Dossier : journal des psychologues n°263
Auteur(s) : Reuillard Pascal
Présentation
Si le père n’a pas les moyens de vivre la grossesse dans son corps, rien ne laisse supposer qu’il ne puisse faire l’expérience de la grossesse psychique. La place du père et la fonction paternelle ont subi des transformations, parfois radicales, au cours de l’existence. Mais cet homme est-il capable de vivre l’équivalent masculin de la préoccupation maternelle primaire dont parle D. W. Winnicott ?
Mots Clés
Détail de l'article
Lorsque Zeus était marié à Métis, on lui prédit que, si elle avait un enfant, il serait plus puissant que son père. Le jour où elle fut enceinte, Zeus prit alors les devants : il l’avala après l’avoir changé en mouche. Athéna, sa future fille, se développa à l’intérieur de son père. Quand elle fut prête à naître, Zeus ressentit un violent mal de tête. Il demanda secours à Héphaïstos qui le soulagea en lui fendant le crâne. Athéna était née…
Mais, quand l’homme n’est ni Dieu ni roi, comment fait-il l’expérience de cette grossesse psychique ? Comment se pose-t-il en père symbolique et réel sans mettre en péril sa masculinité ?
En psychanalyse, son histoire commence mal. À vouloir s’adapter aux lois de la nature environnante, il se fait assassiner par ses propres fils. Pour élaborer le mythe du meurtre du père, S. Freud s’est basé sur la thèse darwinienne de la horde primitive : « Le mort devenait plus puissant qu’il ne l’avait jamais été de son vivant. […] Ce que le père avait empêché autrefois, par le fait même de son existence, les fils se le défendaient à présent à eux-mêmes, en vertu de cette obéissance rétrospective. » (Freud, 1968, pp. 164-165). Fondamentalement, S. Freud fait le lien entre le complexe d’Œdipe et le père. À travers son analyse du petit Hans, il situe le père comme le détenteur du phallus, ce qui le différencie de la mère qui, elle, n’en a pas. Dans la phase œdipienne, le jeu d’identification et de naissance du surmoi suppose le fantasme d’un père tout-puissant, qui ne peut être assimilé au père réel. Ainsi, la fonction classique du père est de protéger l’enfant de l’inceste en se plaçant entre lui et la mère, ce qui permet en même temps de l’inscrire dans la différence des sexes et des générations.
En réalité, la question du père traverse toute l’œuvre de S. Freud, et ce, jusqu’à son dernier ouvrage, Moïse et le monothéisme : « La paternité, bien que les sens ne puissent la déceler, est plus importante que la maternité. C’est pourquoi le fils porte le nom du père et en hérite. » (Freud, 1939, p. 158.) Il fait ici allusion au passage de l’organisation matriarcale à l’organisation patriarcale, qui a fortement retenti sur les lois en vigueur. Alors que la maternité se révélait par les sens, la paternité se base sur des déductions et des conjectures. Freud y voit « une victoire de la spiritualité sur la sensualité et, par là, un progrès de la civilisation » (1939, ibid.).
Depuis quelques années, l’homme contemporain revendique le droit au « paternage » – un terme encore absent des dictionnaires –, mais, dans un même temps, il doit faire face à plusieurs siècles d’héritage de modèles traditionnels. « Sois un homme », s’entend-il dire implicitement ou non dès sa plus tendre enfance. Une injonction qui laisse supposer que cela ne va pas de soi et qu’il doit effectuer un travail, une construction, pour y parvenir (1).
Lorsque le père revendique son désir de paterner, quel est le rôle tenu par la mère ? Lui donne-t-elle la possibilité d’exprimer une préoccupation paternelle primaire, si tant est qu’elle existe ? Pour tenter d’ébaucher quelques éléments de réponse, faisons d’abord un petit détour sur l’évolution de l’élaboration de la fonction paternelle.
Veni, vidi, mais… vinci ?
Les écrits sur la fonction paternelle sont nombreux. Nous nous contenterons de procéder à un bref aperçu en mettant l’accent sur quelques périodes marquantes.
Au commencement était le pater familias… Quand le droit romain décide d’attribuer un statut juridique au père, c’est pour lui donner les pleins pouvoirs, l’autorité absolue sur l’enfant (et sur la mère). Aussitôt après avoir coupé le cordon ombilical, le bébé était posé sur le sol. Il n’était reconnu que si son père le prenait dans ses bras et le soulevait vers le ciel, signe qu’il lui donnait la vie.
Quand vient le Moyen Âge, la situation de la mère reste tout aussi précaire : elle conserve sa fonction d’« hôtel-restaurant en pension complète » (Delaisi de Parseval, 1981), sous le joug d’un patron des lieux socialement assuré de sa position. Pas de compromis ni de promiscuité entre chef et employée : comme l’écrit P. Ariès, « le père était exclu après le coït ponctuel dont on avait constaté la fécondité ; il disparaissait du monde féminin pour ne réapparaître qu’après la naissance et surtout après le sevrage qui avait lieu très tard […] ; dès le début de la grossesse, nous étions dans un monde uniquement féminin » (Ariès, 1982, p. 45) (2). Exclu, certes, mais toujours possesseur de son rang social dominant. Mais les temps féodaux apportent aussi avec eux l’image de Dieu. Omnipotente, l’Église instaure le mariage et en assure au chef de famille la direction. En sacralisant la famille, l’Église va entériner un patriarcat absolutiste. Paradoxalement, pourtant, la chrétienté a peut-être également contribué à son affaiblissement : « Le père de la réalité a perdu quelque chose en partant au ciel, en se séparant du monde des vivants. Il s’agit d’un affaiblissement au profit d’une certaine constitution sociale, au profit d’un groupe, l’Église. » (Vanier, 2001.)
Malgré tout, cette place toute-puissante du père, qui brille par son absence fortement présente, va perdurer pendant des décennies. La Révolution apporte avec elle la révolte des fils contre les pères oppresseurs et autoritaires. Le paternalisme s’effondre en même temps que la monarchie, établie sur le pouvoir d’un seul, et la remise en cause du pouvoir absolu de l’Église.
Au cours du XIXe siècle, l’essor de l’industrialisation amène les pères à s’absenter plus longtemps du domicile. Ils ne rentrent à la maison que tard le soir, assurent un soutien financier à la mère. En même temps, les théories médicales en vigueur insistent sur le devoir de mère nourricière.
C’est surtout au sortir de la Seconde Guerre mondiale que l’on commence à faire l’apologie de la relation maternelle. Avec la notion de l’hospitalisme, R. Spitz est l’un des porte-parole de ce modèle dyadique – mère-enfant – traditionnel. Privés de leurs parents par la guerre, plusieurs bébés sont placés en institution pour une durée plus ou moins longue. Ces jeunes enfants développent alors un état dépressif qui serait la conséquence de carences affectives précoces, pratiquement toujours en relation avec la séparation d’avec la mère. Le lien qui s’est forgé pendant la grossesse et qui continue au début de la vie devient capital, mais d’une certaine manière au détriment de la relation concrète du père au bébé.
Depuis quelques décennies, on parle cependant des « nouveaux pères ». Des pères qui ressentent du plaisir à être pères, investissent les soins. Des pères-mères ou des hommes-pères ? En d’autres termes, des pères maternant ou des pères paternant ? Difficile, parfois, de faire la part des choses. Il est vrai que, concrètement, le temps passé avec et pour l’enfant reste encore assez inégalitaire entre le père et la mère, mais gardons à l’esprit les données du passé pour voir cela avec un regard optimiste.
Une naissance sous césarienne
Devenir père suscite un travail de maturation afin de pouvoir intégrer de nouvelles fonctions, s’engager dans un nouveau processus identitaire. Pour T. Benedek, il s’agirait d’une « crise normale de développement », engendrée par des modifications importantes dans la relation à l’autre. Néanmoins, l’entreprise n’est pas si aisée qu’elle y paraît. L’homme de notre temps se retrouve en quelque sorte coincé entre deux pôles apparemment contradictoires : la virilité traditionnelle du passé et un certain rejet des modèles masculins encouragé par la période postféministe. Exhorté à se défaire de sa position idéale de toute-puissance, on lui demande de faire preuve d’autorité et de tendresse en même temps. D’autre part, il a souvent la lourde tâche de briser des siècles de manque de communication masculine, d’être conciliant avec l’identité de genre. Par identité de genre, il faut entendre non seulement le sexe biologique, mais aussi une élaboration et une intériorisation psychiques des attentes familiales et des comportements jugés adaptés à son appartenance sexuelle. Mais il est un autre « paradoxe », plus ancien : né du ventre d’une femme, imprégné de féminité pendant sa vie intra-utérine, il ne peut pas, comme la petite fille, s’identifier avec son propre sexe. Il lui faut devenir, en quelque sorte, le contraire de ce qu’il a été au départ. N’est/naît pas homme qui veut…
L’absence des aspects physiques de la grossesse et de l’accouchement ne permet pas de ressentir ce corps à corps. Pour s’approprier ces événements, il lui faut recourir à un processus psychique, privilégier une mentalisation symbolique que la maternité, plus instinctuelle, ne vit peut-être pas avec la même intensité. Finalement, comme le signale R. Debray, les difficultés à devenir père semblent « aussi fréquentes que les aléas pour devenir mère. Leur mode d’expression est cependant beaucoup plus discret et passe de fait [totalement] inaperçu » (1996, p. 70).
L’idéalisation de la relation dyadique mère-enfant
Les enfants – légitimes ou non – du père de la psychanalyse sont globalement d’accord pour admettre que le père et la mère sont tous deux indispensables au développement de l’enfant. Mais quelle est la place de chacun des parents ?
R. Spitz considère les stades du développement de l’enfant comme les phases d’un couple composé par la mère et l’enfant. Que l’enfant se situe dans le stade anobjectal, préobjectal ou objectal, c’est la mère qui occupe le devant de la scène. Pour J. Bowlby, la figure d’attachement principale reste la mère. De même que R. Spitz, il estime que le dialogue des deux premières années de la vie de l’enfant se fait presque exclusivement entre la mère et l’enfant. Il est vrai qu’il évoque plusieurs fois le père dans le premier volume d’Attachement et perte (1969), mais c’est avant tout pour en parler comme d’une « figure d’attachement secondaire ». M. D. Ainsworth va dans le même sens en décrivant le père comme une « mère auxiliaire ». Il peut incarner une figure d’attachement, mais pas aussi fortement que la mère, qui reste la figure privilégiée pour offrir à l’enfant un attachement sûr ou sécurisant. Pour M. Mahler, le père a surtout sa place au cours de la deuxième année. Il permet la naissance psychologique de l’enfant en aidant les deux membres de la dyade à sortir de cet état de symbiose originel. D’après l’auteur, la naissance psychologique est constituée par le processus de séparation-individuation. En sortant progressivement de la période de symbiose avec la mère, l’enfant commence à acquérir progressivement ses propres caractéristiques individuelles. F. Dolto, quant à elle, estimait qu’avant dix-huit mois le père n’avait pas sa place dans les soins apportés à l’enfant, tout en reconnaissant cependant que la réalité de cette dyade n’excluait pas la triangulation existante « depuis la conception ». Il se doit d’être présent, symboliquement, mais son rôle auprès de l’enfant ne semble pas reconnu comme un élément majeur.
Il s’agit là d’une présentation brève et un tant soit peu caricaturale. Néanmoins, elle nous permet de montrer que cette importance donnée à la relation mère-enfant a eu pour conséquence d’éloigner un peu le père de son bébé. Nous pensons que l’intérêt incontestable de ces travaux est largement justifié si l’on garde à l’esprit l’époque à laquelle ils ont été menés : une période encore marquée par la division sexuée des attributions féminine et masculine.
Le père suffisamment bon
Pour emprunter à D. W. Winnicott les notions de « mère suffisamment bonne » et de « préoccupation maternelle primaire », nous nous devions de lui réserver une place à part. Place qu’il occupe avec brio, en raison de l’originalité de sa démarche psychanalytique.
La question du père tarde à apparaître dans l’œuvre de D. W. Winnicott. Pour F. Duparc, la fonction paternelle n’est évoquée qu’à partir de 1955-1957 (alors que ses premiers écrits connus datent de 1935), dans Lettres vives. Si, dans un premier temps, il se réfère à la notion du phallus comme « certaines qualités de la mère telles que l’autorité et les règlements, l’exactitude, la fermeté, l’indestructibilité » (1956), dans un second temps, il va l’attribuer à la fonction paternelle, « pour peu qu’il [le père] soit dans les parages » (1956). Dans L’Enfant et sa famille, il consacre un chapitre au père pour préciser la place qu’il est censé occuper au sein de la famille : « On ne peut pas affirmer qu’il soit bon que le père apparaisse tôt en scène dans tous les cas. […]. Le père est nécessaire à la maison pour aider la mère à se sentir bien dans son corps et heureuse en esprit. » (Winnicott, 1971, pp. 118-119.) On le voit, la préoccupation maternelle primaire reste au cœur de ses réflexions.
En 1977, il ajoute : « Dans la mère, je comprends toujours le père. » (Winnicott, 1977, p. 29.) Ainsi, le père est un complément de la mère, son amant, le garant de la Loi, de l’interdit, un support identificatoire et d’apprentissage pour l’enfant. De même qu’I. Tchernicheff, nous pensons cependant que « cet enchâssement du paternel dans le maternel appelle bien des interrogations relatives à la distinction des fonctions, des personnes, sans parler de la représentation d’une scène primitive qu’il semble suggérer » (2005, p. 144).
Doit-on voir dans les formulations de D. W. Winnicott le reflet de son propre vécu ? L’auteur lui-même aurait déclaré un jour que son propre père ne se serait intéressé à son éducation qu’après ses trois ans et surtout à l’âge de treize ans. Une observation, nous rappelle F. Duparc, qui peut amener à penser à la force de la biographie sur les écrits. Mais, là encore, nous ne pouvons ignorer le contexte dans lequel s’inscrivent les observations de D. W. Winnicott : une mère socialement assignée au soin et à l’éducation des enfants et un père chargé de quitter le domicile pour travailler à l’extérieur et assurer le confort financier de sa famille.
Pour autant, signaler cette présence un peu tardive du père dans l’œuvre de D. W. Winnicott ne signifie pas remettre en question sa théorisation fondamentale de la préoccupation maternelle primaire, « qui se développe graduellement pour atteindre un degré de sensibilité accrue pendant la grossesse et spécialement à la fin, […] qui dure encore quelques semaines après la naissance de l’enfant ». L’équivalent d’un état de repli, de dissociation, de fugue vis-à-vis de la réalité qui peut ressembler à un épisode schizoïde et pendant lequel la mère est capable de « s’adapter aux tout premiers besoins du petit enfant avec délicatesse et sensibilité » (Winnicott, 1987). Le lien entre la mère et le bébé est d’abord biologique, il se renforce tout au long de la grossesse. C’est peut-être là que le bât blesse : pendant la grossesse, le père n’a pas de statut particulier, alors que la femme est enceinte. Dès lors, l’équivalent masculin de cet attachement viscéral devient difficile à mettre en avant. Ayant porté, accouché, puis éventuellement allaité, la mère sera toujours en avance sur le père, lequel devra trouver d’autres voies pour combler ce décalage.
La balle dans le camp des mères
Dans cette dyade mère-enfant, le père doit trouver sa place, s’insérer progressivement entre les deux pour leur permettre de se dégager de ce bien-être fusionnel que constitue la satisfaction symbiotique. Pour cela, il a besoin de la mère. D’après A. Naouri, si la mère est un acquis, le père, quant à lui, est un dû. Il ne peut occuper sa fonction de père que si deux conditions se trouvent remplies : premièrement, il doit accepter d’être père, même s’il court le risque de raviver d’anciennes blessures. En effet, tout désir plus ou moins inconscient de devenir père s’apparente d’une certaine manière au désir de réparer des manques affectifs vécus pendant l’enfance, une volonté de « faire mieux » que son propre père. De cela, la mère n’est pas exempte. La deuxième condition est que la mère accepte de lui accorder le statut de père, qu’elle l’introduise auprès de l’enfant. Même si sortir de la dyade s’opère grâce à la présence du père, c’est la mère qui, en dernier lieu, autorise la possibilité de la triade. En détournant l’enfant de son premier objet d’amour, le père l’amène à renoncer aux satisfactions immédiates pour accéder à un plaisir ultérieur et aux prémices de son développement. Selon la métaphore utilisée par J. Lacan, il est le bâton placé dans la gueule du crocodile qu’est la mère pour l’empêcher d’engloutir son bébé. Mais il ne peut le faire qu’avec le consentement de sa compagne, qui doit le reconnaître effectivement comme père. Cela est d’autant plus vrai qu’au départ l’enfant ne peut légitimer que ce que sa mère reconnaît elle-même.
La préoccupation paternelle primaire
Partons à présent du fait que la femme a reconnu au père le droit d’être le père de son enfant pour évoquer nos pères dits « modernes ». Sur la base des travaux précédemment cités, quand peut-il ou doit-il intervenir dans la vie de l’enfant ? Cette préoccupation paternelle primaire que nous avons soulignée dans le titre de cet article ne serait-elle qu’un souhait mythique d’égaler la mère ?
Non, si l’on en croit B. Jacobi, qui nous rappelle que G. Delaisi de Parseval a déjà utilisé cette expression dans ses nombreux travaux sur la paternité : « Winnicott décrit pour la préoccupation maternelle primaire une nécessaire folie de la mère pour identifier les besoins de l’enfant. Elle peut prendre soin avec efficience du nourrisson en suivant sa propre expérience de nourrisson. L’extension en est proposée pour le père qui n’est pas nécessairement exempt de cette identification projective. Après tout, lui aussi a été nourrisson et, à ce même titre, il peut se dévouer pour son enfant. » Il serait donc en mesure de comprendre les besoins du bébé et capable de le maintenir en vie « en supposant par la survivance de sa propre expérience les besoins à satisfaire ».
Pourtant, il nous semble que la définition de D. W. Winnicott va au-delà de cette capacité de satisfaire les besoins du bébé en situation de dépendance absolue. Peut-être serait-il préférable de parler, comme J. Le Camus, de « paternité primaire », qui se met en œuvre au tout début de la vie de l’enfant et fait référence à la relation entre le père et le bébé (3). Qu’on le veuille ou non, le père n’a pas le bagage de la grossesse pour passer par cet état d’hypersensibilité quasi pathologique.
En conséquence, nous serions davantage enclins à parler conjointement de « préoccupation paternelle » et de « paternité primaire » :
● Paternité primaire, parce que les pères montrent qu’ils sont aptes à être suffisamment bons en termes de soins, qu’ils constituent une figure d’attachement au même titre que la mère. Ils parviennent à ressentir un sentiment de plaisir dès la naissance, parfois avant, et s’autorisent à manifester leurs émois sans craindre d’y laisser les plumes de leur virilité. Les gestes de tendresse et une affectivité plus intime ne sont plus vus par les regards externes comme synonymes d’une faiblesse à occuper leur position d’homme. Ils ne sont plus de simples spectateurs.
● Préoccupation paternelle, parce qu’ils ne s’affirment pas comme père-mère, mais comme père-homme, soucieux du bien-être et de l’équilibre de l’enfant, dans une relation où chaque adulte s’efforce d’occuper sa place de parent sexué. Comme la mère, ils se constituent parent dans l’inconscient de l’enfant en l’accompagnant par la main, la voix et le regard.
Peut-être que vouloir parler de « préoccupation paternelle primaire » est le reflet de l’inquiétude masculine face à l’évolution du statut acquis par les femmes. Des femmes-mères qui, aujourd’hui, tentent de montrer qu’elles sont capables de vivre et de s’assumer sans les hommes. Toutefois, nous pensons que cette préoccupation paternelle primaire peut trouver sa place si nous la considérons comme un processus du père qui s’applique à la fois à la mère et à l’enfant. Il veille à la voracité de la mère pour le bébé, tout en étant physiquement et psychiquement présent pour le bébé, à qui il offre une image différenciée et sans confusion de rôle pour la construction future de son identité sexuelle. ■
Notes
1. D’après E. Badinter, « il est plus rare d’entendre : “Sois une femme”, comme un rappel à l’ordre, alors que l’exhortation au petit garçon, à l’adolescent et même à l’adulte masculin, est propos courant dans les sociétés ». Badinter E., 1992, XY de l’identité masculine, Paris, Odile Jacob, p. 14.
2. À la suite de P. Ariès, un certain nombre de voix se sont élevées pour tenter de redonner sa place au père du Moyen Âge. Plusieurs recherches le décrivent comme un père aimant, s’occupant de ses enfants. Nous n’en faisons pas état ici dans la mesure où l’objectif est davantage de montrer la position sociale du père par rapport à la mère.
3. Par « primaire », J. Le Camus entend « premier dans le temps ». Un sens qui, selon lui, « ne doit pas être confondu avec ceux que l’on rencontre chez Freud (chez qui le terme “primaire” caractérise le système inconscient, l’énergie psychique libre et le principe de plaisir) ou chez Bowlby (qui qualifie de “primaire” le besoin d’attachement : besoin fondamental, génétiquement programmé, non dérivé d’un autre besoin, non étayé sur un autre besoin) ou chez Winnicott (qui désigne ainsi la préoccupation initiale de la mère : état de haute sensibilité au cours duquel est mis en jeu son pouvoir d’identification au nouveau-né » (note de bas de page in Le Camus J., 1995, Pères et bébés, Paris, L’Harmattan, p. 23).
BibliographieAntier E., 2001, Éloge des mères, Paris, Robert Laffont. |