur les origines.
La loi du 22 janvier 2002 n’a pas supprimé la possibilité pour une femme de demander le secret lors de son accouchement, tout en lui apportant des aménagements. Son principal apport est d’instituer un Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, lequel est chargé de faciliter, en liaison avec les départements et les collectivités d’outre-mer, cet accès aux seules personnes désignées par l’intitulé de la loi. Le CNAOP est une instance composée de dix-sept membres – deux magistrats, six représentants des ministères concernés, un représentant des conseils généraux, six représentants d’associations et deux personnalités qualifiées. Selon le décret d’application du 3 mai 2002, le Conseil national est assisté d’un secrétaire général et de personnes nommées ou recrutées sur contrat par le ministère de la Famille. Mais, concernant l’information et l’accompagnement des femmes qui accouchent aujourd’hui en demandant le secret, la loi a prévu la désignation par chaque président de conseil général d’au moins deux personnes au sein de ses services de l’Aide sociale à l’enfance ou de la Protection maternelle et infantile.
Sur le plan international, l’arrêt rendu le 13 février 2003 par la Cour européenne des Droits de l’Homme, dans l’affaire Odièvre contre France, n’a pas condamné cette dernière pour avoir refusé de communiquer à la requérante l’identité de sa mère de naissance et, en quelque sorte, a validé le dispositif mis en place par la loi du 22 janvier 2002 : selon la Cour européenne, la législation française a tenté ainsi d’atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause.
Dans le cadre de sa mission générale, le champ d’intervention du CNAOP est double :
• d’une part, inviter les femmes qui demandent aujourd’hui la préservation du secret de leur identité lors de leur accouchement, à laisser, si elles l’acceptent, des renseignements ainsi que, sous pli fermé, leur identité,
• d’autre part, recueillir, uniquement sur la demande des adoptés ou anciens pupilles, la volonté de leurs parents de naissance sur la levée du secret de leur identité demandé dans le passé, lors de l’accouchement ou de la remise de l’enfant.

 

Inviter les femmes qui demandent le secret de leur identité à laisser des renseignements et, sous pli fermé, leur identité

Le maintien de l’accouchement sous secret
La loi du 22 janvier 2002 a mis fin à la tradition de remise d’un enfant avec secret, héritière des « tours », sortes de petits berceaux de pierre ou de bois situés à l’extérieur de bâtiments religieux où l’on pouvait déposer l’enfant anonymement pour qu’il soit recueilli en faisant tourner le berceau, apparus dans toute l’Europe chrétienne au VIIIe siècle et remplacés en France par les « bureaux ouverts » en 1860. Un enfant paraissant âgé de moins de sept ans pouvait donc être déposé dans un bureau de l’Assistance publique par une personne qui n’était pas contrainte de décliner son identité. Or, cet enfant disposait d’ores et déjà d’un état civil mentionnant l’identité de ses parents, principalement de sa mère, dont il portait le nom. La loi du 5 juillet 1996 portant réforme de l’adoption (première loi Mattei) avait déjà restreint considérablement la portée de cette pratique en la limitant aux enfants de moins d’un an et en énonçant que les parents pouvaient demander uniquement le secret de leur identité des parents et non plus celui de l’état civil de l’enfant lui-même, comme antérieurement. Depuis 2002, dès lors que l’enfant est déclaré à l’état civil avec l’identité de ses parents de naissance, le secret ne peut plus être demandé.
En revanche, le législateur a maintenu, en dépit des vives critiques des associations de défense du droit aux origines, la possibilité pour une femme, lors de son accouchement, de demander la préservation du secret de son admission et de son identité. Cette disposition, insérée à l’article L. 222-6 du code de l’action sociale et des familles (CASF), implique que, désormais, le père ne peut plus demander le secret… La question se posera sans doute dans l’avenir de déterminer si cette identité est communicable lorsqu’elle aura été déclarée par la mère et non par le père lui-même.
Des conflits judiciaires opposant un père auteur d’une reconnaissance anténatale d’un enfant né sous X aux parents auxquels il a été confié en vue de son adoption (2) ont attiré l’attention du législateur sur la situation de pères qui seraient empêchés de faire valoir leurs droits par le secret demandé par la mère. Dans les faits, ce n’est pas forcément ce secret qui crée cette situation, mais plutôt le conflit entre adultes qu’elle suppose et l’absence du père avant et lors de l’accouchement.
Le CNAOP a été informé de différents cas de reconnaissances paternelles anténatales par ses correspondants départementaux ; les parquets et les services de l’Aide sociale à l’enfance sont désormais sensibilisés à cette question et réagissent rapidement en ce cas, de façon à ce que l’enfant puisse voir sa situation juridique et familiale assurée.

 

Les modalités de l’accouchement sous secret
À cet égard, le rôle des correspondants départementaux du CNAOP est primordial. Ce sont eux, en effet, qui sont appelés à rencontrer les femmes qui manifestent l’intention de secret lors de l’accouchement. Ce sont eux qui vont délivrer l’information sur les conséquences juridiques de la demande de secret et, conformément à l’article L. 222-6 du CASF précité, expliquer « l’importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire » ; ce sont eux qui, après avoir délivré cette information, vont s’assurer et attester de la volonté de secret et inviter l’accouchée à laisser des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de sa naissance, ainsi que son identité sous pli fermé.
Il est prévu que ces formalités puissent être accomplies sous la responsabilité du directeur de l’établissement de santé, à défaut de l’être par les correspondants départementaux du CNAOP.
Il est remis à l’accouchée un document censé contenir toutes les informations utiles, élaboré par le Conseil national, selon un lourd cahier des charges figurant à l’article R. 147-22 du CASF. Ce document doit en effet préciser les effets juridiques de la demande expresse de secret ou de son absence, les modalités de levée du secret, les moyens de communiquer l’identité de la mère de naissance à l’enfant, de son vivant ou après son décès, les conséquences du choix de la mère de naissance en matière de filiation et notamment les modalités et le délai pendant lequel elle peut établir le lien de filiation, ainsi que les effets qui s’attachent au placement et à l’adoption plénière, le rôle du CNAOP et de ses correspondants départementaux et, enfin, la nature des renseignements qu’elle est invitée à laisser dans l’intérêt de l’enfant et les modalités de conservation de ces renseignements et de ceux contenus dans le pli fermé.
Le pli fermé proposé est censé contenir les éléments permettant de la rechercher, si l’enfant en fait la demande plus tard, pour lui demander alors si elle maintient cette décision de secret demandé lors de la naissance.
La plaquette définitive de ce document a été diffusée dans tous les départements le 1er septembre 2006.
Par ailleurs, le correspondant du CNAOP ou, à défaut, le délégué du directeur de l’établissement de santé, est chargé d’établir l’attestation conforme au modèle défini par arrêté du ministre de la Famille en date du 14 février 2005 ; l’objet de cette attestation en double exemplaire, dont l’un est remis à la mère de naissance, est de justifier de la volonté de celle-ci et de l’accomplissement des formalités légales. Il s’agit, en effet, de s’assurer que cette volonté a été éclairée sur les conséquences de la décision prise, que le secret a été demandé en toute connaissance de cause. Les dossiers du passé soumis au CNAOP révèlent parfois que la mère de naissance, sous l’emprise de ses proches, n’a pas pu exprimer sa propre volonté ou qu’elle n’a pas été complètement informée sur les solutions s’offrant à elle. Il est certain également que le législateur, en 2002 comme en 1996, a tenté d’éviter les dossiers vides de tout renseignement, qui ne permettent pas à la personne adoptée ou pupille de l’État de connaître le début de son histoire et les raisons de son abandon. Il a voulu également que la mère de naissance ait la maîtrise des éléments qui seront communiqués à l’enfant à sa demande.
Cependant, l’invitation qui lui est faite de laisser des informations et son identité doit laisser à la mère de naissance la possibilité d’exprimer sa volonté librement. La loi précise qu’aucune pièce d’identité n’est exigée et qu’il n’est procédé à aucune enquête. Certes, la porte est étroite entre le reproche d’utiliser des « méthodes musclées » vis-à-vis de ces femmes dans la souffrance, et celui de ne pas parvenir à la communication de leur identité. Les correspondants départementaux évitent ces deux écueils ; ils utilisent le document d’information comme un support du dialogue qu’ils tentent d’instaurer avec ces femmes et acceptent leur décision quelle qu’elle soit.

 

Les premiers résultats du nouveau dispositif
Les relevés semestriels relatifs au nombre et aux modalités des accouchements sous secret, adressés au CNAOP par les départements depuis janvier 2003, sont en cours d’exploitation. D’ores et déjà, il s’avère qu’en 2004, pour soixante-cinq départements qui ont répondu, 95 % (470) des 496 femmes accouchant dans le secret ont été rencontrées par les correspondants départementaux ou par une personne de la maternité, déléguée par le directeur de l’établissement. Ce pourcentage n’était que de 80 % en 2003 pour 60 départements.
En 2004, si l’on soustrait les 102 cas où la mère de naissance s’est rétractée, il reste 394 situations. Or, parmi ces femmes qui ont demandé le secret et ont remis l’enfant en vue d’adoption, 118, soit 30 %, ont déclaré ouvertement leur identité, la plupart du temps dans le dossier de l’enfant et non à l’état civil (de sorte que cette identité est directement communicable à l’adopté ou au pupille sans l’intermédiaire du CNAOP) et 120, soit également 30 %, ont laissé un pli fermé contenant leur identité. Restent 156 cas, soit 40 %, dans lesquels les mères de naissance n’ont pas décliné leur identité.
L’analyse département par département livre d’autres informations. Ainsi, le nombre de plis fermés recueillis est très faible à Paris (2 sur 19) ou en Seine-Saint-Denis (2 sur 19), mais, dans ce département, 7 femmes ont déclaré leur identité contre 3 à Paris. Il y a là des particularités qui peuvent s’expliquer par le profil de ces femmes, notamment par le fait que certaines d’entre elles sont des étrangères en situation irrégulière.
Il n’en demeure pas moins que ces premiers chiffres démontrent que 40 % des mères de naissance choisissent encore chaque année de ne pas donner leur identité, même sous pli fermé, ce qui fait d’elles des femmes anonymes.
Les correspondants du CNAOP ne sont pas non plus certains qu’elles indiquent leur identité véritable dans le pli fermé. Le traitement des dossiers du passé a révélé que bien souvent des femmes ont choisi de donner un faux nom, l’une s’appelant Printemps, la naissance ayant eu lieu le 22 mars, l’autre indiquant comme patronyme le nom de sa ville de naissance. La conservation du pli fermé – dans le dossier de l’enfant au Conseil général – pose également question, car dans le passé des sinistres (incendie, inondation) ont entraîné la perte des dossiers.

 

Communiquer l’identité des parents de naissance qui ont dans le passé demandé le secret de leur identité

L’application de la loi nouvelle aux situations du passé
Le législateur de 2002 a donc tenté, pour l’avenir, de substituer le plus souvent possible un secret relatif au secret absolu et, pour le passé, a chargé le CNAOP d’obtenir des parents qui avaient demandé le secret lors de la naissance ou de la remise de l’enfant qu’elles acceptent de le lever. La loi nouvelle a donc des effets plus drastiques pour les femmes du passé, puisqu’elle transforme des secrets absolus en secrets relatifs.
La question aurait pu se poser de l’application du dispositif nouveau et notamment des modalités de communication de l’identité des parents de naissance aux conditions nouvelles de l’article L. 147-6 du CASF aux personnes recherchant leurs origines actuellement, alors que leur naissance remonte à plusieurs années. Les travaux parlementaires ne nous renseignent pas beaucoup à cet égard, car les modalités d’application de la loi dans le temps n’ont guère été évoquées.
Mais la loi du 22 janvier 2002 s’apparente à une loi de procédure et, dès lors, a vocation à s’appliquer à toutes les demandes en cours au moment de son entrée en vigueur. C’est d’ailleurs ce qu’a considéré la CEDH dans son arrêt précité du 13 février 2003.
La principale tâche du CNAOP et de son secrétariat général est donc aujourd’hui de traiter des demandes d’accès aux origines pour des naissances remontant à vingt, trente, quarante, cinquante ans et plus, alors que la législation a changé à plusieurs reprises au cours du XXe siècle.
Jusqu’à la mise en place du nouveau dispositif, une personne à la recherche de ses origines pouvait adresser sa demande au service de l’Aide sociale à l’enfance de son département de naissance ou à l’organisme privé auquel elle avait été confiée. Dans l’hypothèse où elle se voyait opposer un refus de communication de document sur le fondement du respect de l’intimité de la vie privée d’autrui ou de la loi du 17 juillet 1978 s’agissant de la communication de documents administratifs concernant un tiers dénommé, elle pouvait saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) ; celle-ci rendait alors un simple avis circonstancié sur la communicabilité des documents. En cas de litige, le demandeur pouvait saisir la juridiction administrative. Or, il ressortait des avis de la CADA, rendus postérieurement à 1996, que la communication du dossier avec occultation des mentions relatives à l’identité des parents biologiques n’était justifiée que dans l’hypothèse d’une demande expresse de secret. La CADA estimait en outre que le doute relatif à la volonté des parents, la plupart du temps la mère, bénéficiait à la personne en recherche de ses origines.
Désormais, en application d’un protocole d’accord passé entre eux, la CADA renvoie au CNAOP, pour compétence, toutes les demandes de communication de l’identité des parents de naissance.
Les demandes d’accès aux origines sont formées directement par les intéressés auprès du CNAOP ou lui sont transmises par les présidents de conseils généraux en application de l’article R. 147-14 du CASF, dans le mois de leur réception.
Il ressort des articles L. 147-6 et R.147-14 du CASF que le CNAOP a compétence exclusive pour communiquer l’identité des parents de naissance dans trois cas :
• s’il n’y a pas eu de manifestation expresse de volonté des parents de naissance de préserver le secret de leur identité, après avoir vérifié leur volonté,
• si l’un de ses membres ou une personne mandatée par lui a pu recueillir leur consentement exprès à la levée du secret dans le respect de leur vie privée,
• si les personnes recherchées sont décédées sans avoir exprimé de volonté contraire à l’occasion d’une demande d’accès à la connaissance de ses origines du demandeur.
Le premier cas vise les situations où antérieurement la CADA considérait qu’à défaut de secret expressément demandé, l’identité des parents de naissance était directement communicable. Désormais, le CNAOP ou ses mandataires prennent contact avec la personne recherchée et lui demandent quelle est sa volonté. Ce système est plus juste, même si les partisans les plus fervents de l’accès aux origines y voient une régression, car l’administration ou l’œuvre d’adoption garantissait autrefois un secret absolu, sans pour autant faire remplir quoi que ce soit à la mère de naissance, ce qui était régulier, puisque l’enfant n’était pas légalement le sien. Lorsqu’une femme accouchait sous X, puis confiait son identité au service, sa volonté de secret apparaissait suffisante. Désormais, c’est le correspondant départemental qui atteste selon procès-verbal du secret demandé expressément.
Le deuxième cas vise les demandes expresses de secret qui étaient assez rares avant 1996, sauf lorsque l’enfant était remis après avoir été déclaré à l’état civil par ses parents de naissance.
Enfin, lorsque les parents de naissance sont décédés, la communication de leur identité est aujourd’hui pratiquement de droit puisque, par hypothèse, le nouveau dispositif n’étant mis en place que depuis septembre 2002, ils n’ont pu avoir l’occasion de refuser de lever le secret à la suite d’une demande d’accès aux origines de l’enfant.

 

Une expérience professionnelle de trois ans

Après trois ans de fonctionnement du CNAOP, on peut tenter d’esquisser un premier bilan de l’application de la loi pour savoir si l’objectif d’équilibre a été atteint en ce qui concerne les situations du passé.
Au 31 décembre 2005, le CNAOP avait reçu 2 323 demandes et traité et clos 1 260 dossiers, ce qui signifie que, dans 54 % des cas, il avait apporté une réponse au demandeur après avoir mené toutes les investigations autorisées par la loi. Dans 38 % des dossiers clos, l’identité de la mère de naissance a été communiquée au demandeur, conformément à la loi, pour trois motifs différents : pas de secret (15 %), décès de la mère de naissance sans opposition à la levée du secret de son vivant (13 %) ou accord donné par cette dernière à la levée du secret de son identité (9,5 %).
Certes, dans 44 % des cas, la mère de naissance n’a pu être identifiée ; 61 % des mères de naissance, interrogées par le CNAOP sur demande de l’adopté ou du pupille, ont refusé de lever le secret, comme la loi leur en réserve expressément la possibilité.
Mille deux cent soixante dossiers clos, ce sont 1 260 – multipliés par 2 ou 3 – histoires de vie. Histoires de vie d’adoptés le plus souvent heureux, mais qui ont besoin de comprendre comment ils sont arrivés en ce monde et pourquoi leur destin s’est vu modifié par la ligne de rupture de leur abandon. Quelques paroles d’adoptés parmi d’autres :
• Charles, vingt-huit ans, qui déclare sitôt après le premier dialogue du mandataire du CNAOP avec sa mère de naissance : « Pour moi, la rencontrer, ce n’est pas le plus important. Mon fantasme était d’être né d’une violence faite à ma mère et elle vous a expliqué que j’étais né d’une histoire d’amour mal terminée. Cela change tout. »
• Étienne, trente ans, après avoir reçu une lettre manuscrite de neuf pages de sa mère de naissance : « Quel cadeau, rendez-vous compte, alors que je n’avais que les trois lignes de la DASS. » Ils ne se sont pas rencontrés physiquement, mais les courriers échangés leur ont apporté à tous deux l’apaisement.
Il y a aussi les histoires plus tristes des pupilles de l’État, ces « enfants de l’Assistance », non adoptés ; comme ces jumelles de cinquante ans qui expriment leur regret de n’avoir jamais pu souhaiter la fête des mères à une « maman », réciter les « compliments » de circonstance appris à l’école. Par l’intermédiaire du CNAOP, elles ont rencontré leur mère de naissance qui habitait à quinze kilomètres de chez elles.
Il faut aussi parler de ces personnes qui refusent de rencontrer leur mère de naissance au tout dernier moment, après avoir saisi le CNAOP dans cet objectif, alors que cette femme a accepté, souvent après un long chemin, ce qui n’est pas sans la décevoir profondément.
Souvent, ces femmes ont donné la vie, mais n’ont pu aller au-delà. Ces histoires montrent combien la condition féminine a été bouleversée au cours des années soixante-dix par la légalisation de la contraception et de l’IVG et, plus généralement, le changement des mentalités.
Elles demandent assez souvent si l’enfant qu’elles ont mis au monde a été « bien adopté, s’il est heureux » et tout simplement « est-ce qu’il est grand ? ».
Des paroles de pères, il n’y en a pas beaucoup. « Des enfants, madame, j’ai pu en faire cent cinquante ! »
Parmi ces femmes que nous avons contactées, certaines ont pu reconstruire leur vie, ont eu des enfants, même si nous pouvons nous demander à quel prix cet événement a été « éloigné ». Pour d’autres, au contraire, le traumatisme alors vécu les a empêchées de construire leur vie de femme.
En tout cas, il apparaît que les circonstances de la conception et de l’accouchement ne nous permettent pas de présumer de leur volonté quand elles sont contactées par le CNAOP, ce qui montre l’importance de l’écoulement du temps qui modifie les dispositions prises trente ou quarante ans avant, lors de la naissance.
Le plus souvent, même sans rencontre, même sans échange de courriers et de photos, des informations sont données, des mots sont posés sur l’abandon, (« Je n’en avais jamais parlé à personne depuis mon accouchement »), des mots qui apaisent tout autant la mère que celui ou celle à qui elle a donné la vie.
Concernant la communication de l’identité après le décès du parent de naissance, certes, il peut sembler choquant de ne pas respecter la volonté d’une personne après sa mort, de porter atteinte à sa mémoire, alors qu’elle n’a pas eu l’occasion d’exprimer sa volonté à cet égard auprès du CNAOP lors d’une demande d’accès aux origines personnelles.
Mais l’expérience semble montrer que cette révélation après la mort ne cause pas de drame. Des vies de « frères et sœurs » biologiques se croisent ainsi et parfois se décroisent assez vite. Là aussi, les « demandeurs » sont apaisés. Ils peuvent choisir de retrouver des membres de la famille de leur mère de naissance ou seulement d’aller se promener dans les lieux qu’elle a fréquentés.
Bien entendu, le dispositif actuel pourrait être amélioré sur certains points. Le CNAOP verrait sa mission facilitée s’il avait accès au fichier des naissances de l’INSEE et surtout s’il disposait de moyens en rapport avec ses missions : l’équipe du secrétariat général, chargée de l’ensemble des investigations de recherche des parents de naissance, de la plupart des prises de contact avec ceux-ci et des rencontres entre les personnes concernées, ne comprend que sept personnes. Il conviendrait sans doute de revoir la question de la saisine du CNAOP par les représentants légaux d’un tout jeune mineur adopté ou pupille de l’État.
Mais, en dépit des controverses dont il continue à être l’objet, l’outil CNAOP fonctionne et, pour plusieurs centaines de personnes à ce jour, il a rempli sa mission de leur faciliter l’accès à leurs origines personnelles. ■

 

Notes
1. Le premier d’entre eux étant celui du Conseil d’État de 1990 » Statut et protection de l’enfant «, Doc. fr. 1990.
2. Cour d’appel de Riom, le 16 décembre 1997 : l’adoption plénière de l’enfant né en septembre 1996 au centre de ce conflit a été prononcée en décembre 2005.
Cour de cassation, le 7 février 2006 : l’adoption plénière prononcée par la cour d’appel de Nancy a été cassée au motif que le conseil des familles des pupilles de l’État ne pouvait valablement consentir à l’adoption d’un pupille alors qu’il avait été informé de l’existence d’une reconnaissance prénatale du père prétendu de cet enfant.

Pour citer cet article

Le Boursicot Marie-Christine  ‘‘Le CNAOP au cœur du dispositif de l’accès aux origines personnelles‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/le-cnaop-au-coeur-du-dispositif-de-l-acces-aux-origines-personnelles

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