Corps d’enfants et dons d’organes. Polytrauma… corps effractés, corps violentés

Le Journal des psychologues n°263

Dossier : journal des psychologues n°263

Extrait du dossier : Violences dans l'adolescence
Date de parution : Décembre - Janvier 2009
Rubrique dans le JDP : Pratiques professionnelles
Nombre de mots : 3500

Auteur(s) : Coq Jean-Michel

Présentation

Le décès brutal d’un enfant confronte parfois les parents à une décision tragique, celle d’accepter ou non un prélèvement d’organe consécutif à un état de mort encéphalique. Les familles endeuillées sont souvent seules avec leurs interrogations. Comment les parents parviennent-ils à se déterminer ?

Détail de l'article

La mort d’un enfant est devenue, dans notre société contemporaine, un événement inacceptable qui prend une dimension d’autant plus dramatique lorsqu’elle survient de façon brutale, comme c’est le cas dans un accident. Cet événement vient alors faire irruption dans la vie des parents et des frères et sœurs en créant par sa violence une désorganisation et une crise dans la cellule familiale. Accident de la circulation, de la voie publique, défenestration accidentelle chez l’enfant, volontaire chez l’adolescent, entraînent parfois des lésions tellement graves que celles-ci causent une mort immédiate ou imminente. Dans ce cas, certains enfants souffrant d’un traumatisme crânien grave vont s’installer dans un état de mort encéphalique qui amène un médecin à solliciter des parents en vue d’un don d’organe.
Définis comme une priorité nationale dans la loi de bioéthique du 6 août 2004, le prélèvement et la greffe d’organe concernent aussi la pédiatrie. Chaque année, environ vingt-cinq enfants décèdent faute d’avoir pu bénéficier à temps d’un organe qui puisse leur être greffé. En France, l’activité de prélèvement d’organes en pédiatrie reste marginale. En 2004, quarante prélèvements ont été réalisés sur des enfants de moins de seize ans, ce qui représente 4,6 % de la totalité des prélèvements.
Que le prélèvement soit accepté ou refusé par les parents, il engendre chez eux de multiples interrogations et des fantasmes souvent tus dans les moments où ils doivent prendre leur décision. Avant de s’interroger sur un effet facilitateur du don d’organe sur le processus de deuil, à travers le prélèvement se pose la ­question du statut de la personne en état de mort encéphalique. Cette notion de mort encé­phalique appartient à la culture médicale, elle s’inscrit dans une conception dualiste de l’homme qui n’aurait d’existence que de ses seules fonctions supérieures. Les greffes d’organes nous amènent à appréhender notre moi corporel, dont nous tirons notre sentiment d’unité, comme n’étant que le résultat d’une juxtaposition d’objets partiels.

 

Le statut du corps après la mort
La sacralité de l’intégrité du corps constitue une donnée anthropologique que l’on retrouve dans un certain nombre de civilisations. Au Japon, il serait impensable de prélever des organes sur un être qui, dans la tradition bouddhiste, poursuit sa vie sous une autre forme, la mort ne privant pas le corps de sa dimension individuelle et humaine.
Dans l’Égypte ancienne, on s’efforçait de conserver aux morts les apparences de la vie, à travers des procédés de momification de plus en plus complexes. Les ­viscères thoraciques et abdominaux étaient retirés du cadavre et placés dans des vases canopes, le cœur était maintenu dans le thorax. À chaque étape de cette momification, des formules magiques étaient destinées à rassurer le mort sur l’intégrité de son corps lors de son passage dans l’au-delà. Le mort devait faire un long voyage dans le royaume d’Anubis, le dieu à tête de chacal. Son cœur était pesé en présence d’Osiris, et il fallait que celui-ci fût aussi léger qu’une plume, sinon un animal fantastique se tenait prêt à dévorer le défunt. Osiris lui-même avait eu son corps déchiré en ­quatorze morceaux éparpillés dans la nature. Patiemment, Isis, son épouse et sœur, avait retrouvé et réuni les morceaux de son corps et lui avait ainsi redonné vie ; il devint le symbole de la vie après la mort (Grieshammer, 1986).
Le conte du genévrier, recueilli par les frères Grimm, est également sur ce thème :  un homme et une femme qui s’aiment ne peuvent avoir d’enfant. Un garçon naît enfin, mais la mère meurt en le mettant au monde. Son mari l’enterre sous un genévrier, la pleure puis épouse une autre femme. Du nouveau couple naît une fille appelée Marlène. Mais cette femme se met à détester le garçon, elle lui coupe la tête par ruse, le fait cuire et le donne à manger à son père. Mais Marlène recueille un à un tous les os de son frère jetés par le père pendant le repas et les enterrera sous le genévrier. L’enfant renaît de l’arbre sous la forme d’un oiseau qui raconte son histoire dans une chanson :

« Ma mère m’a tué
Mon père m’a mangé
Ma petite sœur Marlène
A pris de la peine
Pour recueillir mes os
Jetés dessous la table
Et les nouer dans son
Foulard de soie
Qu’elle a porté sous le genévrier
Kywitt, Kywitt, bel oiseau que je suis.
 » (Grimm, 1812.)

Comment ne pas voir dans le foulard de soie, contenant les ossements du frère, ce que D. Anzieu (1985) a décrit sous le terme de « Moi-peau ». La petite Marlène rassemble, relie, les différentes parties du corps de son frère, permettant ainsi que ses différentes sensations corporelles se rassemblent, réparant ainsi l’effraction du Moi-peau. Marlène permet une reconstruction de l’image du corps, avec, à nouveau, une séparation entre l’intérieur et l’extérieur de ce corps. Elle réintroduit ainsi son frère dans une position subjective en lui permettant un dépassement de ses angoisses de morcellement. L’oiseau fait entendre son chant, donne des cadeaux à son père et à sa sœur, et la marâtre meurt écrasée par une meule de moulin qu’il lui laisse tomber sur la tête. Dans ce conte s’exprime une thématique cannibalique (Geninasca, 1972) dans laquelle se manifeste toute l’agressivité orale archaïque et inconsciente de la mère (sous le masque de la marâtre) en réponse à l’avidité de son enfant qui la dévore au quotidien.

 

Le don d’organe pédiatrique
La proposition d’un don d’organe pédiatrique n’aurait-elle pas un écho inconscient de cet ordre dans l’image du chirurgien préleveur qui se substituerait à celle du parent ? Certains parents expriment la crainte que le corps de leur enfant ne soit pas respecté par celui-ci, figure d’un docteur Frankenstein puisant dans l’intérieur du corps de leur enfant les pièces corporelles dont il a besoin. Cette agressivité parentale inconsciente vis-à-vis de leur enfant sera transformée par retournement en un sentiment de culpabilité.
Dans le prélèvement d’organe, il s’agit en effet d’extraire quelque chose de cet intérieur du corps, quelque chose de l’intimité partagée avec son enfant. Donner son accord pour ouvrir le corps de son enfant mort, c’est aussi enlever, amputer, le lien qui unissait à lui, comme si, en enlevant une partie de son intérieur, on enlevait ce que l’on a mis d’amour, mais aussi de haine à l’intérieur de lui. Une mère refuse de façon catégorique et viscérale la proposition de don d’organe sur le corps de son fils âgé de quinze ans : « On ne touche pas à mon bébé. » Le corps de son garçon est pour cette mère le représentant du lien mère-enfant ; elle maintient une position de défense et de protection vis-à-vis de lui.
D’ailleurs, les parents donnent, à travers leur accord pour le prélèvement d’organe, des « objets » qui ne leur appartiennent pas. Leur accompagnement dans de telles situations s’avère particulièrement délicat. Ils sont, en effet, aux prises avec des fantasmes marqués par la violence et la transgression, en ayant le sentiment d’avoir contribué à la mort de leur enfant.
Alors qu’ils vivent déjà un cauchemar dans les moments qui suivent l’annonce de la mort, la sollicitation d’un don d’organe les plonge dans une interrogation tragique touchant à la sacralité du corps de leur enfant mort cérébralement, mais dont les autres organes sont encore vivants. Cette situation, derrière sa rationalité scientifique et son efficacité bien réelle, produit un sentiment d’inquiétante étrangeté (Freud, 1919) tant chez les parents, que chez les soignants d’ailleurs.
Le corps porte cette bipolarité faite, d’une part, d’un corps en relation, caressé, porté, libidinalisé et, d’autre part, d’un corps bioanatomique tel qu’il a progressivement vu le jour dans la société occidentale, de la Renaissance jusqu’à aujourd’hui.
Le prélèvement et la transplantation d’organe constituent un aboutissement de cette conception médicale du corps débouchant sur ce que D. Lebreton (1993) appelle une « perte de la dimension symbolique du corps », les organes étant assimilés à des pièces de rechange comme chez le garagiste, dépossédés alors de leur humanité : « Le fait de prélever un organe sur un cadavre pour l’implanter dans la chair d’un autre homme est une rupture anthropologique. »

 

Alex
Minuit trente, salle de réanimation traumatologique pédiatrique d’un grand hôpital parisien. M. et Mme O attendent d’avoir des nouvelles de leur fils Alex, cinq ans, qui vient d’être admis dans cet hôpital à la suite d’un accident. Alex, alors qu’il était avec sa mère dans la rue, s’est caché derrière une voiture en stationnement pour qu’elle le cherche. Le conducteur du véhicule démarrait alors et, en reculant, n’a pas vu Alex qui, accroupi derrière la voiture, a été violemment heurté à la tête par celle-ci. Lorsque le médecin-réanimateur vient annoncer aux parents que leur fils va mourir, le choc est terrible pour tous les deux, ils sont sidérés, stupéfaits. Une heure plus tard, il vient les informer qu’Alex est en état de mort cérébrale et vient solliciter leur accord en vue d’un don d’organe. Cette décision doit être prise dans les heures qui viennent. Peu de temps avant, Alex courait, sautait, riait ; maintenant, il va mourir et, presque simultanément à cette annonce extrêmement brutale, ses parents doivent donner ou non leur accord pour un prélèvement d’organe. La loi de bioéthique de juillet 1994 porte sur trois grands principes : celui de la gratuité (toute rémunération est interdite en contrepartie de ce don), celui de l’anonymat (le nom du donneur ne peut être communiqué au receveur et réciproquement, la famille du donneur peut cependant être informée du résultat des greffes) et celui du consentement (quand une personne mineure décède, ses parents ou les personnes titulaires de l’autorité parentale doivent consentir par écrit au don).
Lorsque les parents d’Alex se rendent à son chevet, ils voient que le corps de leur garçon est chaud, ils voient les mouvements de sa cage thoracique, son corps présente toutes les apparences de la vie, sa mère lui parle, caresse ses cheveux, son père en larmes lui demande : « Alex, réveille-toi. » La mort d’Alex comporte plusieurs paradoxes pour ses parents. Elle ne correspond pas aux représentations habituelles de la mort, un enfant en état de mort cérébrale ressemble plus à un enfant endormi, certes relié à une machine pour respirer qu’à un cadavre prêt à recevoir les rites mortuaires. Dans un cas comme celui-ci, l’enfant défunt conserve des apparences de vie. Son cœur bat toujours grâce à l’utilisation de techniques de réanimation appropriées qui maintiennent l’oxygénation indispensable à sa survie et à l’utilisation de ses organes. Le corps de leur enfant est relié à un appareillage complexe qui exerce sur les parents un état de fascination ; en plus des mouvements corporels visibles, les courbes des chiffres semblent témoigner de la vie de leur enfant, mais contribuent à alimenter ce sentiment d’inquiétante étrangeté.
Deux heures plus tard, les parents d’Alex, qui ont souhaité prendre seuls leur décision sans consulter leurs parents et frères et sœurs respectifs, ont décidé de ne pas donner l’autorisation de prélèvement des organes de leur fils. La mère s’en explique : « Je comprends, c’est pour aider les autres enfants, mais cette autorisation… c’est trop difficile, on souhaite, avec mon mari, le garder comme il est. » Parfois, les parents anticipent la demande de consentement au don, face à l’impuissance dans laquelle ils sont, ayant là une possibilité ultime d’agir.
L’annonce du décès d’un enfant est pour ses parents impensable dans un premier temps. Elle crée une sidération psychique, comportant un déni de la réalité, une incrédulité, des sentiments de colère, de révolte et fréquemment une perte des repères temporels. S’installe alors pour eux un vécu d’étrangeté qui vient rompre l’équilibre de la dialectique
extérieur-intérieur, réalité-imaginaire, rationalité-irrationalité.
Le décès d’un enfant soulève une culpabilité consciente et inconsciente toujours forte, s’alimentant parfois d’éléments de la réalité, mais aussi de l’idée qu’un parent serait en place de protéger son enfant, y compris contre les hasards du destin.
La sollicitation d’un don d’organe peut majorer cette culpabilité, les parents peuvent avoir le sentiment, en donnant leur accord, de participer à donner la mort à leur enfant, d’abandonner son corps et d’être les complices de son démembrement. En refusant le don, certains parents ont le sentiment d’être en dette après cette décision et proposent par la suite de faire un don financier au service de réanimation ayant pris leur enfant en charge.

 

Deuil et don d’organe pédiatrique
Le prélèvement donne une tonalité particulière au deuil de la famille : il reste du vivant du corps de leur enfant dans celui d’un autre enfant. L’organe prélevé prend ainsi un statut métonymique tant pour la famille du donneur que pour celle du receveur. L’ambivalence et le ressentiment des parents peuvent parfois s’exprimer :  « Au moins, il y a une famille heureuse. »
Du fait de l’anonymat du don, celui-ci est sans échange et sans réciprocité. Ce don, malgré toute l’ambiguïté qu’il recouvre, a cependant une place très importante dans l’élaboration du deuil. La plupart de ceux qui donnent leur accord au prélèvement considèrent le don d’organe comme le seul aspect positif de la tragédie qu’ils sont en train de vivre. Dans l’étude de H. L. Sharp et N. L. Ascher (1983), plus de la moitié des parents impliqués dans le don insistent sur l’aide qu’il leur a apportée dans l’élaboration psychique de leur deuil, soulignant que celui-ci leur a laissé la possibilité de donner un sens à la mort de leur enfant.
Paul, trois ans et demi, a été renversé ainsi que sa mère en traversant la chaussée. Alors que cette dernière n’a qu’une contusion à une jambe, son fils présente d’emblée un coma profond dû à un grave traumatisme crânien. Malgré toutes les manœuvres de réanimation mises en place, Paul est rapidement en état de mort cérébrale. Dans un premier temps, sa mère est tellement sidérée que le contact avec elle est quasiment impossible. C’est le père qui prend conscience le premier de la gravité des lésions dont souffre leur fils unique ; il fera prendre conscience à sa femme du décès prévisible de Paul. Le médecin-réanimateur sollicite auprès des parents un don d’organe, ceux-ci acceptent très rapidement, disant que Paul est un garçon généreux, que donner « ça lui correspond bien ». Les parents s’installent dans un processus imaginaire qui les soutient durant toute la démarche du prélèvement, qui s’avérera assez longue dans la recherche d’un receveur. La mère dira, lorsque le corps de son fils partira au bloc opératoire : « Mon fils est un héros. »
Deux études, l’une en psychologie sociale (Olivero, 1994), l’autre en sociologie (Verges et Girard, 1999), montrent que les parents qui acceptent le don d’organe pédiatrique voient dans la transplantation d’organes « une pratique de solidarité redistributive impersonnelle plus qu’une question d’acte généreux ». Ils procéderaient à une abstraction de l’acte de prélèvement et de greffe par un mécanisme d’intellectualisation qui met à distance les affects liés à l’horreur que représente l’extraction des organes du corps de leur enfant. Dès l’annonce de la mort, un sentiment de colère est parfois exprimé à l’encontre du personnel soignant, mais aussi à l’encontre du mort, ces sentiments sont très pénibles parce qu’ils sont en opposition avec l’amour éprouvé pour la personne décédée. Cette colère est expliquée par J. Bowlby (1978) comme étant due à l’énorme frustration qui résulte de la séparation définitive d’avec le défunt. Elle précède la période du deuil qui, tant chez les parents que chez les frères et sœurs, se manifeste par un état dépressif où s’expriment chagrin et tristesse, le désinves­tissement de l’objet perdu se faisant progressivement.
Lors du décès d’un frère ou d’une sœur, le processus de développement de ceux qui lui survivent est fragilisé, voire interrompu, devenant l’objet de toutes les attentions et de toutes les angoisses et attentes parentales. Lorsque ce décès est dû à un accident avec toutes les ­responsabilités ­réelles et imaginaires qui peuvent parfois s’y jouer, la famille est en risque d’implosion. Parfois, l’enfant survivant est au centre du drame : en tant qu’aîné, il avait la garde de celui qui est mort. L’enfant est aussi parfois confronté à des parents sidérés affectivement et socialement ou pris dans la colère et l’agressivité, des parents qu’il ne reconnaît plus et dont il perçoit toute la détresse et parfois la ­non-disponibilité.
L’idéalisation du frère ou de la sœur décédé(e) peut constituer une difficulté dans l’élaboration du deuil. Normalement transitoire, celle-ci peut être parfois majorée dans le cas du don d’organe. Elle sera source, pour ceux qui restent, de sentiments de dévalorisation et d’échec lorsque les parents maintiennent le mort comme figure idéale. L’enfant ne peut pas rivaliser avec ce dernier, il se trouve alors renvoyé à sa culpabilité et à son ambivalence à son égard.
Les travaux concernant les receveurs sont bien plus nombreux que ceux concernant les donneurs, le sentiment collectif d’être en dette vis-à-vis de ces familles n’y est peut-être pas étranger. Une étude publiée par M. Rufo et M. Burki, en 1990, bien que portant sur peu de familles donneuses (sept), apporte cependant quelques éléments de réponse : l’enfant était pleinement accepté, sans ambivalence, et les relations parents-enfants paraissaient harmonieuses. Les refus d’autorisation de prélèvement seraient plus fréquents lorsque les relations parents-enfants étaient difficiles et conflictuelles, les parents pouvant avoir le sentiment de commettre un acte agressif à l’égard de leur enfant à travers l’autorisation de prélèvement, qui serait alors source d’une culpabilité inconsciente massive.
Dans un premier temps, ces familles ont toutes cherché à savoir activement ce qu’il était advenu des organes. Cette recherche des receveurs, si elle se poursuit, suspend le travail de deuil : il reste du vivant quelque part qui empêche d’accepter la réalité de la mort, installant alors les parents ou l’un des deux dans un véritable déni.

 

Conclusion
À la violence faite au corps de l’enfant dans un accident s’ajoute celle de la sollicitation du don d’organe. Alors qu’un dispositif de soutien psychologique est presque toujours mis en place concernant le receveur, les familles endeuillées, qu’elles aient ou non accepté le prélèvement d’organe, sont bien souvent seules aux prises avec leurs interrogations et leurs fantasmes.
La violence que constitue la perte d’un enfant pour des parents, d’un frère ou d’une sœur pour la fratrie, entraîne des bouleversements psychiques importants qui prennent une dimension traumatogène lorsque le décès survient brutalement, mettant à mal les qualités pare-excitantes de chacun et souvent de la famille plus élargie et des proches. Certaines familles, malgré leur souffrance, vont trouver les ressources nécessaires pour que chacun de ses membres puisse affronter la réalité de la mort et intégrer le souvenir du disparu. Les parents doivent avoir la possibilité de revoir à distance le réanimateur qui a pris en charge leur enfant. Dans le cas d’une sollicitation de don d’organe, il apparaît très important de leur donner à nouveau une information sur la mort encéphalique et sur la nature et l’ampleur des lésions qui ont causé la mort de leur enfant. Le binôme réanimateur-psychologue que nous proposons aux parents, qui peuvent revenir à l’hôpital où est décédé leur enfant (trois mois, six mois, un an, voire plus, après le décès), leur permet, dans un moment de moindre désorganisation psychique, de pouvoir entendre ces informations et d’exprimer la souffrance à laquelle ils sont confrontés. Ceux-ci peuvent, en effet, rester piégés dans le déni ou le refoulement massif des représentations liées à l’enfant mort. Il est alors nécessaire de mettre en place un dispositif permettant d’éviter le blocage du processus de deuil avec toutes ses conséquences psychopathologiques, afin qu’une dynamique créative de vitalité et d’épanouissement puisse à nouveau fonctionner pour chacun des membres de la famille. ■

 

 

Bibliographie

Anzieu D., 1985, Le Moi-peau, Paris, Dunod.
Bowlby J., 1978, Attachement et perte : la séparation, angoisse et colère, Paris, PUF.
Freud S., 1919, « L’inquiétante étrangeté », in Essais de psychanalyse appliquée, Paris, Gallimard, pp. 163-210.
Geninasca J., 1972, « Conte populaire et identité du cannibalisme », Nouvelle Revue de psychanalyse, 6 : 215-230.
Grieshammer R., 1986, « Le tombeau et la croyance en l’au-delà », in Eggebrecht A. (éd.), L’Égypte ancienne, Paris, Bordas, pp. 287-337.
Grimm J. et W., 1812, Kinder und Hausmärchen, traduction française d’A. Guenne, Les Contes, Paris, Flammarion, 1987.
Lebreton D., 1993, La Chair à vif, Paris, Métailié.
Oliviero P., 1994, « Don d’organes, don du corps et représentations de la mort », Psychologie médicale, 26 : 269-276.
Rufo M., Burki M., 1990, « Les parents donneurs d’organes », Neuropsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, 38 : 305-310.
Sharp H. L., Ascher N. L., 1983, « The Community Physician and Liver Transplantation », Pediatrics, 72 : 260-261.
Verges P., Girard A., 1999, « Comprendre les résistances ou l’acceptation du “don d’organes” », Colloque : « La mort, le deuil et le don », Paris, 1999.

 

Pour citer cet article

Coq Jean-Michel  ‘‘Corps d’enfants et dons d’organes. Polytrauma… corps effractés, corps violentés‘‘
URL de cet article : https://www.jdpsychologues.fr/article/corps-d-enfants-et-dons-d-organes-polytrauma-corps-effractes-corps-violentes

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