Stormbreaker, ou la culture en abyme

Le Journal des psychologues n°245

Dossier : journal des psychologues n°245

Extrait du dossier : La psychothérapie familiale à l’épreuve de l’adolescent
Date de parution : Mars 2007
Rubrique dans le JDP : Culture > Lecture
Nombre de mots : 800

Auteur(s) : Houssier Florian

Présentation

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Détail de l'article

Le manga est un terme qui signifie « image dérisoire », à partir des images des premiers rouleaux peints au Japon ; le sens en est aussi esquisse libre, au fil des idées. Cette bande dessinée à contre-pied, ou livre à regarder en écriture inversée pour les Occidentaux, offre une liberté de l’esquisse en privilégiant un cadrage cinématographique, pour davantage de mouvement. En France, ce support est introduit en 1978 par la revue Le Cri qui tue.
Décalage. Comme le disait S. Freud, quand on cherche, il faut être critique dans le travail, et sanguin dans la recherche. Mais il arrive aussi qu’on s’assoupisse, bercé par le doux clapotis de notre mer intérieure. La quête d’un objet d’investissement s’estompe, dans un laisser-aller qui met en attente : on perd le fil… de la recherche d’objet culturel, on renonce un temps à trouver, à découvrir, à ressentir cet instant proche du merveilleux où la quête se transforme et devient une expérience de plaisir, dans la rencontre entre la recherche et la trouvaille. L’éprouvé culturel n’est pas seulement la continuité du jeu ; il relève d’une expérience de l’abri. Être à l’abri, c’est se sentir vivant et trouver refuge en un lieu où nous pouvons mettre ce que nous avons trouvé (1).
Ainsi, un jour, un préadolescent entre dans votre champ perceptif, pour vous conseiller une bande dessinée ; bardé d’incertitudes, on croit alors que cet objet va choir rapidement, tomber des mains comme un vêtement trop serré dont on se débarrasse avec ardeur. Et puis, au fil de la lecture, l’impression d’une confirmation : tout n’est pas joué d’avance, l’effet de surprise cueille, accroche, puis finalement emporte l’adhésion, contre toute attente. Un autre jour, une autre chance.
Oui, un manga. Généralement considéré comme niais et-ou parfaitement inutile, Stormbreaker est le récit réussi d’une aventure d’action d’un adolescent de quatorze ans. Ce manga illustre l’intensité des moments de régression qui, comme chacun sait, ne sont pas réservés à la cure psychanalytique. C’est une fiction totale, ne serait-ce que parce que ce jeune adolescent affiche une « cool attitude » (quelqu’un a-t-il déjà vu un adolescent vraiment tranquille ?), qu’il intègre les services secrets anglais, et qu’il vit des aventures improbables. Peu importe, le graphisme est superbe, le personnage d’emblée sympathique, et le prétexte plein d’humour : la vengeance d’un ancien écolier humilié, envers un ex-camarade de classe devenu Premier ministre anglais. Bref, c’est bien troussé, ça palpite et on comprend ce que les enfants et les adolescents viennent y trouver : une vivacité idéale pour passer un moment suspendu dans le temps, grâce à une succession de « représentations en action ». Il n’est donc pas dit qu’un média artistique, même lointain, puisse être définitivement repoussé.
L’image en mouvement, typique de la modernité par rapport à la fixité de l’image iconique (religieuse), propose ici un découpage stylisé ; cette forme de montage n’est pas qu’assemblage d’un puzzle pour en assurer la cohérence d’ensemble, mais donne un rythme au défilé des images. À partir de cette expérience de corridor, une impression : il est nécessaire d’être activement disponible pour s’abandonner à être réceptif. Le plaisir éprouvé de l’espace visuel, du mouvement, de sa kinesthésie, et de la destructivité en représentation, non effective, constitue une possibilité d’user de l’image sans dommage. Cette possibilité de satisfactions secondaires favorise un mouvement d’identification aux personnages, temporaire, libre et réversible, conférant à cette expérience une tranquillité exaltée. À partir d’un support créatif se retrouvent la capacité de créer le monde, son monde, et le plaisir de l’illusion vraie, en silence, qui renforce le sentiment d’être vivant ou encore l’impression que la vie a un sens.
Ici, il est aussi question de voyage, et plus précisément de mise en abyme de la culture. Cette bande dessinée est le fruit d’un dépliement gigogne : un roman a enfanté un film puis ce manga. Exploitation commerciale ? Bien sûr, mais pas seulement. En effet, l’auteur du livre, A. Horowitz, est assisté d’un scénariste, A. Johnston, tous deux anglais, participant à des séries télévisuelles ou à des jeux vidéo ; le film tiré du roman est américain, tandis que les deux dessinatrices de la bande dessinée sont deux sœurs japonaises, K. Damerun et Y. Takasaki, qui vivent chacune à l’autre bout du globe, mais travaillent en réseau rapproché, par Internet. C’est donc d’une mondialisation de la collaboration culturelle et d’un décloisonnement des domaines de compétences qu’un tel projet est né, pour aboutir à un excellent divertissement ; et, à travers ce qui passe dans la culture, à une vision du troisième millénaire.
Alors, si cela vous intéresse, tenez-vous prêt : le champ culturel est un monde trouvable et infini.
 

 

Note
1. Winnicott D. W., « La localisation de l'expérience culturelle », (1967), in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1971.

Pour citer cet article

Houssier Florian  ‘‘Stormbreaker, ou la culture en abyme‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/stormbreaker-ou-la-culture-en-abyme

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