Le secret et la recherche des origines

Le Journal des psychologues n°239

Dossier : journal des psychologues n°239

Extrait du dossier : L’originaire au cœur de l’adoption
Date de parution : Juillet - Août 2006
Rubrique dans le JDP : Dossier
Nombre de mots : 4500

Auteur(s) : Peille Françoise

Présentation

Comment l’enfant se construit-il ses origines ? Cette question qui n’est pas spécifique à l’enfant adopté n’en est pas moins centrale dans cette problématique et nécessitera de mettre en perspective l’histoire de son passé, l’histoire qu’il vit actuellement avec ses parents et l’histoire réelle et fantasmatique de ses parents.

Détail de l'article

La quête des origines est une notion fondamentale, inhérente à la nature humaine, car l’homme est sans cesse à la recherche des origines, quels que soient sa vie, son histoire, son destin.
Elle concerne le développement de tout enfant ; elle s’inaugure avec la curiosité sexuelle et la notion de « jardin secret » vécue comme une nécessité. Cette quête des origines est de plus en plus à l’ordre du jour depuis plusieurs années.
Combien d’entre nous se sont engagés dans un travail de généalogie ?
D’où venons-nous ? À quoi nous rattacher ? Où allons-nous ? À qui ressemblons-nous ? Cette dernière question est souvent posée par les enfants ne connaissant pas leurs origines biologiques.
Si cela prend un tour nouveau avec les nouvelles techniques, qui permettent de rattacher un individu à son parent par l’ADN, cette quête des origines préside à toutes les croyances, à toutes les religions. Comme l’écrit P.-C. Racamier (1990) : « Il ne suffit pas de naître, encore faut-il construire sa naissance au monde ; il ne suffit pas d’avoir reçu la vie, encore faut-il se la donner. »
Cette quête, cette recherche n’échappe pas à l’enfant adopté. Il faut dire qu’elle prend sens dans la relation que tout enfant a avec ses parents. Si elle est normale, elle sera d’autant plus virulente que l’enfant n’aura pas les bases nécessaires à sa bonne évolution ; c’est ainsi que certains enfants qui n’ont pas été investis par leurs parents de naissance et qui ont vécu une petite enfance chaotique, faite de carence et d’incohérence, seront à l’adolescence, plus tôt ou plus tard, à la recherche d’une mère mythique, totalement bonne ou au contraire monstrueuse, mais dont ils veulent à tout prix voir le visage.
Ce n’est pas le secret en lui-même qui est en cause, mais la fonction du secret qui est importante. Il faudra comprendre et évaluer sa fonction dans l’économie psychique des parents, et dans l’impact du vécu des enfants.
Dans les AMP (assistance médicale à la procréation), il peut y avoir un non-dit dans la façon dont l’enfant a été conçu. Ce secret de la conception – généralement quand il y a don de sperme – n’a rien de pathologique en soi, mais il faudra savoir, là aussi, quelle fonction il a dans la constellation familiale, et comment la relation entre les parents et les enfants en sera ou non affectée, car curiosité et sexualité sont liées dans le développement de l’enfant.

 

Évolution sexuelle chez l’enfant

Ce n’est que lorsque l’enfant aura une connaissance assez claire de la façon dont viennent les enfants, qu’il posera, et qu’il se posera la question des origines.
Petit à petit, l’enfant prendra conscience que d’autres existent, que d’autres ont existé avant lui, notamment ses parents.
Cette question des origines est pour nous vertigineuse. Avant notre naissance, le monde existait ; nous n’étions pas là, il existait sans nous.
Notre naissance est due à une série de contingences, de hasards, non maîtrisables. La rencontre d’un spermatozoïde – parmi des milliers – et de l’ovule, qui nous a fait naître, est le fruit du hasard. Même dans les procréations médicalement assistées, il y a mille et un enfants possibles… Cela fait dire à Alphonse Boudard (1995) : « Nous sommes tous nés du hasard, jamais d’une nécessité. »
Mais cette évolution psychosexuelle n’est pas linéaire, et souvent persistent des fantasmes divers comme la fiction du retour dans le ventre maternel, fréquent chez tous les enfants. Cela éveille chez les adultes qui les entendent des sentiments complexes. La connaissance ne se substitue pas aux fantasmes originaires.
Parler de l’adoption, parler des origines, c’est informer l’enfant de la sexualité, de la procréation et, d’une certaine manière, de notre propre sexualité.
Récemment, une mère adoptive racontait que sa fille de treize ans, fille biologique, lui demandait : « Après ma naissance, tu n’as pas eu de relation sexuelle avec papa ? » - « Pourquoi ? », lui demande la mère – « Parce que tu as adopté ma sœur Sylvie » (huit ans). La mère un peu déstabilisée – on le comprend – a su trouver la réponse adaptée à sa fille.
Le problème de cette information inquiète les parents même s’ils n’en n’ont pas une conscience claire, parce qu’elle les renvoie à leur propre sexualité, à leur propre histoire infantile, à leur roman familial. Comme dit Michel Soulé : « Ceux qui font les enfants eux-mêmes peuvent raconter à leurs enfants des histoires de choux et de roses, mais les parents adoptifs sont obligés de parler de sexualité. »
Si la curiosité, donc la quête des origines, fait progresser et grandir, encore faut-il être en mesure de développer cette curiosité. Si l’enfant a envie de regarder par le trou de la serrure de la chambre parentale, il faut que la chambre soit fermée. D’où la nécessité d’un jardin secret.
Ainsi, la quête des origines, la curiosité, se développent dans une relation à l’autre et nécessitent une séparation des générations. Elle demande la capacité d’avoir un « jardin secret ».
Tout enfant, qu’il soit adopté ou non, a droit à un jardin secret. Le jardin secret d’un enfant adopté est ce qu’il aura forgé à l’intime de lui-même, entre ce qu’il lui aura été dit, ce qu’il aura imaginé, et la construction personnelle qu’il fera de son histoire et de ses origines : ses rêves lui appartiennent.

 

Le roman familial et les origines

Le roman familial est une fantaisie dont parle Freud et qui concerne tous les enfants. À la période œdipienne, ils s’imaginent d’autres parents qui seraient totalement bons et qui ne les frustreraient pas, et avec lesquels ils n’auraient pas à se confronter. « Ces parents de tous les jours, qui me frustrent et qui m’obligent à obéir, ne sont pas mes vrais parents ; j’en ai ailleurs qui sont tout-puissants et tout bons. »
Chacun, selon le matériau dont il dispose, s’imagine d’autres parents. Beaucoup ne s’en souviennent pas. Peu à peu, ils reviennent à la réalité et vont se contenter des parents de tous les jours. Cela peut laisser pour certains d’entre nous des traces de culpabilité, d’avoir voulu ainsi destituer et remplacer les parents. Selon les relations que nous avons avec nos parents, des séquelles inconscientes pourront demeurer.
Le roman familial d’un enfant adopté va élaborer les mêmes fantasmes, les mêmes angoisses que tous les enfants. Il utilisera la particularité de sa filiation pour justifier ses angoisses, ses souffrances, ses blessures : « C’est parce que vous n’êtes pas mes vrais parents que je suis malheureux… ». Janine Noël, spécialiste de l’adoption, a pu dire : « Les enfants adoptés ont le roman familial sur un plateau d’argent. »
Certains enfants vont élaborer un roman familial lors de leur adoption. Les parents qui vont venir les chercher sont des parents mythiques, totalement bons, tels que nous en avons tous rêvés. Souvent, cette lune de miel peut durer… Puis, dans un renversement, lorsque les parents adoptifs deviennent des parents ordinaires, avec leurs exigences et leurs frustrations, ce sera le lieu d’accueil lointain, qui deviendra le lieu du rêve ; ils iront à la recherche… Ce sera le point de départ parfois – pas toujours – de la quête de leurs origines …
Cependant, le roman familial est généralement refoulé, oublié.
Mais, si l’enfant adopté élabore les fantasmes dans le même objectif, et selon les mêmes thèmes que ceux de tous les enfants, il aura une réalité qui sous-tendra son roman familial. Ses vrais parents, pour lui, ne seront pas un fantasme abandonné à la période de latence, mais une réalité qui, pour certains, surtout pour ceux qui ne sont pas dans un développement suffisamment harmonieux, pourra perdurer et justifier des recherches incessantes.
« Pendant toute sa vie, l’enfant adopté doit équilibrer ce roman familial concernant ses parents biologiques avec la réalité que lui créent ses liens envers ses parents adoptifs. » (Berger M., 1997).
En filigrane des questions sur les origines surgira inévitablement la question de l’abandon.

 

Abandon

Le problème de l’abandon, quelles que soient les raisons qui ont motivé les décisions, entraîne un flot d’interrogations chez les personnes qui le subissent.
Beaucoup d’adultes veulent rencontrer les femmes qui les ont délaissés pour leur demander les raisons de leur abandon ; ce sont des questions sans réponse ou avec des réponses insatisfaisantes.
Récemment, dans un colloque sur la question des origines, une jeune femme racontait comment elle avait retrouvé sa mère de naissance, essentiellement pour lui demander pourquoi elle l’avait abandonnée. Celle-ci lui a répondu : « Parce que je ne pouvais pas à l’époque m’occuper d’un enfant », et la jeune femme de dire : « J’étais déçue, parce que, cela, je le savais. »
Même si on supprime l’accouchement anonyme, la question de l’abandon sera toujours présente.
Pour un enfant adopté plus tardivement, l’abandon sera un ressenti en relation avec ce qu’il a vécu avant son adoption ; souvent, il vivra d’autant plus douloureusement son arrivée que les soins dont il a été l’objet auparavant n’auront pas été suffisants ; ses blessures et souffrances ultérieures, il les reliera au traumatisme de l’abandon.
Même si nous le savions, les raisons invoquées ne sont jamais les seules ou les raisons profondes intimes qui ont justifié l’adoption. De plus, l’enfant ne sera jamais satisfait de la réponse. La vérité des uns n’est pas la vérité des autres. Beaucoup de parents disent : « Cela dépendra du contexte culturel » (France ou étranger). Pour l’enfant, ce concept n’a aucun sens, même si c’est une réalité.
Il faut savoir écouter l’enfant, ne pas le précéder dans ses démarches ni expliquer pour lui. Chaque question d’enfant sera en relation avec l’histoire de son passé, l’histoire qu’il vit actuellement avec ses parents et l’histoire réelle et fantasmatique de ses parents.
Comme dit Élisabeth Badinter (1981) : « On est obligé de remettre en cause l’amour de sa propre mère. On ne parle plus d’instinct maternel ; on a changé de vocabulaire, mais, si les mots changent, l’illusion demeure. »
Les fantasmes et projections concernant les parents de naissance peuvent devenir problématiques, quand ils sont tus ou niés. Ils envahissent un jour ou l’autre chaque parent ; il faut qu’ils puissent être intégrés et dépassés : les parents de naissance inconnus sont dépréciés, rivaux ou encore « valorisés, sublimés »…
Abandon et adoption, ces deux démarches apparemment contradictoires ne se conçoivent pas l’une sans l’autre. À l’ère de la contraception, des AMP, des nouvelles filiations, des séparations parentales, elles posent des questions qui prennent une acuité nouvelle.
De nombreux enfants adoptés se développent de manière satisfaisante, même si beaucoup d’entre eux se posent, de façon répétitive, des questions sur leurs origines ; cela n’envahit pas leur vie psychique.
Dans toute filiation, il y a une transmission, un plaisir à transmettre, et l’enfant, qui en retour le reçoit, a un sentiment de gratitude. Mais, pour que cela puisse se faire, il faut que les attachements soient solides, que les liens reposent sur des moments partagés de bien-être, des expériences de vie éprouvées ensemble, des expériences de rivalité surmontées. Car le travail de « parentification » ne peut se faire que progressivement.
L’enfant est en besoin de communication ; il a des besoins, mais il ne les connaît pas ; il reçoit des satisfactions, il éprouve des manques. Il n’est pas en recherche de « parents » ; souvent, il ne sait pas ce que c’est.
Le parent, en retour, est en quête d’enfant, en besoin d’attachement. Il peut y avoir parfois un malentendu, car il peut interpréter la nécessité d’agrippement qu’éprouvent certains enfants, par angoisse, comme un attachement.
Dans l’adoption d’un enfant étranger, une difficulté supplémentaire peut apparaître. Le parent, au cours des angoisses et des craintes premières, qui sont normales chez tout enfant à l’arrivée, peut les interpréter comme venant de « l’étrangeté » de cet enfant. Les identifications et contre-identifications ont plus de mal à s’établir pour cet enfant qui ne leur ressemble pas.
Il faudra comprendre comment l’enfant se construit son origine, et surtout respecter les étapes et son cheminement.

 

Comment l’enfant se construit ses origines ? et que veulent savoir les enfants ?

Bien sûr, cela dépend de l’âge à son arrivée dans la famille, des souvenirs conscients ou pas qu’il a de son passé. Pendant un premier temps, le temps de la séduction, peu de choses sont dites ; nous devons respecter le silence.
« Le cheminement de l’enfant adopté se déroule souvent comme si l’enfant voulait, dans un premier temps, effacer, voire oublier, ce qu’il avait vécu antérieurement. Il se dévoile en plusieurs étapes. » (Ozoux-Teffaine O., 1987.)
Cependant, dans les rencontres avec les parents adoptifs, ceux-ci supportent souvent très mal que leurs enfants « inventent » une histoire à propos de leurs origines, qui n’est pas conforme à la réalité qu’ils connaissent, et que parfois ils ont expliquée à leurs enfants. Il nous arrive de conseiller aux parents, plutôt que de vouloir rétablir la vérité à tout prix, de le laisser à son imaginaire, en lui disant que, peut-être, c’est son désir de raconter ainsi l’histoire de son adoption.
Récemment, une maman adoptive d’une enfant de cinq ans nous racontait qu’à l’occasion du divorce des parents d’une petite cousine, sa fille dit à cette dernière : « Moi, j’ai deux mamans ; l’une ici, l’autre en Corée. » Voulant sans doute se valoriser aux yeux de sa cousine, dont la mère venait de quitter le domicile conjugal. La maman, ne supportant pas très bien ces propos, lui répond : « Tu as une génitrice en Corée, et une maman ici. » Nous lui avons fait remarquer que, sans doute, elle se sentait ainsi supérieure à sa petite cousine, dans « l’abondance des mères », et que, d’autre part, le mot génitrice ne devait pas faire partie du vocabulaire d’une enfant de cinq ans !
Des exemples de cette nature, nous en avons plusieurs. Il faut donc être très vigilant, et respecter le choix des enfants.
Parfois, d’ailleurs, la construction de ses origines passera par des phases très différentes. Un enfant que nous connaissons s’imaginait, pendant la période œdipienne, une mère de prestigieuse naissance et, lors de sa scolarité, où il avait quelques difficultés, il dit un jour à sa mère : « Ce n’est pas ma faute, ma mère ne savait pas lire. » (Il savait qu’il était d’origine maghrébine.) – « Pourquoi dis-tu ça ? », lui demande sa mère – « Parce qu’elle me l’a dit quand je dormais. » La maman, un peu déstabilisée, a repris ses esprits et lui a dit que de toute façon ce n’était pas une excuse.
On voit bien que la réalité a peu de prise et que l’enfant va se servir d’une particularité (origine maghrébine) pour se bâtir une explication qui lui convienne.
Alors, que penser des éléments que peuvent donner les mères lors de leur accouchement ?

 

Accouchement anonyme

C’est effectivement le nœud de tous les problèmes, ou plutôt de toutes les controverses qui ont entouré la loi du 22 janvier 2002. Relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État (JO, 23 janvier2002), elle institue le CNAOP (Conseil national pour l’accès aux origines personnelles).
Elle stipule que toute femme qui demande lors de son accouchement la préservation du secret de son admission et de son identité est informée des conséquences juridiques de sa demande et de l’importance pour toute personne de connaître ses origines et son histoire.
Elle est invitée à laisser, si elle l’accepte, des renseignements sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant, les circonstances de sa naissance ainsi que, sous pli fermé, son identité. À tout moment, elle peut lever le secret et donner éventuellement d’autres renseignements.
Seul l’enfant, s’il le souhaite, ou ses représentants s’il est mineur pourront avoir accès à ces informations dans des conditions prévues par l’article 147-6.
En relisant la loi et les quinze articles, on s’aperçoit que les termes peu clairs montrent la difficulté et le tiraillement des rédacteurs dans ce domaine ; dans un article, on demande les circonstances, dans un autre on demande d’en donner les raisons !
Deux convictions président à cette loi :
l Doit-on assurer le secret de l’identité d’une femme qui ne désire pas garder son enfant aux yeux de la société ?
l Pense-t-on que c’est un drame pour tout enfant de ne pas connaître l’identité de la femme qui l’a mis au monde ?
Le problème de l’abandon, c’est-à-dire le fait de ne pas avoir été désiré par ceux qui vous ont conçu, est primordial pour chacun. Récemment, je lisais un article d’un psychiatre, qui disait que l’attitude législative, sous couvert d’apaiser la souffrance, risque d’entraîner un leurre…, si ce leurre consistait à croire que connaître l’identité de la mère de naissance apaiserait toute angoisse.
Pour ma part, je ne dirai pas à une femme que c’est important pour l’enfant de connaître des choses sur ses origines. D’abord, nous ne savons pas ce qui sera important pour l’enfant ; cela dépendra de son histoire avec ses parents, et aussi de la façon dont les parents accueilleront ces éléments. Ensuite, cela ne fait qu’angoisser un peu plus la femme, ou même elle peut se sentir agressée par cette demande. Il y a deux ou trois ans, une assistante sociale s’était fait vertement rabrouer par une femme qui lui avait dit : « D’abord, il s’en foutra, et je n’ai rien à lui dire. »
Ces éléments sont importants pour le travailleur social, et pour la non-mère, si cela s’effectue avec tact, empathie, sans trop d’angoisse.
Dans la loi, on parle de « proposer un accompagnement », mais rien n’est dit et très peu est fait.
Il me semble qu’il devrait y avoir dans chaque département une petite équipe pluridisciplinaire qui devrait réfléchir à cet accueil et qui pourrait sans doute recevoir ces femmes avant même l’accouchement, quand cela est possible. De toute façon, si c’est une personne seule qui poursuit ce travail d’accueil, il faut qu’elle ait un lieu pour en parler, une instance qui lui permettrait de prendre du recul, comme cela se passe dans certains centres hospitaliers. À Paris, une structure appelée « Moïse » reçoit des femmes qui sont accompagnées dans leur désir ou pas de laisser l’enfant à l’adoption.
L’important, c’est de laisser parler la personne, lui dire que la narration de sa souffrance peut être entendue, ainsi que son impossibilité à être mère… Être simplement humain en pensant que nous pourrions être en présence d’une sœur ou d’une amie.
Il me semble qu’il aurait été plus judicieux, et plus conforme à la réalité, de dire dans l’article 2 : « Toute femme qui demande […] est informée des conséquences juridiques de cette demande et de l’intérêt (et non l’importance) pour toute personne de connaître son histoire de naissance. »
Cela laisserait tout le monde plus libre.

 

Accès au dossier, recherche des origines

L’accès au dossier est la possibilité offerte pour tout adulte et tout enfant accompagné de son parent ou tuteur de voir son dossier administratif. C’est une démarche souvent difficile, et jamais neutre. Elle dépend de beaucoup de circonstances. Certaines jeunes femmes adoptées dans leur enfance ont eu le désir de chercher leur mère à l’occasion de leur premier enfant. Pour un enfant, cela peut être à l’occasion de l’arrivée d’un second enfant, qu’il soit biologique ou pas ; là aussi, les motivations sont diverses.
Un garçon de onze ans, adopté au Brésil et dont les parents ont eu après lui un enfant biologique, vient en consultation ; ceux-ci s’inquiètent de son comportement et de son désir impérieux de repartir au Brésil ; en consultation, il me dit : « Mes parents m’ont menti ; je ne les croirai plus parce qu’ils m’ont dit qu’ils étaient allés me chercher parce qu’ils ne pouvaient pas avoir d’enfant, et je voudrais aller dans mon pays pour savoir ce qu’ils ont dit là-bas et comment ils m’ont adopté. »
Cela pour signifier que la recherche et le désir des origines doivent être entendus dans la relation actuelle avec les parents.
Dans cet accueil, il y a toujours un accueilli et un accueillant, et les deux protagonistes sont importants.
Nous pensons qu’il est indispensable qu’un accompagnement de qualité soit proposé pour l’accès au dossier, aussi bien pour l’enfant que pour les parents, car, sans cela, nous pouvons être maltraitants pour l’enfant et sa famille. Pour l’instant, cela se déroule au gré de bonnes volontés de chacun, ou selon le militantisme de certaines associations, qui paraissent prendre peu de précautions et ne pas respecter l’intimité de chacun.
Pour les enfants adoptés en France, certains services des Conseils généraux ont mis en place des structures compétentes pour accueillir enfants et adultes à la recherche de leurs origines, mais beaucoup reste à faire.
La transparence, l’accès au dossier, peuvent être parfois un obstacle à la parentalité.
R. Neuberger, psychiatre, pense que dans certaines familles adoptives, quand les choses se passent mal, parfois ces familles sont prises de manière excessive dans l’idéologie de la vérité. Ces familles pensent tellement qu’il est important que l’enfant soit dans la vérité de sa filiation et de sa culture qu’il l’élève comme un enfant ne leur appartenant pas ; elles fonctionnent comme des familles d’accueil : « L’idéologie de la vérité prend le pas sur la greffe mythique ! »
Pour les enfants étrangers, qui sont de plus en plus nombreux, des associations agréées font généralement le lien entre le pays étranger d’où viennent les enfants et les parents concernés.
Les futurs parents, à la suite d’une longue attente, se forgent une représentation d’enfant s’accordant avec les espoirs qu’ils ont nourris depuis des années. À travers leurs recherches au sein d’associations, ils vont commencer à démystifier l’enfant, et l’enfant de rêve va prendre plus de réalité.
Les professionnels de l’enfance sont les véritables médiateurs indispensables entre le passé et le présent. Ils transmettent des renseignements sur son origine, son ethnie, son histoire, les raisons qui l’ont rendu adoptable, les conditions de vie dans les premiers mois. Tout cela en ayant le souci que ces éléments aideront parents et enfants à construire des liens d’appartenance, à mieux se connaître et se comprendre, mais non pas des éléments qui figent l’enfant dans un statut (enfant difficile, meneur…).
Un problème souvent délicat dans certains pays étrangers concerne les dossiers qui sont directement donnés aux parents. Comment des parents peuvent-ils recevoir, aimer et élever un enfant sans appréhension avec la disponibilité affective souhaitable, quand le dossier décrit la mère de naissance, débile, prostituée, et ayant maltraité l’enfant jusqu’à son départ à l’orphelinat ? Des parents nous ont posé la question : « Quand devrons-nous dire cela à notre fille ? » C’était pour l’instant une adorable petite fille de vingt mois, qu’ils avaient chez eux depuis trois mois…
En effet, même si un travail de médiation et de transmission est maintenu au moment de l’adoption, nous pensons que la remise des dossiers aux parents est un problème délicat. Il est difficile de prévoir comment ce dossier pourra ou non faire écran entre les parents et l’enfant à un moment donné de leur histoire.
En consultation, nous avons rencontré des parents avec leur enfant en crise normale d’adolescence. Ils pensaient, sans aucune élaboration possible, que ce garçon ne réalisait que la prédiction du dossier.
Ces questions devront être réfléchies et élaborées dans la rencontre avec les divers organismes agréés pour l’adoption.
La nouvelle loi sur l’adoption qui doit faciliter l’adoption pour un certain nombre de couples qui entreprennent des démarches à l’étranger par la création d’une « agence nationale de l’adoption » devrait se pencher sur ce problème.
Si cette recherche des origines est normale et non pathologique en soi, il ne faut pas non plus que les enfants adoptés se sentent persécutés par leur environnement pour aller à la recherche de leur origine ; la médiatisation de ces phénomènes en est souvent responsable… On entend des parents s’inquiéter que leurs enfants n’aient pas ce désir de retrouver leurs origines. Toute anticipation par les parents adoptifs de cette recherche peut être vécue comme un rejet partiel.
En définitive, la quête des origines, le re­tour sur son histoire, sera essentiellement pour l’enfant adopté un travail psychique, que chacun aura à mener pour son propre compte.
Ce travail psychique, ce travail d’élaboration, devra être fait également par tous les protagonistes de l’adoption et de l’accueil à la recherche des origines. Les parents, dans l’intimité de leur être, auront à dépasser les entraves à la fonction parentale, sans pour autant vouloir être des parents parfaits, mais seulement des parents ordinaires.
Pour nous tous, intervenants de l’adoption, médiateurs ou simplement concernés par l’enfance, nous avons à élaborer un travail autour de notre « représentation d’enfant », notre rapport aux « images parentales », et notre position au regard de l’abandon, et à la connaissance de nous-mêmes.

 

Quelques points de réflexion pour conclure

Même si elle a des imperfections, il faut penser que cette loi de janvier 2002 peut nous permettre de mieux prendre en compte les besoins des enfants, des femmes qui ne désirent pas être mère, et tous les adultes en recherche.
Il faut être vigilant à ne pas être maltraitant dans ce que nous disons : cela aussi bien avec les mères ne désirant pas leur enfant que les enfants dans leur recherche, ou avec les adultes en quête de leur histoire d’enfance, et également avec les parents adoptifs.
L’accès au dossier n’a pas une valeur thérapeutique en soi, même si beaucoup de personnes le vivent comme une libération, un bien-être…
Il faut savoir que la recherche de la fonction maternelle dépasse de beaucoup la recherche d’une mère réelle. Les enfants n’ont pas besoin d’une mère, mais d’une fonction maternelle adéquate.
Et si l’accouchement anonyme est supprimé (on pourra toujours préserver l’identité de la mère lors de la naissance), cela montrera à notre société, et à nous tous, qu’abandonner n’est pas une honte ou une faute, pour se sentir obligé de cacher son identité ; il y a tout un travail psychologique à réaliser pour être parent. La naissance d’un enfant ne crée pas à elle seule l’identité parentale.
Et pour les enfants, surtout, cela leur montrera que les difficultés inhérentes au développement et à la condition humaine ne proviennent pas de l’ignorance de leurs gé­niteurs. Il sera signifié ainsi à l’enfant que ses angoisses, ses conflits, ses désirs, ne relèvent pas uniquement de son histoire de naissance, mais qu’elle se situe dans son histoire personnelle et dans son vécu avec son entourage. Le travail psychique qu’il aura à faire est un travail intérieur de représentation, et il ne sera pas résolu par une identité qu’on lui aura donnée dans un dossier.
S’il y a « arbre de vie », comme le dit S. Lebovici, « c’est dans une trajectoire existentielle individuelle que l’enfant pourra intégrer son passé et vivre son présent » (Golse B., 1988).
Chacun trouvera sa vérité personnelle. ■

Pour citer cet article

Peille Françoise  ‘‘Le secret et la recherche des origines‘‘
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