Les rouages de la mécanique terroriste

Le Journal des psychologues n°257

Dossier : journal des psychologues n°257

Extrait du dossier : Psychologie du terrorisme
Date de parution : Mai 2008
Rubrique dans le JDP : Dossier
Nombre de mots : 4400

Présentation

Le terrorisme, communauté criminelle organisée, s’infiltre insidieusement dans chaque maillon de la chaîne sociale. L’idéologie défendue par le groupe cimente le besoin de reconnaissance et d’utilité sociale. Dans une quête identitaire, ce dernier va se propulser vers des cibles qui marqueront les esprits d’effroi, de sang, de mort, dans une dimension prenant des allures spectaculaires.

Détail de l'article

Le terrorisme, considéré comme une force illégitime et cruelle, est un mécanisme ancré dans nos sociétés modernes, s’imposant comme un moyen stratégique, brutal, voire radical, de communication. Assimilable à une dynamique relevant de la rhétorique, il permet de convaincre, de revendiquer, de témoigner avec véhémence d’une idéologie. Cette arme de l’esprit permet donc, par son caractère menaçant et multiforme, de contraindre les individus dans un mode d’action limité. L’acte terroriste vise à un effet de sens, celui de transmettre un message symbolique : de révolte, d’encouragement, de prédication, de provocation, d’humiliation... Comprendre le terrorisme se définit donc par la prise en compte d’une cohésion groupale agissant sur une scène sociale via divers outils, tant psychologiques que matériels.

 

Étude de la structure interne du phénomène terroriste
Une recherche identitaire
La création même d’une organisation structurale dépend, en premier lieu, de l’influence exercée sur ses membres. L’individu consent-il à adhérer au groupe extrémiste par conviction personnelle, ou, a contrario, y est-il enrôlé malgré lui ? Cette problématique du recrutement met également en lumière la notion de pression conformiste dans laquelle se noie l’identité sociale, ainsi que toute forme de spécificité individuelle. En effet, de nombreux exemples affluent dans ce sens, exhortant ainsi à considérer l’entreprise terroriste comme une machine à formater, standardiser, voire contraindre, les esprits dans un mode de fonctionnement linéaire. Ces manipulations psychologiques sont destinées, pour la plupart, à de jeunes gens faisant preuve d’une grande malléabilité intellectuelle, voire d’une certaine naïveté juvénile. Cette jeunesse, synonyme d’avenir, constituerait donc la clé de voûte d’une forme de perpétuation des traditions terroristes. En outre, il s’agit alors d’opérer à un recrutement rigoureux et implicite, via des techniques capables d’échapper au contrôle de la société ou des autorités. En effet, une nouvelle ­communauté virtuelle prend progressivement essor au travers des outils Internet, par lesquels peut se réaliser un recrutement discret, à l’abri de toute supervision parentale. Ce terrain fictif, siège du partage d’informations, constituerait donc une interface idéale de communication et de ­propagande entre les groupes extrémistes et leurs futures recrues, facilitant donc les ­interactions.
Par ailleurs, hormis un recrutement ciblé des populations jeunes et innocentes, le terrorisme vise d’emblée à la soumission par la contrainte : il ne s’impose plus comme une option, mais bel et bien comme une finalité. L’exemple de certaines prisons en Irak, devenues de réelles écoles terroristes, illustre nettement ce phénomène : les détenus, sujets à des pressions extérieures perpétuelles, n’ont alors pour choix que celui d’obéir et d’accepter d’œuvrer dans le sens d’un activisme terroriste.
Par conséquent, il est indéniable de constater la présence d’une pression conformiste tendant à happer dans son sillage les esprits les plus faibles, sans malgré tout négliger l’existence d’une forme de déterminisme basée sur le volontariat.
Le terrorisme, en dehors d’un témoignage sanglant à caractère revendicatif, se présente comme une cellule structurée au sein de laquelle chaque membre opère à une reconnaissance de son propre statut, d’une part, et rend compte de l’unicité du groupe, d’autre part. Cette communauté criminelle renforce, par la cohésion dont elle fait preuve, le sentiment d’existence et d’appartenance. Au-delà des intentions politico-religieuses dont il est animé, le terrorisme est en premier lieu un édifice social construit sur des frustrations communes à plusieurs individus. Leur soif de reconnaissance constitue le ciment de leur union, supplanté par un but ultime et absolu : l’idéologie. Ainsi, ce n’est que dans un triptyque alliant injustice, frustration et inégalité, que prendra forme la première des démarches terroristes : en l’absence de ces notions fondamentales, l’affront mené contre la société n’aurait nulle raison d’être.

 

La quête d’une utopie
En dehors de toute vulgarisation de sa signification, le terrorisme revêt des aspects bien plus complexes que la simple évocation d’un fanatisme inébranlable. La pluralité de ses formes en constitue notamment sa force majeure. ­Cependant, au fondement de ce conservatisme demeure un sentiment inconditionnel, véritable moteur motivationnel : le besoin de justice. Constitutif de l’essence même de l’homme, ce sentiment peut conduire parfois à des attitudes irrationnelles, démesurées. De cette révolte naît un soulèvement, une flamme de protestation attisée par un sentiment d’iniquité, favorisant le rassemblement dans le partage d’un sort commun. B. Hoffman n’hésitera pas à qualifier cet engagement dans le terrorisme de « fondamentalement altruiste : il croit qu’il sert une cause juste » (2001, p. 53). Ce processus de victimisation permettra donc d’ériger la première amorce d’un mouvement allant crescendo : la création du groupe fanatique s’effectue dans une ambiance d’hostilité et de véhémence, dans laquelle s’esquisse très rapidement une forme de radicalisation des opinions : il ne s’agira plus alors de défendre ou de faire entendre justice, mais d’exercer avec virulence une menace, une vengeance.
De plus, l’idéologie de référence du groupe indépendantiste constituera alors le noyau central autour duquel vont graviter tous les comportements et mécanismes. La croyance des membres permettra donc de colmater les failles de l’esprit afin d’obscurcir le sens critique propre à chaque individu. En étroite résonance avec les principes religieux, le terrorisme use des mêmes principes : il requiert un engagement physique et spirituel, un dévouement visant à honorer, servir et défendre une parole sacralisée, toute-puissante. L’assujettissement à une cause inconditionnelle formera le leitmotiv des actions groupales, glissant jusqu’à un idéalisme passionné, abîme dans lequel chacun se jettera corps et âme. Ainsi, au demeurant de cette inspiration religieuse prédomine la croyance en une vérité universelle, ne pouvant être contestée, ou coûtant le prix de lourds sacrifices.
D’autre part, l’existence d’une dimension morale du terrorisme, dans sa forme la plus intellectualisée, permet de mettre en lumière le besoin de connaissance, propre à l’homme. En effet, l’investissement presque pathologique dans un tel fanatisme traduit une intentionnalité quasi obsessionnelle, visant à l’obtention d’une vérité universelle. Le terrorisme, par la dimension communautaire qu’il occupe, apparaît donc comme un remède à l’ignorance humaine. Cette dynamique consiste en une opération de survie de l’esprit, à travers laquelle une solidarité face à ­l’inconnu se forge. Calqué sur le fonctionnement des sectes, le groupe terroriste entend une affirmation de son identité par la revendication d’actions percutantes, mais également par l’exhibition de signes ostentatoires, distinctifs, symbolisme marquant au fer rouge l’appartenance à une unité. Les spécificités individuelles se voient alors balayées par un vent hégémonique : la réflexion est bannie au profit d’une automatisation de l’action allant parfois jusqu’à la robotisation.

 

Un conditionnement au sectarisme
Le terrorisme ne peut être traité sans évoquer les dérives sectaires qui lui sont propres. Effectivement, il est au départ un dogme de l’absolutisme, véhiculant l’utopie d’un accès au pouvoir totalitaire par l’acceptation du sacrifice humain, tant physique que spirituel. La promesse d’un devenir plus exaltant, glorifiant, est un argument capable de maintenir les adeptes dans une parfaite fascination, allant bien souvent jusqu’à l’addiction. Le champ de la conviction recouvre alors la globalité du psychisme et des affects, offrant même un certain confort de l’esprit. De cette séduction perverse émane une véritable dialectique autour de laquelle s’articulent la désacralisation de certains tabous sociaux, tels que la mort, la violence, la haine, la torture… Un apprentissage de la démesure s’effectue alors, premiers préceptes d’un mouvement fanatique : la tempérance s’évanouit au profit d’une course vers l’excès, l’insensé, le déraisonnable.
Le renforcement des conduites additives par l’expression d’actes violents démontre tout le poids de la menace qu’exerce le terrorisme. Son dispositif de communication consiste en des attentats spectaculaires, destinés à interpeller l’imagination, instaurant une peur ambiante, un sentiment d’insécurité. La notion de destruction, d’affrontement, se matérialise ainsi par une déconnexion des représentations et des affects, engendrant une ­banalisation de la violence. Par cette scission, la représentation agirait alors pour elle-même, de manière indépendante, sans aucune censure. Cette dernière constituerait le matériel nécessaire capable d’aveugler l’individu dans sa quête de l’idéal. Dès lors, par cette fonction agissante de la représentation, ce dernier concèdera à tout sacrifice capable de maintenir l’illusion de cette image mentale.
L’évocation d’une violence, devenue monnaie courante, coïncide précisément avec un phénomène de banalisation de la mort. La barbarie ne s’exerce donc pas de manière unilatérale : les victimes se placent du côté de la société, mais également au sein même de la structure terroriste. Les attentats-suicides illustrent cette double peine, dans laquelle un sacrifice humain volontaire va provoquer la mort de personnes innocentes. Cet abandon de soi au profit d’un but supraordonné constitue le modèle de transitivité entre l’insignifiance de l’être et la suprématie idéologique. À travers cette perspective du sacré, la mort est perçue comme un don servant une noble cause, et honorant le défunt. Cette dimension mystifiante souligne le caractère magico-religieux du terrorisme, qui se veut être, au-delà d’un groupe revendicatif, une communauté discrétionnaire, autocratique, manipulant aisément des techniques psychologiques, des stratégies d’enrôlement et de communication. Ainsi, sous les traits de la manifestation terroriste se dessine une réelle stratégie de persuasion : ce n’est pas une théorie de l’urgence et du dernier recours, comme semble le croire l’opinion publique. Une implication de ces réseaux extrémistes, alliée à des techniques d’affrontements psychologiques, fait de son fonctionnement une arme redoutable. Cependant, cette question de la menace et de l’influence soulève un jeu d’interrogations, révélant notamment un problème bien plus épineux que sont la responsabilité et l’implication de la société dans l’émergence de ces crimes contre l’humanité.

 

L’analyse du terrorisme d’un point de vue externe
Le message terroriste
Le message terroriste est avant tout adressé à l’opinion publique. C’est un message écrit avec le sang des victimes. Le terrorisme cherche à frapper les esprits dans le dessein de les manipuler. Le ­symbolique occupe une place primordiale dans les actes terroristes, qui reposent essentiellement sur une technologie de l’imaginaire. Les cibles, les lieux, les moments, les moyens, les victimes… tout est calculé avec minutie, chaque attentat est pensé, réglé, tout doit être préparé et chronométré pour obtenir l’effet escompté.
Les cibles ont une visée symbolique, prenons l’exemple des Twin Towers qui ont été détruites lors de l’attentat du 11 septembre 2001. Elles représentaient toute la puissance américaine, son hégémonie ; leur effondrement a remis en cause l’« invincibilité » des États-Unis, le doute s’est instauré dans chaque nation et un climat d’insécurité est venu remplacer le sentiment de confiance qui y régnait. Rappelons également le piratage par les Palestiniens du FPLP, le 22 juillet 1968, d’un avion israélien : ils n’ont fait que montrer la valeur symbolique de leur action en prenant pour cible un emblème de leur ennemi déclaré. Entre autres, les armes, les blessures infligées, sont également choisies précieusement. Il y a les armes anciennes (les mitraillettes, véhicules piégés, les prises d’otages, l’utilisation des armes blanches, les explosions, le piratage aérien…) et d’autres, plus récentes, comme les bombes humaines qui permettent de montrer à quel point les terroristes sont capables de se sacrifier pour une cause « religieuse ». Tout cela afin de susciter l’étonnement, l’incompréhension, l’horreur, de provoquer de bouleversants fantasmes, mais aussi la fascination du public : tout doit être de l’ordre du spectaculaire. Les armes nucléaires constituent une menace de destruction massive sur chaque État : le chantage reste l’atout principal des terroristes et indique toute ­l’hégémonie, la puissance psychologique qu’ils exercent, avec pour fondement l’absence de limite. De plus, avec les armes biologiques et chimiques (les gaz toxiques, les aérosols…), qui constituent une manière discrète et vicieuse d’infiltrer les états visés, le terrorisme découvre alors une nouvelle arme, peu coûteuse, se manipulant facilement ; les produits toxiques deviennent vite un moyen de pression et de peur sur une population craintive, élaborant donc un moyen de destruction imparable. En frappant n’importe qui, n’importe où, n’importe quand, les terroristes veulent donner l’illusion qu’ils tiennent tout le monde en leur pouvoir : tous ces moyens montrent la capacité des terroristes d’exercer un pouvoir psychologique sur l’imaginaire collectif. L’incapacité des autorités de les maîtriser augmente le sentiment grandissant de peur, la menace peut alors surgir à n’importe quel moment.
S’efforçant autant de produire un message que de commettre un ravage, le terrorisme utilise ses armes pour faire connaître plutôt que pour faire mourir : le message qui se trouve inscrit dans la chair même des victimes peut alors se révéler. Mobiliser l’attention du public sur leur existence est son but primordial : avoir accès à la scène sociale et politique, amener des peuples qui n’étaient pas concernés à « s’enrôler » dans ce système, à s’intéresser à leur cause. Le terrorisme cherche à éveiller l’intérêt, à se montrer, à propulser leurs actions sur le devant de la scène internationale. En ce sens, le piratage aérien et le détournement d’avions sont un moyen efficace. Le 22 juillet 1968 (voir plus haut), ils ont ainsi exposé le conflit entre Palestiniens et Israéliens aux yeux du monde entier. Leur stratégie consiste à lever le voile sur leurs actions, sur leurs causes. Comme l’explique Georges Habache, chef fondateur du FPLP dans une interview de 1970 : « Quand nous détournons un avion, le résultat est plus important que si nous tuions une centaine d’Israéliens au combat » (P. Mannoni, 2004, op. cit. p. 68). Le monde entier se sent alors concerné par ces événements spectaculaires. C’est une façon théâtrale de délivrer son message en frappant des cibles emblématiques ou représentatives. Toutes ces actions ont une visée stratégique. L’objectif est de toucher l’opinion publique. Quand les terroristes préparent un attentat, ce qu’ils recherchent avant tout n’est pas de dénombrer tant de morts, mais ce sont l’impact psychologique sur la population, l’influence exercée. Les stratégies sont fondées sur la mise en place d’un climat de peur, de menace et d’insécurité. L’identité des victimes importe peu, et c’est grâce à cette indifférenciation que chacun se sent concerné, comme victime. D’après P. Mannoni, dans les attentats, il y a les victimes « directes » (c’est-à-dire celles qui sont touchées directement par les attentats) qui servent au terrorisme pour atteindre l’opinion publique : victimes secondaires mais principales (2004, p. 119). Les morts, les blessés, ne sont que dérisoires, ils ne servent qu’à atteindre les esprits de chacun.
Le vrai terroriste cherche à intimider les autorités, impressionner le public, nous l’avons déjà vu, d’où cette remarque de Jules César : « Souvent, en général, le danger qu’on ne voit pas est celui qui bouleverse le plus. » (2004, op. cit. p. 61). Il va vouloir « faire boum » même s’il ne se montre pas, le but est de se mettre en scène. Le camouflage est une méthode stratégique « je me montre, puis je me cache », l’impact théâtral en sera d’autant plus fort, c’est ce qui permet d’entretenir l’intérêt, la peur, l’émotion au niveau de la tension. On a peur de ce qu’on ne voit pas. Les terroristes se cachent derrière des attentats. Les bombes sont une mise en scène, elles donnent à voir et à entendre. Cependant, il y a d’autres moyens, que nous avons évoqués plus haut, comme les armes biologiques et chimiques, qui permettent d’atteindre facilement et efficacement les États ; leur aspect invisible et insidieux n’enlève rien à leurs effets spectaculaires et est une manière astucieuse de montrer leur capacité de « s’infiltrer », tel un serpent, dans nos sociétés et ainsi entretenir, voire augmenter, la peur et l’angoisse. Le suicide est également de l’ordre du spectacle, il s’agit encore de se mettre en scène, de se montrer. La technique des bombes humaines est une des formes les plus brutales du terrorisme, elle englobe le terroriste et les victimes. Le terrorisme n’a rien de banal. Une fois encore, c’est un trait qui le sépare de la guerre, il ne saurait se contenter de faire beaucoup de morts : il doit produire beaucoup de bruit et de réactions.

 

La transmission des messages
Le terrorisme se bat pour transmettre son message pour, ainsi, étendre son pouvoir. Cependant, il a besoin d’un intermédiaire, d’un médiateur qui va diffuser l’information, c’est ainsi qu’entrent en jeu les médias. Ils vont transmettre les ­images sanglantes, tout ce qui est en mesure d’être filmé est montré et, vice versa, tout ce qui peut être montré est filmé. Les télévisions du monde entier vont permettre à ces groupes isolés de se faire connaître mondialement. Les journalistes du monde entier vont être à l’affût de la moindre information concernant les actes meurtriers, du moindre indice sanglant, et ainsi être les premiers sur le devant de la scène. Les gens ne vont alors plus parler que de cela, des débats télévisés vont être organisés, les journaux vont s’emparer de ce sujet qui passionne et terrorise littéralement l’opinion publique. La population entière est accaparée par les faits et gestes des terroristes.
Le terrorisme est d’abord une affaire de publicité et de marketing. Le spectacle de la terreur s’adapte aux moyens de communication dominants : presse à grand tirage, radio que l’on écoute au fin fond des campagnes, écran de télévision ou d’ordinateur. La violence est exposée. Les châtiments infligés aux condamnés, nous le verrons par la suite, sont là pour choquer les esprits, pour étaler l’éclat du pouvoir terroriste sur la place publique. Les Tribunaux de l’Inquisition utilisaient déjà cette méthode : montrer à tout le monde les tortures, les châtiments corporels des dissidents, c’était un véritable étalage de la violence dans toute sa splendeur. Puis, la mise au point de la première bombe par l’anarchiste allemand Most a mis en évidence les innovations de la ­pyrotechnie avec toujours cette même logique du spectaculaire. Les attentats qui sont préparés le sont en fonction de ce que vont en faire les médias. Il y a un rapport particulier entre terrorisme et médias, chacun souhaitant toucher la même cible, l’opinion publique. Tout se passe comme s’il y avait un contrat implicite entre eux : le terroriste fournit l’image, les médias fournissent l’impact. C’est bien grâce aux médias, aux journaux, à la télévision, que se joue le pouvoir terroriste. Ils permettent « d’agir sur les esprits et de provoquer des décisions politiques en faveur de leur cause » (Mannoni et Bonardi 2008, pp. 57-58). Le discours médiatique a une grande influence auprès du public. Les médias sont présents avant chaque attentat orchestré : l’un est déjà dans l’autre. Les médias permettent d’assurer à tout attentat une « onde de choc », et peuvent provoquer des distorsions dans la représentation que l’opinion publique peut avoir de l’événement. Leur rôle est très important.
Indirectement, le terrorisme tente de retourner les médias de l’adversaire contre lui. Il les utilise pour terroriser, mais aussi pour faire écho. Les médias ont pour vocation de diffuser des messages afin d’informer la population. Ils rendent service, ils exposent au monde entier les enjeux, et ce qu’il en est des faits. Cette communication de masse a commencé avec l’invention de l’imprimerie à vapeur en 1830, mais c’est surtout la télévision, en 1968, avec les satellites américains, qui a permis d’obtenir des informations mondiales, interactives, instantanées et immédiates, pour ainsi étendre l’ensemble de cette information à une audience internationale. Il y a une véritable avidité de la presse à transmettre. Bourdieu parlait de la violence symbolique de la télévision « avec la complicité tacite de ceux qui la subissent et aussi souvent de ceux qui l’exercent » (Mannoni et Bonardi, op. cit., p. 59). Le bon journaliste va rechercher la sensation et le spectaculaire et va jouer avec l’exagération. Les images jouent un rôle important, mais les mots vont venir construire les représentations sociales, qui façonnent notre manière de voir. En les manipulant, les médias tendent à imposer une vision assez restreinte des faits, tout en participant à l’élaboration et à la propagation de la terreur. Cependant, l’information destinée au public doit être traitée : il faut rendre l’information digne d’être rapportée, la rendre importante mais aussi acceptable, pour ne pas heurter les convictions de chacun. Chaque ­personne va ­assimiler, accepter l’information apportée par rapport à sa propre histoire, ses propres expériences, sa culture, son mode de pensée… Le moindre fait est alors traité, retravaillé, aggravé, exagéré, pour le rendre encore plus spectaculaire. La déformation, l’interprétation des éléments du réel par exagération de la menace, entretiennent et généralisent ce climat de peur et d’angoisse. La communication, nous l’avons dit, est un moyen de persuasion extrêmement important. Elle influence nos opinions, notre manière de penser. L’art de l’élocution consiste à faire croire au public ce qu’on veut bien lui faire croire, le discours permet d’exercer un contrôle sur le psychisme de l’opinion publique. Et si les mots ne sont pas suffisants, si certains résistent au pouvoir de la communication médiatique, les images se chargent de « finir le travail », elles s’appuient sur l’imaginaire de l’individu et constituent une preuve prétendument incontestable. En somme, on peut ­avancer l’idée que les armes médiatiques s’appuient sur l’élocution et le visuel, et permettraient de manipuler le public… mais les médias seraient, eux, manipulés par les auteurs des événements terro­ristes, et ce serait alors le public qui donnerait un sens définitif au message. Les médias relaient l’information, mais ne font pas que transmettre ; ils cautionnent les revendications des terroristes et créent ainsi un « modèle social » (Mannoni, 2004, p. 172), une représentation que tout le groupe social va s’approprier et à laquelle il va adhérer. Les médias participent au climat de terreur voulu et commandé par le terrorisme.
Cependant « posséder » les médias ne garantit aucune maîtrise sur les grilles de lecture que leur opposent les destinataires. Le terrorisme a ses médias et il est un média.

 

L’impact psychologique
Selon une phrase célèbre de Raymond Aron : « Le terrorisme ne veut pas que beaucoup de gens meurent, il veut que beaucoup de gens sachent. » (2007.) Il le caractérisait par la recherche d’un impact psychologique supérieur à son impact militaire.
Les images sont véhiculées par les médias, et pour montrer tout le spectacle de l’horreur. Le message terroriste est un message écrit avec des plaies, du sang, des larmes, des souffrances. Pour instaurer la peur et la terreur, les terroristes doivent recourir à des moyens sanglants afin de souligner les effets théâtraux. Le terrorisme donne à voir pour être vu. Il faut choquer, il leur faut instaurer cette atmosphère de menace, de pression, d’insécurité et, pour cela, le terrorisme est prêt à tout, il n’a aucune limite. Être dans l’extrême, c’est ce qui le caractérise le mieux. Le sang est une arme redoutable, la symbolique de la mort y est représentée, la couleur rouge est chargée d’une affectivité émotionnelle importante et s’appuie, une fois de plus, sur l’imaginaire. Chaque message rapporté par les journalistes renforce la peur et la terreur, la menace pèse sur notre quotidien. Égorger, mutiler, étrangler, décapiter, castrer, découper, violer femmes et enfants… c’est le paroxysme de l’horreur. Une mort spectaculaire compte davantage qu’une mort, un message sur fond de bombe est mieux entendu. Seules les images sanguinaires et violentes transmises par la presse ont une emprise psychologique sur la population. Il est nécessaire de tuer, mais encore plus de lacérer le cadavre pour que le message apparaisse. Le viol, l’éventration, la ­castration, marquent la victime d’un sceau indélébile et abominable. Les terroristes cherchent à bouleverser l’imaginaire. L’esprit humain s’émeut naturellement de la mort et de tout ce qui s’y rapporte, c’est bien pour cela que le terrorisme s’en empare ! La mort, véhiculée par l’attentat, devient une véritable scène de théâtre, et la mort devient alors, à travers l’évocation des coups, du sang, des plaies béantes, des corps déchiquetés, non plus inquiétante mais terrifiante. Tuer oui, mais de quelle manière ? Tout est dans la façon de sacrifier leurs victimes, c’est ce qui va susciter l’horreur, l’indignation, l’écœurement mais surtout la terreur. Il faut que les meurtres et leur mise en scène soient de l’ordre du spectacle pour marquer. Les scénarios sanglants doivent créer une désorganisation émotionnelle. Le terrorisme est contre l’ordre, la sécurité, la morale, ce qu’il recherche, c’est le bouleversement de nos sociétés, un ébranlement profond, une désorganisation. Exacerber la peur par la vision de l’horreur ou obtenir une réception de son message plus forte que sa représentativité politique. Les images ­sanglantes ont un pouvoir d’influence significatif, elles représentent un instrument fondamental pour les médias et pour les terroristes, elles contribuent intensément au pouvoir terroriste.
La terreur collective va tendre à véhiculer un sentiment d’insécurité : effectivement, une pression s’exerce sur chaque individu, créée par la vie en société, le stress, l’émotivité, allant jusqu’à amplifier les images, les discours, liés à un sentiment communautaire fort. Ainsi, une véritable prédisposition à la peur et à la menace est établie, inquiétudes poussées à l’extrême via la présence de facteurs externes. Les effets médiatiques ont une dimension paranoïaque. Chacun finit par s’identifier aux victimes tombées sous le sifflement des balles ou des bombardements. Cette menace d’attentats va venir dicter nos faits et gestes. Une autocensure va s’exercer par crainte d’être victime d’attentats. La menace du détournement des ­avions, par exemple, va dissuader certaines ­personnes d’utiliser les transports aériens. Les répercussions sont énormes, la peur contrôle nos actes les plus banals. Le terrorisme distille en nous un danger perçu, réel ou imaginaire.
Il y a donc instauration d’un climat d’angoisse qui va entraver nos libertés de mouvements. La menace qui pèse sur nos sociétés conduit les États à déployer des mesures de sécurité. Cependant, trop de restrictions incitent la population à limiter ses déplacements. Les plans Vigipirate ne sont pas là pour nous rassurer, ils sont contraignants, nous impressionnent, instaurent un climat d’insécurité, de pression. Le terrorisme a des répercussions jusque dans nos vies individuelle et sociale.

 

Conclusion
Le terrorisme se comprend donc à travers l’interaction de deux structures complémentaires : un noyau central régi par des règles, des croyances, des idéologies groupales, influant sur une structure externe, c’est-à-dire la société. Il semble ainsi indéniable d’affirmer que le terrorisme n’existe que par la valeur que le social lui accorde : la dénomination de ce phénomène lui permet d’être connu et reconnu dans la pluralité de ses formes. Par conséquent, nos attitudes et comportements n’induisent-ils pas implicitement ce type de conduite extrémiste ? Faut-il considérer isolément cet aspect et en attribuer les prémices à une folie de ­l’esprit ? ■

Pour citer cet article

Ilpidi Audrey, Reynaud-Fourton Perle  ‘‘Les rouages de la mécanique terroriste‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/les-rouages-de-la-mecanique-terroriste

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