Le poids de l’apparence physique dans la décision d’embauche

Le Journal des psychologues n°257

Dossier : journal des psychologues n°257

Extrait du dossier : Psychologie du terrorisme
Date de parution : Mai 2008
Rubrique dans le JDP : Pages fondamentales > Travail
Nombre de mots : 5000

Auteur(s) : Garner-Moyer Hélène

Présentation

Hélène Garner-Moyer étudie, dans le cadre d’une vaste enquête, l’influence de l’apparence physique sur les interactions sociales en général, et plus particulièrement dans le cadre des opérations de sélection et de recrutement dans les entreprises. Elle montre aussi comment celles-ci instrumentalisent cette variable à des fins de promotion de leurs produits ou de leur image. Cette étude s’attache essentiellement à élucider les mécanismes psychosociaux par lesquels opère cette influence.

Détail de l'article

L’ apparence physique d’un individu constitue, avec son identité sexuelle, sa caractéristique la plus accessible aux autres dans un processus d’interaction sociale.
En sociologie, l’utilisation du concept d’interaction développé par E. Goffman est éclairante pour comprendre l’influence de l’apparence dans les relations sociales, car ses modalités sont considérées comme un mécanisme fondamental du fonctionnement de l’ordre social. E. Goffman (1984) affirme que « les situations sociales fournissent le théâtre naturel dans lequel toutes les démonstrations corporelles sont jouées et dans lequel toutes les démonstrations corporelles sont lues (1) ». Toutes les situations sociales mettent donc en scène le corporel et peuvent être analysées sous cet angle. Même s’il ne focalise pas directement ses analyses sur les phénomènes corporels, mais plutôt sur « l’ordre de l’interaction », il montre que l’acteur social, impliqué dans une multitude de situations sociales, utilise son corps et ses apparences en fonction des définitions qu’il donne à ces situations et développe des stratégies adéquates. Prolongeant et élargissant les travaux de E. Goffman, D. Picard (1983) estime bien que les interactions sont soumises à un code social normatif, à un ensemble de règles culturelles où le corps (et ses apparences) prend valeur de signifiant. Les apparences corporelles en situation d’interaction fournissent, en effet, une somme d’informations sociales sur les acteurs sociaux parce qu’elles résument partiellement ou complètement l’identité sociale de ceux-ci.
Les premières analyses des avantages que peut procurer dans le milieu professionnel une apparence physique séduisante sont le fait de chercheurs anglo-saxons et remontent aux années 1970 ; c’est, en effet, au cours de ces années que la ­psychosociologie investit le champ de la gestion du personnel en réaction aux échecs du « tout technique ». Ces questions ont été traitées dans leur grande majorité par des psychologues, et l’un des travaux précurseurs a été celui d’un psychologue canadien, B. M. ­Springbett, qui publia, en 1958, une étude dans laquelle il examinait le poids relatif de l’apparence dans la décision d’embauche. La majorité des recherches menées sur cette thématique, réalisées dans les années 1970 et 1980, appartient au champ de la psychosociologie. Depuis le milieu des années 1990, les économistes se sont intéressés à cette question. L’économie a abordé cette problématique dans les années 1990 avec les travaux de D. Hamermesh et J. Biddle (1994 ; 1998), notamment sous l’angle du lien entre beauté et productivité et entre beauté et rémunération. Les raisons de la relative cécité des économistes sur ce point mériteraient sans doute d’être approfondies ; une des principales raisons est sûrement la fiction de l’homo œconomicus qui rend très délicate, pour les économistes, l’intégration des caractéristiques individuelles, notamment physiques, des agents économiques dans leurs modèles. Les théories de la discrimination, mais également celles relatives aux imperfections et aux asymétries d’information constituent une grille d’analyse que l’on peut appliquer à l’analyse de l’impact de l’apparence sur la vie professionnelle. Fondées sur l’idée que l’information sur le marché du travail est imparfaite et que l’employeur va chercher à réduire cette incertitude en recourant à des signaux informationnels indirects, ces théories peuvent s’appliquer à l’apparence physique qui, à l’instar du genre ou de l’âge, est interprétée par les employeurs comme révélatrice d’informations sur la personnalité et les qualités intrinsèques de l’individu.
D’après ces recherches, l’apparence physique d’un individu, et plus précisément sa plus ou moins grande beauté, va influencer sa trajectoire professionnelle ; son insertion comme son évolution professionnelle ne sont pas indépendantes de son degré de beauté. Sur quoi repose cette influence ? Comment se manifeste-t-elle ? Quelles sont les attentes de l’employeur en matière de beauté des candidats ? Être séduisant est-il toujours un atout, quel que soit le type de poste visé ?

 

Le stéréotype
« What is beautiful is good »

La psychologie sociale propose un socle théorique permettant de comprendre comment fonctionne, dans nos sociétés, le stéréotype « ce qui est beau est bon » et comment il altère notre jugement. Les mécanismes d’attribution et d’attente conduisent à porter un jugement globalement positif et indulgent sur la personnalité et les comportements des individus beaux, ce qui confère à ces individus un statut social particulier. Ils sont jugés comme détenteurs de plus de qualités sociales, relationnelles (charisme, capacités de communication, force de persuasion…), mais aussi intellectuelles que les autres : c’est l’association d’attributs de personnalité favorables à la beauté qui fonde ce stéréotype énoncé par K. Dion dans les années 1970 : « Ce qui est beau est bon. »
La relation entre le corps et l’esprit est ancienne ; pour les Grecs, déjà, le corps était le reflet de l’âme, de l’esprit, et la laideur, les malformations physiques, les défigurations, étaient toujours associées au diable. Ce n’est pas directement l’aspect extérieur de la personne séduisante qui provoque cet effet, mais les attributs positifs associés à son apparence. Des psychosociologues américains (2) ont noté que la culture américaine associe systématiquement la beauté à des qualités positives (sociabilité et popularité, notamment à l’égard du sexe opposé), et la laideur à des caractéristiques individuelles négatives. Cela se ressent tout particulièrement dans la représentation des héros à la télévision ou au cinéma et dans les discours publicitaires ; les modèles sont séduisants, ils sont vêtus selon les normes vestimentaires à la mode et répondent à des critères physiques stricts en termes de taille et de poids. Deux chercheurs américains (3) ont analysé le contenu verbal des messages publicitaires télévisuels : les assertions exaltant les avantages d’un physique attractif sont extrêmement répandues et contribuent à façonner les représentations des téléspectateurs, notamment des enfants. Il convient néanmoins de souligner que la culture populaire juge polairement la beauté ; le stéréotype « what is beautiful is good » contient un revers : les individus séduisants sont parfois aussi perçus comme ayant davantage d’inclination à la vanité et à l’égoïsme.

 

L’influence de l’apparence dans le milieu professionnel
Dans la concurrence pour l’obtention d’un emploi, chacun perçoit intuitivement qu’à compétence égale l’apparence peut être une donnée importante pour une embauche éventuelle. Les jugements des employeurs peuvent se fonder sur deux types de signaux non verbaux : des signaux statiques (par le biais de la photo accompagnant le CV) et des signaux dynamiques comme le regard, les attitudes, le ton de la voix (au cours de l’entretien). Nous pouvons donc distinguer deux temps d’analyse de l’impact de l’apparence : avant l’entretien, où les stéréotypes et les a priori vont se fonder sur la photo accompagnant le CV des candidats, et pendant l’entretien, au cours duquel se dégage la première impression sur l’individu, concentré de jugements a priori et en cours de formation sur l’individu à partir de son apparence extérieure.

 

L’apparence physique comme filtre dans le tri des CV
Une première sélection des candidats est effectuée à l’issue du tri des CV reçus si l’on se place dans une procédure de recrutement « concurrentiel », c’est-à-dire dans laquelle un grand nombre de candidatures vont être examinées. Dans les cas de cooptation, où une seule candidature est examinée, le niveau d’information sur le candidat étant plus élevé et considéré comme plus fiable, puisque connu par l’employeur ou transmis par une relation, le recours à la photographie pour apprécier les qualités intrinsèques des candidats est censé être plus faible. A contrario, lorsque le nombre de candidatures est très élevé, la photographie peut être un critère de sélection au même titre que le diplôme ou l’expérience.
L’exemple le plus extrême d’un tel comportement est celui présenté sur un site Internet norvégien qui propose, sur sa page d’accueil, les visages de tous les candidats disponibles pour des stages, et il suffit de cliquer sur l’un d’eux pour avoir des informations sur son CV. L’apparence physique joue alors un rôle de filtre, puisque c’est à partir de celle-ci que l’employeur va accéder aux caractéristiques professionnelles des candidats. Si cet exemple n’est cependant pas représentatif des procédures de sélection suivies par les employeurs, et si le recours à la photographie pour sélectionner des candidats est presque toujours discriminatoire au sens juridique du terme, il n’empêche qu’elle est exigée dans un tiers des petites annonces presse d’offres d’emploi.
La théorie de la réponse cognitive permet d’expliquer l’impact de l’apparence physique au début de la phase de recrutement ; des stimuli conditionnent des réponses automatiques, et l’apparence physique constitue un stimulus non négligeable en phase de tri des CV : à un type d’apparence vont correspondre des attentes spécifiques et réciproquement. Des recherches américaines menées dans le champ de la gestion des ressources humaines concluent que les réponses des évaluateurs au signal de l’apparence physique sont d’autant plus nettes, plus profondément ancrées qu’elles sont automatiques ; or, plus l’évaluateur est pressé ou stressé, plus ce processus de réponse automatique va être activé au détriment d’une démarche plus consciente et objective. Les individus séduisants, parce qu’ils sont jugés plus crédibles et susceptibles de mieux réussir, vont être préférés aux autres ; ainsi, dès l’observation de la photo, des biais en faveur des plus séduisants apparaissent. Plus précisément, il semble que ce sont les caractéristiques matures du visage (saillance des pommettes, pilosité) qui soient les plus fortement associées aux dimensions de compétences et de qualifications (Baudoin, Tiberghien, 2004).

 

Le poids de l’apparence physique dans la formation de la première impression
La première impression correspond au jugement formulé par l’employeur lorsqu’il est confronté pour la première fois au candidat, que ce soit de façon indirecte (par le biais de la photo) ou directe (au cours de l’entretien).
L’obtention d’un emploi représente un enjeu important, et l’entretien constitue une étape cruciale de ce processus en ce qu’il constitue la première rencontre physique entre l’employeur et le candidat. Un premier entretien avec un employeur potentiel est une séquence où vont être évaluées les compétences d’un acteur individuel pour un poste donné. Mais c’est également le moment où l’employeur, influencé par d’éventuels préjugés sur le candidat, inférés notamment de la photo accompagnant le CV, va être confronté à la réalité de la personnalité de celui-ci. Le stéréotype est, dès lors, susceptible d’entraîner un phénomène de « confirmation perceptuelle » : « […] l’impression que le recruteur se forme du candidat tend à se conformer aux attentes que le recruteur détient à propos du candidat (4). »
La situation de l’entretien n’est pas si éloignée d’une situation de séduction, puisqu’il s’agit bien, pour le candidat, de se montrer à son avantage, de donner une image de lui que l’employeur pourra interpréter comme étant celle qui correspond le plus au profil qu’il souhaite. La préparation de la présentation corporelle peut également être considérée comme affirmation de son identité et de son pouvoir face à un employeur : la situation est perçue comme un rapport de forces où, face à l’employeur potentiel qui détient le pouvoir de décision, « travailler » son apparence corporelle est conçu par certains acteurs comme étant sécurisant. La présentation corporelle de soi peut être reconnue par les individus comme un capital pouvant avoir une influence dans l’évaluation dont ils font l’objet au cours de l’entretien. P. Bourdieu définit la notion de capital corporel comme l’ensemble des caractéristiques morphologiques et sociomotrices des agents, qui, s’ajoutant et se combinant aux autres espèces de capital (économique, culturel et social), est susceptible de faire l’objet d’un investissement spécifique dans le registre des sports. Il montre ainsi, à travers l’étude des ­pratiques physiques et sportives des Français (1979), la corrélation entre les conditions sociales d’existence et les habitus qui leur sont liés comme structure alimentant les styles de vie. Une pratique sportive est d’autant plus prisée socialement qu’elle va au-devant d’une certaine vision du corps propre aux « agents » d’une classe sociale et elle est d’autant moins appréciée qu’elle s’en éloigne : il y a des sports « populaires », comme le football, le cyclisme ou le rugby, et des sports « bourgeois », comme le golf ou le tennis. Mais la pratique et le rapport au sport sont également socialement distincts : pour les classes dominantes, les relations entretenues avec le sport doivent rester au stade de l’amateurisme, alors que, pour les classes populaires, le professionnalisme est synonyme d’ascension sociale. Il explique qu’il serait facile de montrer que les différentes classes ne s’accordent pas sur les profits attendus de la pratique du sport, qu’il s’agisse des profits psychiques attendus ou des profits spécifiques proprement corporels, dont il n’y a pas lieu de discuter s’ils sont réels ou imaginaires, puisqu’ils sont réellement escomptés, tels que la minceur, l’élégance ou une musculature visible.
Les consultants en ressources humaines ont l’habitude de dire que la première impression se forme au cours des trente premières secondes de l’entretien à partir des éléments visuels perçus : allure (taille, poids, démarche), aspect, habillement, ton de la voix. M. L. Knapp et J. A. Hall (1992) ont évalué que les signaux non verbaux d’ordres statique ou dynamique représentent 65 % des messages envoyés au cours de l’entretien.
Les grandes entreprises et les organismes de recrutement auxquels elles font appel, conscients des enjeux de l’apparence et de la communication non verbale qu’elle engendre, utilisent parfois la technique de la vidéo pour décrypter le langage corporel ; ils filment les candidats lors de l’entretien, puis le recruteur visionne ensuite la cassette, de préférence en vitesse rapide. La technique permet de décrypter le langage du corps, c’est-à-dire tous les mouvements inhabituels, gauches ou répétitifs, comme se passer la main dans les cheveux ou se toucher la bouche, et d’en tirer des conclusions sur les qualités relationnelles du candidat. Par exemple, d’après des psychologues du travail, se toucher le visage, et plus particulièrement près de la bouche, est l’un des signes révélant le mieux la fourberie d’un candidat. Ce type de technique permet de « dynamiser » la première impression et donc l’influence de l’apparence sur le recruteur.
Ce jugement sur l’apparence peut donc être tout à fait conscient et faire l’objet d’une notation ; des sociologues français (5) ont analysé les méthodes d’évaluation des candidats à partir de l’exploitation d’une base de données d’un cabinet de chasseurs de tête spécialisé dans le « high management ». Les consultants, après avoir sélectionné les candidats potentiels et s’être entretenus avec eux par téléphone, les invitent à un entretien lors duquel ils évaluent leurs qualités et leur présentent le poste. À la suite de cet entretien, le consultant consigne dans une base de données ses remarques sur le candidat et lui attribue deux notes : une note de « valeur professionnelle » et une note de « valeur personnelle ». La première est un jugement sur les qualités professionnelles du candidat dans le cadre du poste offert, tandis que la seconde est un jugement général sur la valeur du candidat. Cette note, variant de 1 à 5, est fortement corrélée avec la présentation du candidat au client. À côté de ces notes, les consultants écrivent parfois des remarques précises étayant leur jugement ; une analyse textuelle de celles-ci permet de comprendre le fondement des notes données. Lorsqu’ils s’intéressent à ce qui sous-tend la note de valeur personnelle, les auteurs de l’étude observent que se mêlent considérations morales et esthétiques ou physiques sur la personne. Ainsi interviennent des considérations sur l’apparence du candidat (beau, élégant), sur les caractéristiques physiques de taille, de couleur des yeux et des cheveux, et sur la manière de se présenter (bonne présentation), montrant ainsi que les atouts corporels, même dans les métiers d’encadrement, ne sont pas indifférents pour le chasseur de tête et le client. Il apparaît que « le jugement moral et esthétique complète donc le jugement sur les capacités managériales et sur l’excellence professionnelle (6) ». Et être considéré comme « grand, beau ou élégant » est un facteur favorable augmentant la note de valeur personnelle.

 

L’instrumentalisation de l’apparence par l’entreprise
Une fois le cap de l’évaluation passé, le « physique de l’emploi » peut en quelque sorte devenir l’image de marque de l’organisme dans lequel les acteurs travaillent. Pour les entreprises dont le cœur de métier repose principalement sur le contact avec la clientèle, les salariés qui ont la charge d’assurer cette médiation représentent le plus souvent « la vitrine » de l’établissement, et leur apparence corporelle prend, là aussi, valeur d’enjeu. Deux niveaux d’analyse doivent être distingués : l’apparence de l’individu apparentée à l’image de l’entreprise (l’apparence-vitrine) et l’apparence de l’individu représentative du type de poste occupé (l’apparence symbolique). L’enjeu que représente l’apparence corporelle pour certaines professions se révèle, d’une part, dans la formation spécifique de la présentation de soi dans certains cursus scolaires (les hôtesses d’accueil ont, par exemple, dans leur formation, des cours de maintien et de maquillage), et, d’autre part, dans la définition de critères sélectifs de certaines apparences, comme c’est le cas pour la taille des mannequins et des hôtesses de l’air notamment. Nous avons ici à la fois un usage symbolique de l’apparence corporelle, au sens où celle-ci, dans l’univers de certaines professions, est la représentation soit du respect que l’on doit à ces interlocuteurs, soit du sérieux de la fonction et des responsabilités qui y sont attachées, et un usage instrumental où celle-ci apparaît comme un moyen pour convaincre et remporter l’adhésion d’un public particulier, même si elle n’a plus de lien direct ou objectif avec le poste (7). Comme le souligne M. Pages-Delon (1989), c’est à travers la définition qu’ils élaborent et l’interprétation qu’ils donnent du contexte « situationnel » dans lequel ils sont impliqués et des enjeux de celui-ci qu’ils perçoivent, que les acteurs sociaux déterminent leur mode d’utilisation de l’apparence corporelle.
L’impact de l’apparence physique sur la décision d’embauche est complexe et dépend de divers facteurs ; trois principaux canaux d’influence de l’apparence sur la décision d’embauche peuvent être distingués. Un premier courant de recherche soutient l’idée que l’apparence n’influence la décision d’embauche que lorsque la beauté ou la séduction constituent un critère central du poste à pourvoir. L’apparence physique n’aurait pas d’impact sur la décision d’embauche à moins que celle-ci soit un élément caractéristique du poste à pourvoir, comme pour un mannequin ou un comédien par exemple. Une apparence physique séduisante est alors considérée comme un critère objectif du poste à pourvoir.
Un deuxième courant suggère qu’une apparence séduisante influence positivement la décision d’embauche lorsqu’elle est précisément et positivement reliée à un stéréotype de la fonction à pourvoir. Ce courant s’appuie sur la théorie de la personnalité implicite : les individus séduisants seront jugés et perçus de façon plus positive que les individus moins séduisants. N. K. Polinko et P. M. Popovich (2001) posent une hypothèse centrale pour comprendre cette influence : les biais liés à l’apparence physique sont fonction de la correspondance perçue entre les compétences sociales requises pour un poste et celles attribuées à un candidat.
Les candidats séduisants sont préférés aux autres pour des postes requérant de hautes compétences sociales, car, conformément à la théorie de la personnalité implicite, des compétences relationnelles supérieures leur sont d’emblée attribuées ; cette relation peut expliquer les conclusions de T. A. Beehr et D. C. Gilmore liant les postes ayant une dimension « séduction » importante et les postes en relation avec la clientèle. Même si la beauté n’est pas une caractéristique objective du poste à pourvoir, les recruteurs vont en faire un critère au regard de l’image qu’ils ont de la position de ce poste. Et plus le poste est en contact avec le public, plus l’apparence joue un rôle important, même si elle n’est pas un critère de recrutement explicite. Ainsi, par exemple, si la fonction de réceptionniste ne nécessite nullement une apparence séduisante, les stéréotypes attachés à cette fonction sont tels qu’une apparence avantageuse est un critère implicite d’embauche. Cet effet joue notamment pour la fonction de commercial ; il a d’ailleurs été montré que des compétences plus élevées (de type social, relationnel, mais également intellectuel) étaient attribuées aux individus séduisants (8). Il sont, de ce fait, mieux perçus par les clients, et cet effet joue encore plus fortement pour les femmes. Plus finement, la dimension « séduction » de l’individu peut avoir un impact plus ou moins fort en fonction de l’expérience professionnelle de celui-ci ; ainsi, une femme expérimentée bénéficiera moins de cette prime à la beauté, ses compétences professionnelles seront privilégiées, tandis que, dans le cas d’une femme néophyte dans le domaine commercial, l’apparence jouera davantage comme élément subjectif susceptible d’influencer le jugement de l’acheteur.
Des études effectuées dans le domaine du marketing confirment cette relation en montrant que les clients sont eux-mêmes positivement influencés dans leur décision d’achat par la beauté de leur interlocuteur (9) ; le mécanisme des prophéties autoréalisatrices semble donc être effectif dans le cas des métiers de la vente avec contact en face-à-face avec la clientèle.
À l’inverse, des stéréotypes fonctionnels peuvent être désavantageux pour des individus séduisants ; M. Snyder, E. Berscheid et A. Matwychuk (1988) ont trouvé que la séduction physique pouvait être un inconvénient pour certains postes, comme libraire par exemple. Le même processus de stéréotypisation est alors à l’œuvre : des stéréotypes liés à certains métiers font que la beauté peut être considérée pour ces derniers comme une marque de légèreté, de futilité ou de manque de profondeur et comme un élément pouvant décrédibiliser le candidat : c’est le revers de la beauté.

 

Être séduisant est un avantage si l’on respecte les stéréotypes sexuels en vigueur dans le milieu professionnel
Le dernier courant de recherche s’inscrit dans la lignée des stéréotypes sexuels ; une apparence séduisante est un atout seulement si le poste est considéré comme approprié avec le sexe du candidat. Ainsi, les femmes séduisantes sont moins facilement embauchées pour des postes de management que les autres, car des compétences managériales plus élevées sont d’emblée attribuées aux hommes. S. De Bosscher et P. Desrumeaux-Zagrodnicki (2002) aboutissent à la même conclusion, lorsqu’elles s’intéressent aux effets de l’apparence physique sur les décisions de recruteurs féminins et masculins pour des postes de managers et de conseillers. Elles concluent que l’impact de la beauté varie selon le niveau hiérarchique : pour un poste subalterne, le candidat attirant est préféré, mais pour un poste élevé, la beauté favorise les hommes et défavorise les femmes. Selon elles, le prototype masculin associé à ce type de poste semble être incompatible avec la beauté féminine ; pourquoi ? Elles avancent deux explications : le poste de manager requiert des capacités jugées « masculines » comme « se comporter en leader », « être indépendant », « être sûr de soi » et la beauté des femmes semble être un rappel de leur appartenance au sexe féminin ou encore synonyme de légèreté ou de futilité. La difficulté ici est de distinguer ce qui relève du fait d’être une femme de ce qui relève du fait d’être séduisante. B. Rosen et T. Jerdee (1974) ont réalisé une expérience pour mesurer ces mêmes hypothèses mais indépendamment de l’apparence physique, et ils aboutissent à la conclusion que, pour des postes de direction, les hommes sont préférés aux femmes à qualifications équivalentes. Cette conclusion n’est pas étonnante au regard de la sous-représentation des femmes à des postes de direction dans la société française : en 2005, 17 % des dirigeants, en France, étaient des femmes, alors qu’elles représentent 45 % de la population active ; dans la fonction publique, elles n’étaient que 13,4 % aux postes de direction (10). Être une femme constitue donc un obstacle pour accéder à certains postes de direction, et être une femme séduisante semble renforcer cette discrimination. T. F. Cash, B. Gillen et D. Burns (1977) ont tenté de mesurer l’effet combiné du sexe et de l’apparence physique et leur approche inclut stéréotypes fonctionnels et sexuels. Ils distinguent pour cela l’influence de l’apparence en fonction de trois types de postes : masculin (11), féminin (12) et neutre (13). Ils concluent que l’apparence physique influence les décisions de recrutement en avantageant les candidats séduisants à condition qu’ils postulent à des postes en adéquation avec leur sexe (avantages pour les femmes séduisantes sur des postes féminins et idem pour les hommes). Pour des postes neutres, les candidats séduisants sont toujours préférés, quel que soit leur sexe. Ils supposent, en outre, que, parce que les attentes en termes de statut augmentent avec le niveau de séduction de l’individu, l’impact de l’apparence physique pourrait s’intensifier pour des postes élevés (cadres, managers…). Les stéréotypes de sexe (au sens biologique) sont en fait moins prégnants, dans la formation du jugement de l’employeur, que les stéréotypes de genre liés à l’apparence physique ; c’est pourquoi une femme à l’allure masculine sera jugée comme dotée de davantage de compétences managériales qu’une femme séduisante à l’allure féminine : être une femme n’est pas en soi défavorable pour obtenir un poste de manager, mais être une femme séduisante revendiquant une apparence féminine l’est assurément.

 

En conclusion
Une grande partie des recherches présentées conclut donc que l’apparence a un impact réel sur la décision d’embauche, mais la force de cet impact est fonction du sexe du candidat et du type de poste à pourvoir. Cette influence devrait être moindre au cours de la carrière, une fois que le candidat a été recruté et qu’il est inséré dans le monde professionnel, car l’information sur ses qualités intrinsèques dont dispose l’employeur est de meilleure qualité. Il n’en demeure pas moins que des différences de promotions et de salaires ont été constatées entre individus au profit des salariés séduisants dans des études récentes (Garner-Moyer, 2007). Les mécanismes de l’attente et les prophéties autoréalisatrices sont susceptibles d’expliquer celles-ci. Néanmoins, il sera toujours plus difficile de prouver que ces différences sont liées à l’apparence physique plus ou moins séduisante des individus qu’au moment du recrutement où des méthodes comme le testing permettent de le prouver. ■

 

Notes
1. Goffman E., 1984, « L’ordre de l’interaction », in Sociétés, 14 : 8-16.
2. Eagly A., Ashmore R., Makhijani M., Longo L., 1991, « What is Beautiful is Good, but… : A Meta-Analytic Review of Research on the Physical Attractiveness Stereotype », Psychological Bulletin, 110 : 109-128.
3. Downs A. C, Harrison S., 1985, « Embarrassing Age Spots or Just Plain Ugly ? Physical Attractiveness Stereotyping as an Instrument of Sexism on American Television Commercials »,
Sex Roles, 13 : 9-19.
4. Klein O., Pohl S., 2007,
Psychologie des stéréotypes et des préjugés, « Quartier libre, Les cahiers de l’ergologie », Éditions Labor, p. 211.
5. Gautié J., Godechot O., Sorignet P.-E., 2004,
Les Cadres dirigeants : quelques éclairages sur les trajectoires professionnelles et le fonctionnement du marché du travail, Convention Cee-Dares
6. Gautié J., Godechot O., Sorignet P.-E., 2004,
op. cit.
7. Même le monde du sport n’est pas à l’abri de cet usage, et la beauté peut y être un élément concourant au recrutement comme le rapporte C. Durand ; les Américains ont longtemps recruté leurs futures footballeuses sur leur beauté physique avec l’obligation de porter des cheveux longs, in Football, la bagatelle la plus sérieuse du monde, 1998, Paris, Bayard.
8. Reingen P. H., Kernan J. B., 1993, « Social Perception and Interpersonal Influence : some Consequences of the Physical Attractiveness Stereotype in a Personal Selling Setting »,
Journal of Consumer Psychology, 2 (1) : 25-38.
9. Reingen P. H., Kernan J. B., 1993,
op. cit.
10. « L’égalité professionnelle est-elle en progrès ? », V. Smée, Novethic, 9 mars 2005.
11. Comme, par exemple, vendeur automobile ou docker.
12. Comme, par exemple, opératrice téléphonique ou réceptionniste.
13. Comme, par exemple, employé dans un motel ou assistant photographe.

 

 

Bibliographie

Baudoin J. Y., Tiberghien G., 2004, « Symmetry, Closeness to Average, and Size of Features in the Facial Attractiveness of Women », Acta psychologica, 117 (3).
Beehr T. A., Gilmore D. C., 1982, « Applicant Attractiveness as a Perceived Job-Relevant Variable in Selection of Management Trainees », Academy of Management Journal, 25 (3) : 607-617.
Biddle J., Hamermesh D., 1998, « Beauty, Productivity and Discrimination : Lawyer’s Looks and Lucre », Journal of Labor Economics, 16 (1) : 172-201.
Bourdieu P., 1979, La Distinction, Paris, Les Éditions de Minuit.
Cash T. F., Gillen B., Burns D., 1977, « Sexism and “Beautyism” in Personnel Consultant Decision Making », Journal of Applied Psychology, 62 (3) : 301-310.
De Bosscher S., Desrumeaux-Zagrodnicki P., 2002, « Effet du sexe, de l’apparence physique et de l’internalité/externalité des candidats sur les décisions de recruteurs féminins et masculins pour des postes de managers et de conseillers », Management international, pp. 12-20.
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Knapp M. L., Hall J. A., 1992, Nonverbal Communication in Human Interaction, Fort Worth, Holt Rinehard and Winston, Inc.
Pages-Delon M., 1989, Le Corps et ses apparences : l’envers du look, Paris, « Logiques sociales », L’Harmattan.
Picard D., 1983, Du code au désir, le corps dans la relation sociale, Paris, Dunod.
Polinko N. K., Popovich P. M., 2001, « Evil Thoughts but Angelic Actions : Responses to Overweight Job Applicants », Journal of Applied Social Psychology, 31 : 905-924.
Rosen B., Jerdee T., 1974, « Effects of Applicant’s Sex and Difficulty of Job on Evaluations of Candidates for Managerial Positions », Journal of Applied Psychology, 59 (4) : 511-512.
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Springbett B. M., 1958, « Factors Affecting the Final Decision in the Employment Interview », Canadian Journal of Psychology, 12 (1) : 13-22.

 

Pour citer cet article

Garner-Moyer Hélène  ‘‘Le poids de l’apparence physique dans la décision d’embauche‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/le-poids-de-l-apparence-physique-dans-la-decision-d-embauche

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La psychanalyse dans le monde du temps de Freud

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