Quelle place accorder à la question des origines dans le cadre de l’adoption ?

Le Journal des psychologues n°239

Dossier : journal des psychologues n°239

Extrait du dossier : L’originaire au cœur de l’adoption
Date de parution : Juillet - Août 2006
Rubrique dans le JDP : Dossier
Nombre de mots : 3500

Auteur(s) : Gore Claire

Présentation

En illustrant son propos par une situation clinique, l’auteur montre que la place donnée à la problématique des origines est relative et chaque fois singulière. Malgré la médiatisation qui peut en être faite, en réalité, la recherche des origines n’est pas un besoin inné lié à l’adoption.

Mots Clés

Détail de l'article

Préambule

Il y a une trentaine d’années, l’adoption n’était pas toujours révélée à l’enfant. Les adoptants pensaient qu’il fallait « l’âge de comprendre ». De nombreux enfants ont ainsi appris tardivement la complexité de leur histoire et la réalité de leur statut, ce qui procurait un effet traumatique, d’autant plus perturbant que cette révélation pouvait intervenir dans un moment de crise. L’événement heureux devenait malheureux, le temps d’intégrer une telle information. L’enfant se sentait exclu et trompé. Il est probable que ces comportements interrogeaient alors violemment les origines comme peut le ressentir aujourd’hui l’enfant privé d’accès à des éléments basiques de son histoire, voire l’identité des parents de naissance.
Aujourd’hui, l’adoption étant mieux développée et les expériences des enfants ainsi malmenés mieux connues, nous avons pu rétablir et permettre une certaine harmonie entre deux actes mieux exprimés : celui de remettre un enfant en adoption et celui de prendre un enfant en protection sous cette forme. Il reste cependant des séquelles de ces pratiques dans la mesure où, par exemple, en séance plénière l’acte de naissance de l’enfant adopté est encore revêtu de la mention « nés des parents adoptifs », ce qui est surprenant puisque, désormais, les origines de l’enfant sont parlées et connues « dès la renaissance » de celui-ci (renaissance sur le plan psychique et non biologique). Il reste aussi des séquelles dans le maintien du secret possible de l’identité de la mère. La plupart des pays européens ne connaissent pas cela puisque l’accouchement lui-même permet la désignation ou la présomption, c’est-à-dire que la mère est obligatoirement désignée alors qu’en France, il faut qu’elle reconnaisse préalablement l’enfant au plan juridique.
Voyons donc quelle place, dans un tel contexte, nous accordons à la question des origines.

 

Le droit de connaître ses origines

Récemment, au cours de l’année 2004-2005, la question des origines a été reconnue comme un sujet préoccupant, ce qui a permis de parler des enfants adoptés sous cet angle. Beaucoup d’adultes, la plupart nés sous X, éprouvent une extrême détresse devant l’interdit qui leur est imposé et, dès leur majorité, veulent faire aboutir leurs recherches. Ainsi a-t-on pu évaluer ces demandes à quatre cent mille dans le courant de l’année 2005. Du côté des parents concernés, il y aurait, en fait, beaucoup plus de mères déclinant leur identité à l’état civil ou dans le dossier de l’enfant, ce qui relativise la question tout en n’excluant pas la gravité du sujet quant à la difficulté de prendre en compte l’intérêt de l’enfant face à celui de l’adulte, ou plus précisément faciliter l’accès de l’enfant à la réalité de son histoire.
Nous savons que le CNAOP, créé en 2002, a dû traiter 1 449 demandes et aboutir aux résultats suivants : 48 % ont accepté de laisser leur identité, les recherches n’ont pas abouti pour 38 % des cas, les mères n’ayant pu être localisées, 15 % des mères ont refusé de communiquer leur identité (1).
Ainsi, les enfants adoptés par la voie « sous X » voient mieux reconnu leur besoin d’accès aux origines. L’identité de leur mère sera tenue « sous pli secret » et susceptible d’être levée par l’adopté ou l’adoptant sous certaines conditions et avec la médiation de professionnels.
Il nous est souvent proposé des témoignages audiovisuels sur les démarches de ces jeunes adultes adoptés qui cherchent un contact, voire à créer des liens avec les parents de naissance. Ces témoignages sont souvent pleins d’émotions et de rêves autour de la notion de « rattraper le temps perdu ». Beaucoup d’aspects liés à cette question sont alors malheureusement écartés : comment cela s’articule-t-il avec leur histoire et celle des adoptants ? Comment de telles retrouvailles évoluent-elles dans l’avenir ? Quelles sont les conséquences à long terme sur l’adoption, etc. ? Là aussi, les études longitudinales manquent cruellement. Le fait de retrouver un visage, des paroles, voire un contact, ne peut qu’être soutenu si cela doit renforcer un élan de vie ou donner plus de sens à sa propre adoption. Mais, si cette recherche est faite dans un contexte de crise, de rejet de soi-même ou de la famille adoptante, il y a lieu de craindre les conséquences.
Beaucoup d’émissions télévisées présentent l’adoption sous la forme d’adultes à la recherche de leurs origines. Malheureusement, les cas révélés habituellement sont souvent réduits à l’émotion que produit une telle rencontre et surtout détachés de leur contexte de vie. Nous assistons à une partie de l’enquête et l’histoire s’arrête à la rencontre. Il m’est arrivé tout de même de pouvoir suivre et comprendre un parcours de recherche, celui de « Nathalie, trente-quatre ans » dont l’histoire avait capté mon attention, parce qu’elle était retranscrite en lien avec la famille adoptive et avec sa propre histoire : cette jeune femme expliquait sa démarche à sa mère adoptive. Elle avait lu dans le passé une lettre de sa mère de naissance, conservée par la mère adoptive. Dans cette lettre, la mère d’origine se préoccupait de savoir si ses enfants biologiques étaient heureux. Elle savait qu’elle avait deux frères jumeaux. Elle a commencé à les rechercher avec l’aide de son mari. La mère adoptive, qui a spontanément fait preuve d’empathie, exprime « qu’elle les aurait aussi aimés si elle les avait connus ». L’une et l’autre se sont rassurées sur le fait que cette recherche n’allait pas altérer leur propre relation.
Ainsi, un bon nombre d’éléments, liés à son parcours de vie, permettait de discerner la démarche de cette jeune femme dont l’abandon a été effectivement réinterrogé à un moment précis de son histoire. Elle ira au bout de sa recherche, mais, lorsque ses frères et sa mère seront retrouvés et la communication établie, elle affirmera bien : « Ma famille, c’est celle qui m’a construite, qui m’a aimée au quotidien, c’est la vraie. »

 

Le droit de ne pas connaître ses origines

Fanny Cohen Herlem soulignait qu’il existait une différence entre la demande et la concrétisation de la démarche. Parmi un bon nombre d’adultes qu’elle a pu interroger, il ressort parfois que le seul fait de pouvoir retrouver ou connaître le nom de leur mère de naissance peut suffire. Certains n’éprouvent pas alors le désir d’aller plus loin. Beaucoup d’adoptés ressentiraient cette recherche comme nocive, ou simplement inutile par rapport à leur vie d’adultes. Ils sont peu nombreux à s’exprimer, mais il est important de les entendre. Voici un témoignage qui m’a été confié, celui de François Perrone, âgé aujourd’hui d’une cinquantaine d’années. Ce témoignage laisse bien poindre toute la dimension de l’ambivalence et de la non-nécessité de remonter le temps, même lorsqu’on a été adopté. Le récit de son histoire permet également de comprendre sa position face à ce qu’il en est de la recherche des origines pour cet homme.
« Vivre en enfant adopté ou non, c’est vivre tout court, au sein d’une famille. Je pense qu’il est important de rendre sa place à l’aspect positif de cette situation.
Nous allons suivre ce parcours en sachant que je ne détiens pas la vérité, mais une vérité, la mienne. J’espère qu’elle sera partagée. C’est une nouvelle fois un hommage rendu à tous ces parents adoptifs qui ont réussi leur vie. C’est un regard sur les parents, sur la famille. Vous trouverez parfois une certaine exagération dans mes propos. Pourtant, il n’est question que de vrai, de vécu.
Nous allons ensemble parcourir ce chemin, avec un regard sur l’acte proprement dit de l’adoption, sur l’enfance, l’adolescence et la vie d’adulte d’un enfant adopté.

L’adoption est-elle limitée dans le temps ? Elle commence avant la naissance de l’adopté et se termine au décès de l’enfant adopté, donc au-delà de la vie des parents adoptifs. Vous voyez donc bien que l’adoption n’est pas limitée à l’acte lui-même, et qu’il s’agit bien de toute une vie.
Alors voici l’histoire, elle commence en 1916. Un tout petit garçon de cinq ans perd son père pendant la guerre de 1914-1918, dans l’enfer de la Somme. Ça a été terrible pour lui. Et cet enfant, marqué à tout jamais par l’absence d’un père, va transformer sa vie. Il n’aura de cesse de combler ce manque et d’avoir le désir d’être père et d’assurer cette fonction. Un autre enfant, une fillette de douze ans, perd également son père dans les mêmes conditions. Sa réaction a été identique. Aussi, lorsqu’ils se rencontrent et unissent leur vie, c’est pour fonder une famille, une vraie famille, pas celle qu’ils ont connue. Mais, pourtant, cela commence vraiment mal, ils ne peuvent pas avoir d’enfant. Et, devant cette impossibilité, ils se tournent vers l’adoption. Cette notion de famille, c’est-à-dire “père, mère, enfant”, va prendre tout son sens. Le couple se réalisera dans la famille, à trois. La naissance est belle, la naissance de l’adoption est encore plus belle. Pour eux, j’étais une source de joie, et ils vont le dire, le montrer, le vivre. Ce bonheur est ressenti dès le tout jeune âge, que l’on soit adopté ou non ; mais il est d’autant plus ressenti lorsque l’on est adopté. D’où la nécessité de permettre l’adoption dès le tout jeune âge. D’où la nécessité de permettre aux parents adoptifs de passer le cap de l’adoption en douceur. Il y a cinquante ans, les démarches étaient peut-être plus faciles, et cela pouvait bien arranger les choses, surtout pour l’enfant.
Après l’acte de l’adoption proprement dit, il y a l’information. Chacun le vit différemment, il y a mille manières d’annoncer l’adoption. Mais je pense que cela doit se faire dès que possible. Cela permet de se dire : “On ne m’a rien caché.” D’autres adoptés m’ont parlé d’une notion de cachotterie et recherchaient une source de protection. Pour ma part, cachotterie non, source de protection oui, comme je le pense pour tout enfant.

J’ai gardé en souvenir l’instant de cette communication ; l’importance du lieu choisi a pris une réelle signification pour moi. Je n’oublierai jamais ce moment. Je revis encore l’instant à l’âge de cinq ans où ma mère est venue me prendre par la main, en me disant qu’ils avaient quelque chose d’important à me dire. Et c’est avec des mots pleins d’amour qu’ils m’ont raconté leur histoire, la mienne, c’est devenu... notre histoire.
C’était très émouvant, dans un climat de plénitude, avec chaque fois un sourire, une tendresse, qui donnent là encore un sens à la démarche ; je vous assure que ce moment, on le retient. Il ne faut pas cependant oublier que, pour certains, il n’y a pas de souvenir ou au contraire un “mal dit”, un choc ; et cela reste d’autant plus gravé.
Les termes employés, les mots d’amour et de tendresse – qui collent à la réalité – avec lesquels l’annonce est faite façonnent cette relation parents-enfant. On part du bon pied. L’amour qu’ils ont donné et la façon de donner cet amour restent gravés.
Le jour où mes parents sont venus à la clinique, il y avait trois berceaux ; ils nous ont regardés, et j’ai été choisi.
“Tu nous as regardés avec un si beau sourire, tu étais celui qu’on attendait.” Cette phrase était si belle, comment voulez-vous que l’on ne la retienne pas. “Tu étais celui qu’on attendait.” C’est toi qu’on attendait ; notion d’attente, notion d’appartenance. On ne se sent plus perdu, largué seul dans la société. J’ai souvent pensé aux deux autres. “Et eux, ont-ils eu la même chance ?...”
C’est vrai que se pose la question de la mère naturelle. Abandon ou don ? Mes parents ont insisté sur cette notion de don de la vie, et leur adoption allait dans le même sens ; il n’y a pas eu d’opposition, de comparaison. Tout s’enchaînait, tout devenait logique, bien huilé. Il y avait une façon de le dire, mais en ne cachant rien, en toute vérité. Mais cette vérité était bien présentée, et était belle à entendre. “Tu étais celui qu’on attendait.” On devient quelqu’un.
Quand j’ai compris toutes leurs difficultés et leur cheminement, et la façon avec laquelle ils ont atténué chez moi l’interrogation, j’ai remis au second plan l’interrogation de mon origine. Je me suis souvent posé la question :
“Qu’ont-ils cherché dans l’adoption ?”
Leur parole, c’était du vrai. À chaque fois qu’ils avaient de la difficulté, ils appliquaient la même méthode, avec, en toile de fond, cet amour familial. On se sent alors vraiment rattaché à sa famille, on voit des parents heureux, heureux d’être ensemble, heureux d’être avec l’enfant, heureux de vivre en famille. Alors faut-il remettre en cause ces fondements par le simple fait de l’apport de l’adoption ? Bien au contraire, on se sent d’autant plus porté par cet amour, et le point d’interrogation qui va vous suivre tout au long de votre vie s’estompe chaque fois très vite.
Les événements de la vie sont donc conditionnés par l’appartenance à l’adoption. On rattache souvent l’adoption à ce qu’on ressent de particulier, et on trouve une réponse dans ce que l’on voit. La stabilité des parents et leurs valeurs morales prennent un sens particulier pour nous. Que serais-je devenu s’il n’y avait pas eu l’adoption ? On peut tout imaginer, du plus simple au plus compliqué, avec parfois des interrogations pénibles. On fait le calcul à partir de la date de sa naissance. Neuf mois avant, qui a bien pu me concevoir ? On tombe sur les fêtes de fin d’année, on pense à l’endroit près duquel la naissance a eu lieu. Quand on naît dans une clinique proche du Prado où les prostituées venaient accoucher. On se rattache parfois à cette idée.
D’autres enfants adoptés dans les mêmes conditions m’ont fait cette réflexion. Je me disais que cela ne servait à rien de ressasser ces choses-là, puisque j’étais le fils de mes parents et que, eux, ils étaient superchouettes. Toutes les hypothèses sont passées dans ma tête, et chaque fois j’en sortais réconforté par l’attitude de mes parents. Tout ce qui s’apparente au relationnel, à l’éducatif, met en exergue le flash de l’adoption. On a en permanence une “couche supplémentaire”. Sur le plan du relationnel, on se demande si les rapports sont les mêmes chez les autres enfants. Et cette question incessante :
“Si je n’avais pas été adopté, que serais-je devenu ?” Il est vrai qu’on s’imagine ballotté par la DASS, montré du doigt. Et cette réponse permanente : “Quelle chance j’ai d’avoir de si bons parents !” L’attitude des parents est si importante. Ils ont toujours été attentifs ; ils se sont toujours entendus : en quarante-cinq ans de mariage, ils ne se sont jamais disputés, du moins pas devant moi.
Sur le plan éducatif, d’autres interrogations se font jour : “Mes origines y sont-elles pour quelque chose ?” Je trouvais que je n’avais pas l’intelligence de mes parents. Je ne m’identifiais pas à eux. J’avais donc aussi quelque chose de moins, lié à mes origines.
Si la notion de recherche a été pour moi absente de ma vie d’enfant et d’adolescent, elle s’est réveillée dans celle d’adulte. Aussi, j’ai observé une montée en puissance, mais avec un regard interrogatif sur les répercussions que cette recherche provoquerait vis-à-vis de mes parents. Comment le prendraient-ils ? Les liens familiaux tissés jusque-là ne s’altéreraient-ils pas ? Ma femme et mes enfants se sont posé aussi la question ; ils m’ont laissé libre de mon choix. L’adoption est une affaire de famille. Aujourd’hui, je n’ai toujours pas entrepris de recherche. En ai-je besoin ? Je ne le pense pas. Et puis, “ne pas savoir”, c’est pas bien grave, je n’en ferai pas un monde, puisque nous sommes heureux comme ça. «
Ce témoignage est long mais édifiant. Il montre combien il est hasardeux de parler des origines sans se référer au contexte dans lequel l’abandon et l’adoption ont été vécus et ressentis tout au long d’une vie. Un bon nombre d’exemples peuvent certainement nous permettre de signifier que la recherche des origines n’est pas un besoin inné, lié à l’adoption.
Sylvie Schreiber (2005) cite aussi les paroles d’un adulte de trente-sept ans, né « sous X » : ce témoin, après avoir expliqué comment il se vit en tant qu’adopté face à ses géniteurs, conclut par : « J’aimerais qu’on arrête de culpabiliser dans la presse ceux qui ne cherchent pas leurs origines. Je comprends que cela en étouffe certains ; je leur souhaite de tout cœur d’arriver à tracer leurs géniteurs et de ne pas être déçus des retrouvailles, mais nous sommes en démocratie, et c’est mon droit le plus absolu d’être un zen total à cet égard. »
À mi-chemin de ces positions, il est souvent souligné que, pour un bon nombre d’adultes, le fait de savoir qu’ils peuvent connaître le nom de la mère ou la rencontrer peut faire cesser la démarche.
En fait, ce qui est intéressant dans la démarche de recherche des origines, c’est qu’elle vient dénoncer le non-sens et la lourdeur du non-dit de l’histoire de la naissance de l’enfant ainsi venu au monde. « Ne rien savoir » renvoie à un vide tout aussi absurde pour l’enfant que lorsque les adoptants pensaient le protéger en lui dissimulant le fait d’être adopté. Dans de telles conditions, le futur adulte qu’il sera ne peut que se sentir piégé par ses origines, les vivre comme une malédiction sociale, pouvant remettre en cause sa valeur, et dont il ne peut se libérer qu’en l’exorcisant. Mais, n’hésitons pas à le répéter, le discours médiatique est venu déformer ces attitudes en tendant à faire croire que l’enfant adopté devait « tout savoir » pour « mieux être » et, là, il y a aussi lieu de nuancer et de mieux écouter les adoptés.
Il semblerait d’ailleurs que, dans les pays où la recherche est plus accessible et où le secret de l’identité n’existe pas, les chiffres apparaissent plus faibles : en Grande-Bretagne et au Québec, il n’y aurait que de 1 à 1,5 % de personnes demandeuses. En France, une étude fut réalisée sur cent adoptés adultes, 55 % étaient intéressés par cette démarche.
Les chercheurs peuvent également constater que les femmes effectuent plus de recherches que les hommes. Au CNAOP, en 2004, on comptait 63 % de femmes concernées. Ces adultes avaient dans la trentaine, ce qui correspond à l’âge où la question de la parentalité se pose.

 

Les cliniciens et la question des origines

Les enfants adoptés tardivement ont déjà eu accès à leurs origines et ont même parfois vécu une, deux, trois années avec le ou les parents de naissance. Une fois adopté, le travail de deuil un tant soit peu élaboré fait que l’enfant ne recherche pas les contacts, mais qu’il peut avoir besoin d’entendre ce qu’il en est de ses filiations multiples. Plus que les autres enfants, leur filiation psychique a besoin d’être nourrie et signifiée par la filiation biologique, mais elle a surtout besoin d’être mise en histoire et de renforcer les liens avec les adultes protecteurs.
On pourrait presque dire que plus l’histoire de l’enfant est parlée, moins la question des origines se fait pressante, voire utile. En clinique, elle se confond donc avec celle du « roman familial », celui que l’enfant a besoin de se construire essentiellement à partir de son imaginaire. Dans cette construction, on assiste à une lutte entre les bons parents « mythiques » et les mauvais parents. Cette lutte se nourrit bien sûr de la réalité double chez l’adopté alors que les enfants non adoptés ne connaissent pas cette alternative.
La question des origines est également une interrogation sur la sexualité des parents. L’enfant adopté a besoin de comprendre aussi pourquoi les parents n’ont pas eu d’enfants. Les cliniciens font alors valoir l’importance pour les parents de parler leur désir d’enfant et de rassurer l’enfant sur le choix également fait sur ses origines.
Je terminerai par les propos d’une psychiatre spécialisée que beaucoup de psychologues de ma génération ont connue et appréciée, ceux de Janine Noël : « Notre véritable histoire à tous, adoptés ou non, ne réside pas dans les produits biologiques de notre corps, mais dans la vérité multiple des sentiments que nous avons vécus. Nos parents procréateurs ou non sont ceux pour qui nous sommes l’incarnation de leur enfant imaginaire, de leur désir de se survivre et de faire survivre leur amour, et que nous avons fait devenir parents. »
Janine Noël considère, je cite, « qu’il y a danger de ramener les enfants adoptés au rang de petits pensionnaires transitoires, sans histoire et sans origine autres que celles de leurs gènes, flottant en deux mondes à qui seraient assurés le vivre et le couvert, et de l’affection bien sûr, mais pas d’identité et de racines (2) ».
Tous ces propos témoignent de la place relative des origines. Il ne s’agit pas d’en ignorer l’importance, certes, mais d’en mesurer la relativité. Il nous faut pour cela sortir des discours excessifs et normatifs. ■

 

Extrait d’un ouvrage à paraître chez Armand Colin, prévu en 2006.

 

Notes
1. "Généalogie d’un dispositif controversé", ASH Magazine, décembre 2004.
2. Extrait d’un article » Vraies familles et quête des origines «.

Pour citer cet article

Gore Claire  ‘‘Quelle place accorder à la question des origines dans le cadre de l’adoption ?‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/quelle-place-accorder-a-la-question-des-origines-dans-le-cadre-de-l-adoption

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Prise en charge de l’enfant adopté à travers le récit de son histoire
Les premiers liens dans l’adoption internationale. Les besoins particuliers de l’enfant et des parents Les premiers liens dans l’adoption internationale. Les besoins particuliers de l’enfant et des parents

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